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En mars
prochain, Guy Sorman fêtera ses 70 ans. Et,
d’ores et déjà, il est à créditer
d’une carrière exceptionnelle qui, visiblement, n’est pas
prête de s’achever.
Un rapide coup
d’œil à sa bibliographie
permet de s’en rendre compte. À l’heure qu’il est,
il a déjà écrit 23 livres ! Son ouvrage le plus
marquant demeure, toutefois, un
de ses tous premiers, La Solution libérale,
qu’il avait fait paraître en 1984, en plein
« boom » thatchéro-reaganien.
En effet, Sorman a probablement été un des premiers
auteurs à importer ou, plutôt, à faire revivre les
idées libérales dans un pays qui en manquait cruellement. N’oublions
pas que, lorsque le Royaume-Uni et les États-Unis élisaient,
à leur tête, une femme et un homme libéraux, au moins en
apparence, la France se tournait, pour la première fois, depuis de
longues décennies, vers un président de la République
socialiste dont les nationalisations d’entreprises étaient un
des points clés de son programme !
Il
était donc extrêmement rafraîchissant de lire La Solution libérale,
même si, en 1984, François Mitterrand commençait à
réaliser que le socialisme archaïque qu’il voulait introduire
en France était inefficace. 1984, hasard ou non, fut également
l’année de l’arrivée d’Hayek à Paris
où il fut décoré par le maire de l’époque,
un certain Jacques Chirac. Sorman contribua,
d’ailleurs, par cet ouvrage, à faire connaître la
philosophie de ce grand penseur, Prix Nobel de sciences économiques en
1974.
D’ailleurs,
dans la première partie de son livre, Sorman
insiste sur le fait que l’ancien président de la
République française faisait partie de l’Internationale
socialiste afin de montrer à quel point il était à
contre-courant.
Néanmoins,
comme tant d’autres libéraux français, Sorman tombe également dans un autre
travers : celui de croire que l’herbe est plus verte dans les
autres pays développés. Ce n’est pas pour rien si Sorman est l’homme de La Révolution conservatrice américaine,
l’auteur y faisant une apologie démesurée de feu Ronald
Reagan.
Dans La Solution libérale, il
consacra plusieurs pages à faire l’apologie du Japon. Pourtant,
nous avons pu voir, à maintes reprises, que le modèle japonais
ne devait certainement pas être pris pour référence
puisque son économie stagne depuis déjà de trop
nombreuses années. Ce n’est pas parce qu’un parti nominalement
« libéral » tient les rênes du pouvoir
depuis 1955 que, pour autant, nous devons avoir une admiration sans bornes
pour ce qui est fait dans ce pays.
Sorman fit également preuve
d’une légère naïveté au moment de commenter
le début de « règne » du premier ministre
italien Bettino Craxi. Il est vrai que ce dernier a courageusement combattu l’inflation
dans son pays pendant son mandat. Mais la corruption a gangréné
son mandat au point qu’il fut obligé de fuir et de terminer ses
jours en Tunisie. Il était peut-être prématuré de
tresser des louanges à ce chef de gouvernement, si peu de temps
après sa prise de fonction.
Pour autant, Sorman se ressaisit quelque peu au moment
d’évoquer le cas de l’ex-R.F.A.
Son livre a été écrit peu de temps après
l’arrivée au pouvoir d’Helmut Kohl. Sorman
a, cela dit, analysé les premiers pas à la chancellerie de
l’ex-patron de la CDU et en a déduit, témoignages
à l’appui, que peu de réformes concrètes avaient
été instaurées.
Un autre aspect
intéressant de l’ouvrage se situe à sa fin, lorsque Sorman analyse la question démocratique. Il semble
approuver le choix du général de Gaulle de recourir
fréquemment aux référendums, estimant que
« les élites commettent des erreurs irréparables que
les peuples éviteraient peut-être ». Une fois de
plus, Sorman fait preuve de naïveté,
voire de populisme. Le suffrage universel direct n’est, en aucun cas,
un rempart contre les atteintes aux libertés. Au contraire, 1793
montre bien que la volonté populaire peut déboucher sur une
tyrannie sanglante.
En
l’espèce, il s’agit peut-être d’une faille de
cet ouvrage-ci comme de tant d’autres : ne pas assez insister sur
les dissensions qu’il peut y avoir entre la démocratie et les
libertés ; ne pas oser aller contre ce dogme démocratique
qui empoisonne la France et l’Occident, dans sa globalité,
depuis deux siècles. Il est fort à parier que, si le
référendum se généralisait, les libéraux
n’en tireraient pas les résultats escomptés, bien au
contraire.
Malgré
ces quelques critiques, il n’en demeure pas moins que, même
trente ans plus tard, la lecture de La
Solution libérale vaut le coup. Ainsi que celle de tous ses autres
ouvrages.
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