La direction prise par le pays ne fait plus aucun doute et alors que les plus naïfs espéraient encore trouver, avec l’actuel président, un renouveau et une fraîcheur depuis bien longtemps disparus en politique, tout indique au contraire que les tendances les plus délétères se développent encore sans le moindre frein.
Des impôts, comme s’il en pleuvait
Il y a, évidemment, cette tendance déjà fort ancrée dans les habitudes de transformer toute situation locale atypique en problème d’ampleur nationale, d’y mêler l’État de force et d’en trouver une solution boiteuse sous la forme d’une taxe, d’une ponction ou d’un impôt.
Cette tendance s’est tellement exprimée ces dernières décennies que le pays ploie maintenant sous un maquis incompréhensible de ponctions tous azimuts dont l’effet direct n’aura pas été de créer un État riche et une administration puissante mais bien un tissu économique de plus en plus fragile, une instabilité fiscale et juridique toujours plus grande et, au final, un État perclus de dettes soutenu par une administration incompétente, dogmatique et corrompue.
Une société de plus en plus crispée
Il y a, bien sûr, la propension invraisemblable de nos politiciens à transformer en bourbier impraticable absolument tout sujet qu’ils évoquent.
Chaque jour amène un nouvel exemple de la corruption du langage, des idées, des concepts et des raisonnements que les élus provoquent, aidés en cela par une caste médiatique de plus en plus indigente où la recherche du maximum d’impact a depuis longtemps remplacé tout effort de réflexion de fond.
Partant, il n’est plus un écart qui soit permis, une vérité qui choque qu’on puisse proférer, un constat d’évidence tabou qu’on se risque à faire sans immédiatement encourir les foudres les plus sévères et les ouragans médiatiques de force 5 avec, si possible, mise à mort (au moins symbolique) de l’impétrant qui s’est lancé dans pareille aventure.
De fil en aiguille, pendant qu’une partie de la population se fait tabasser d’un côté par les impôts d’un État qui ne remplit plus ses missions régaliennes et de l’autre côté par l’autre partie de cette population que le régalien ne gère plus, les décideurs, les intellectuels et les influents du pays ont choisi de progresser, à petits pas guillerets, vers une société où l’on piste et traque tout le monde, où on érige la dénonciation en vertu, où l’on s’offusque de l’utilisation de la liberté d’expression surtout lorsqu’elle n’est pas employée pour discuter de la météo, et où celui qui sort du rang sera ostracisé et vilipendé.
Ceux qui ont raison sont condamnés malgré les faits, la raison ou la lucidité ou bien à se taire, ou bien à subir le pal médiatique d’autant plus qu’ils sont minoritaires.
En France actuellement, la pression sociale n’a jamais été aussi forte mais elle n’a jamais été employée à d’aussi néfastes buts : là où elle devrait normalement assurer que les comportements indécents, incivils et destructeurs sont dénoncés et fermement sanctionnés, ce sont les comportements anecdotiques et les habitudes les plus banales qui sont portés à la vindicte populaire, pendant que les pires agissements arrivent parfois à trouver grâce auprès des tribunaux médiatiques.
Une nouvelle génération foutue
Le tableau semble déjà fort gris ; il ne pourra que se noircir encore lorsqu’on regardera la génération « montante » (ou plutôt descendante). Ce qui devrait nourrir l’espoir n’en laisse guère : l’actuelle production écolière de notre Éducation nationale laisse purement et simplement pantois.
Du reste, tout se déroule malheureusement comme prévu : grâce à l’application studieuse de méthodes d’éducation farfelues aux résultats catastrophiques, les années 80 et 90 ont permis de former toute une génération d’illettrés qui sont maintenant non seulement en âge de consommer mais aussi de voter ou pire encore, de prendre le pouvoir politique ou, plus triste, d’instruire la prochaine génération… Assurant ainsi que celle qui est en cours de « formation » sera durablement incapable de comprendre le monde de demain, celui d’aujourd’hui lui étant déjà passablement impénétrable à force de référentiels bondissants et autres âneries du même acabit.
Eh oui : si le niveau baissait assez clairement ces dernières décennies, il dégringole à présent avec un volontarisme que seule la pression sociale évoquée plus tôt permet de camoufler avec brio ; les enseignants accumulent les fautes d’orthographe, de grammaire et de raisonnement lorsqu’ils enseignent aux élèves actuels.
Et question raisonnement, il suffit de parcourir l’article en lien pour comprendre l’ampleur du problème. Il n’est qu’à lire la petite saillie de Francette Popineau, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat des enseignants du primaire, pour s’en convaincre. Pour elle, pas de doute :
« Ce n’est pas le concours qu’on brade, c’est le métier. Cela irait mieux s’il y avait de meilleurs salaires, une meilleure reconnaissance. »
Tragique inversion de la cause et de la conséquence. En toute honnêteté, le niveau général de l’instruction n’est pas bas parce que les salaires des enseignants sont faibles, mais plutôt l’inverse : plus personne ne prend la peine de payer cher, d’argent ou de reconnaissance, un corps professoral qui affiche une baisse de niveau général de plus en plus marquée et dont la fonction sert, pour un nombre croissant, de simple voie de garage rémunérée pour éviter le chômage.
À ceci s’ajoute la baisse générale du niveau des parents, pas mieux lotis. Incapables de simplement éduquer leurs rejetons, ces parents, perclus d’impôts et donc en droit d’attendre de ceux qui les prélèvent qu’ils fournissent un service à la hauteur, ont complètement abandonné l’idée de faire un jour de leur progéniture des adultes opérationnels.
Inévitablement, les enseignants tentent donc d’instruire dans un sabir de plus en plus approximatif d’insupportables petites pestes ingérables qui n’en ont d’autant rien à foutre que leurs parents ont largement d’autres chats à fouetter. Par la suite, ces enseignants, toujours aussi perspicaces, mettront sur le dos de l’ultralibéralisme, de l’individualisme et des réseaux sociaux cette faillite sociale complète, toujours sans comprendre que les petits morveux ne sont que le reflet de cette paire de générations dont ils font eux-même partie, qu’on a gavée d’idéaux collectivistes et de pensées courtes plongées dans un vivrensemble dégoulinant, complètement impropre à créer une société viable.
Tous les ingrédients sont en place
Un État omniprésent, des ponctions tous azimuts, une société totalement crispée, des intellectuels perdus, une génération future complètement fichue : tout se met en place pour un glissement lent mais décidé vers une société typiquement orwellienne.
Et non, ce n’est en rien une exagération. C’est simplement le constat froid de ce que nous avons, ici et maintenant.
Regardez ce que vous n’auriez jamais accepté il y a 10 ans, 20 ans, 50 ans et que vous trouvez à présent si ce n’est acceptable, tout au moins parfaitement normal au sens « qui entre dans la norme », autrement dit, qui s’inscrit si bien dans le ventre mou des gaussiennes statistiques :
- les fautes d’orthographe et de grammaire dans les journaux, de français à la télé,
- les approximations intellectuelles de plus en plus baveuses dans les raisonnements tenus par tous ceux qu’on lit dans les organes officiels, qu’on entend sur les plateaux autorisés, qu’on supporte ou pour qui certains s’obstinent à voter,
- ces ligues de vertu, toujours plus nombreuses, aux acronymes qui fleurent bon la censure, le blocage et le dépôt de plainte,
- ces combats invraisemblables de décalage avec le réel,
- les incivilités (dans la rue, dans les transports en commun, partout),
- l’insécurité (ce pénible sentiment de se faire taillader, défigurer, découper),
- ces appels de plus en plus courants à la dénonciation
à la Kommandantur,
- cette judiciarisation systématique de tout problème, ce légalisme en carton qui agite les petits flocons qu’on bouscule et qui n’en finit pas de créer toujours plus de victimes bidons quand le nombre de victimes, bien réelles, elles, croît d’heure en heure.
- …
J’arrête ici la liste, mais je crois que vous saisissez l’idée générale : regardez par exemple la décontraction avec laquelle on nous balance le chiffre du nombre de voitures brûlées au Jour de l’An ; c’est un peu comme le bêtisier de fin d’année, c’est devenu une tradition qui ne semble plus inquiéter personne et dont on ne s’offusque que du 2 au 3 janvier, un peu, sur les réseaux sociaux (et encore, sans trop forcer pour éviter la censure discrète).
Une dérive qui dure depuis plus de 30 ans
Le constat est sans appel : la société orwellienne, composée pour moitié d’une surveillance d’État de tous par tous et pour moitié d’un contrôle social complètement perverti, cette société est déjà là et elle n’a pas été mise en place par la force, en écrasant la tête des hommes libres par la botte d’un militaire armé, mais plutôt par l’utilisation des médias, de l’éducation et la démission intellectuelle de tout un peuple qui a préféré les promesses faciles de lendemains qui chantent à l’âpre réalité.
En 1988, Jean Van Hamme faisait sortir une bande dessinée prémonitoire, « SOS Bonheur », que je vous recommande. Sa lecture, édifiante 30 ans plus tard, ne laisse aucun doute sur les dérives qui ont eu lieu. Mais le pompon est atteint lorsqu’on se fade la suite, la « Saison 2 », sortie récemment, scénarisée par Desberg : la lucidité des propos de Van Hamme contraste violemment avec les tonneaux de moraline que ce nouvel opus nous déverse d’une planche à l’autre, en pleine figure et sans semonce.
La dérive est presque complète. Ce pays est foutu.