Nous avons tous un ami qui ne suit
plus que la météo tant il ou elle est dégoutée
par le traitement médiatique de la politique.
Un sondage Ifop
du 7 octobre 2013 indiquait que seuls 26% des Français faisaient
confiance aux journalistes.
Pourquoi les medias ont-ils à
ce point perdu notre respect ? Nous pourrions lister trois raisons
principales à ce mépris.
La dispute-éclair continuelle
Vous êtes devant la
télévision. Pour la énième fois, plusieurs
personnes s’invectivent copieusement à l’écran.
À l’amusement succède la lassitude. Vous n’avez
guère envie de consacrer votre temps libre à être le
témoin silencieux d’une dispute continuelle.
La montée en puissance de
chaines de télévision émettant 24h/24 a
créé ces spectacles télévisuels dans lesquels le
vrai débat est absent au profit d’un duel entre plusieurs
personnes connues où les passes d’armes ne durent que quelques
secondes.
Ce spectacle peut être amusant,
mais cela n’aide guère le spectateur à comprendre les enjeux
de ce qui est discuté.
Le monde comme tribune journalistique
Vous lisez un magazine. Dans les
premières pages, entre deux publicités pour une marque
horlogère (à moins que cela soit pour des cannes de golf ?), la
tribune du rédacteur en chef attire votre attention. Sa photo format
timbre-poste montre ce visage espiègle mais sérieux et cet
attribut caractéristique (un mouvement de cheveux, des lunettes, une
moustache, un col ouvert) que vous connaissez si bien. « Il a rajeuni
» vous dites-vous.
Certains journalistes sont devenus
des célébrités. La renommée et la
générosité de leur rémunération les ont
éloignées de leur public. Ils s’identifient moins avec
l’homme de la rue et plus avec les personnes proches du pouvoir.
Pire, de journalistes, ils deviennent
commentateurs. Ils ne sont plus ceux qui interrogent mais ceux qui sont
interrogés. Ils sont le sujet. Le commentaire se substitue à la
couverture et ce commentaire est ironique, sonore et dédaigneux envers
l’idée même d’importance. En réponse,
les hommes politiques sont incités à devenir plus rusés,
plus osés, plus manipulateurs pour faire passer leur message.
L’actualité comme jeu
à points
Vous écoutez votre radio. Des
otages viennent d’être libérés. Vous ne saurez ni
dans quelles circonstances précises ils ont été
capturés, détenus et libérés ; vous
n’entendrez pas parler les premiers concernés ; vous
n’apprendrez pas dans quel mesure cet évènement est
particulièrement important (est-il représentatif ? est-il
courant ? touche-t-il plus certaines populations que d’autres ?) ; vous
n’écouterez pas les analyses comparatives de prises
d’otages s’étant déroulées
différemment.
Au lieu de tout cela, l’angle
journalistique sera le suivant : à quel parti politique cette
libération profite-elle ? Comment l’autre camp réagit-il
?
Trop de journalistes
n’explorent pas la substance de l’actualité sociale,
économique, internationale, environnementale, législative, etc.
mais préfèrent se concentrer sur les implications politiques de
cette actualité. Plutôt que d'expliquer le contexte d'un certain
projet de loi, la presse se concentre sur la façon dont il pourrait
aider ou nuire à son commanditaire, à ses partisans ou ses
opposants.
L’actualité qui devrait
d’abord être dévoilée et contextualisée
devient immédiatement politisée sous la forme d’un jeu à
points, comme un évènement sportif. Qui sera le gagnant ? Qui
commettra une faute ? Comment le perdant s’en
relèvera-t-il ?
Ce jeu à points aplatit
l’actualité. Une prise d’otage, une expulsion, une
inondation, une faillite, une grève, un déficit public, un
chiffre du chômage, une famine, une guerre : tout devient un match.
Pire, le fait que la substance de ces évènements soit à
peine questionnée fait que tout n’est qu’un match.
Comment cela affecte-il la vie
civique ?
Ces pratiques médiatiques ont
participé à nous éloigner de la vie publique. Ceux qui
lisent, écoutent ou regardent les médias se sentent mal
informés. Ils ne tarderont pas à s’en détourner.
En résulte un climat de
désengagement fataliste : un retrait de la vie publique ou bien une
radicalité pour en changer la forme. L’abstention ou
l’extrémisme.
Les médias ne sont pas que le
reflet de l’actualité, ils la modèlent aussi.
Face à cela, nous pourrions
appeler les éditeurs à inciter les journalistes à
écrire sur la substance de l’actualité, à
encourager l’implication dans la vie civique. Mais tout cela serait
trop léger face aux problèmes structurels du journalisme
actuel.
L’avenir : l’information
sans choix éditorial imposé
Le changement semble venir de
l’extérieur de la profession. Les non-journalistes sont de plus
en plus impliqués dans la compilation, le partage, le filtrage, la
discussion et la distribution de l’actualité.
Twitter
permet aux personnes de rapporter ce qu’ils voient. Qui aurait pu
prédire que Facebook, un annuaire d’anciens
élèves, allait devenir un des moyens principaux pour trouver,
partager et discuter de l’actualité ?
Internet a permis à de
nouveaux fournisseurs d’actualités (blogs individuels,
collaboratifs, portails d’information, etc.) de se créer et de
monter en puissance en un très court laps de temps.
Il a aussi rendu possible des
approches journalistiques entièrement nouvelles, comme celle
pratiquée par WikiLeaks, qui permet à
des dénonciateurs de publier des documents de façon anonyme.
L'ordre du jour, l’agenda, le
choix éditorial n'est plus contrôlé par un oligopole
d’État et quelques magnats de la presse dépendant
d’annonceurs, de leur proximité avec le pouvoir ou de scandaleuses
subventions étatiques.
Les conflits d'intérêts liés à cette situation
antérieure s’évanouissent : aucun groupe
d’intérêt (même le plus grand d’entre tous :
l’État) ne peut plus espérer un traitement
préférentiel.
Le journalisme classique ne
guérira sans doute pas. Il se renouvelle naturellement grâce
à nous, la société. Il devient une autre pratique
journalistique, protéiforme, faisant travailler ensemble amateurs et
professionnels.
Cette transformation structurelle est
imparable. Et il est difficile d’être pessimiste face à la
nouvelle diversité de médias – souvent stridente certes,
mais combative et résiliente – qu’est devenu le
journalisme à l’âge d’Internet.
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