Où espèrent-ils en
venir ? Une impressionnante levée de boucliers a lieu en Europe et aux
États-Unis, en lever de rideau des réunions de ce weekend
à Washington, où tout le monde qui compte sera réuni
afin de tenir un G7 finances, puis les assemblées annuelles du FMI et
de la Banque mondiale.
« Haro sur la Chine
! » s’exclament avec un bel ensemble les
représentants des gouvernements occidentaux et du FMI, dans le but de
forcer ses dirigeants à réévaluer le yuan. Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso
ont joint leurs efforts en ce sens, en publiant un communiqué commun
à la suite d’un sommet sino-européen de trois heures
– toasts crispés compris :
« Nous avons souligné qu’il était important de
rééquilibrer la croissance globale et de réduire les
déséquilibres globaux ». On en reparlera les 11 et
12 novembre, au G20 de Séoul, vient d’annoncer de son
côté Lee Myung-Bak, le président
Sud-coréen.
Tout se présente comme si
cette issue était la dernière porte de sortie dont disposaient
ces gouvernements, qu’ils voulaient à tout prix forcer.
Suscitant la résistance opiniâtre des Chinois, afin de ne pas déclencher
dans leur pays la crise sociale qui ne manquerait pas selon eux d’en
résulter. Un point de vue partagé par les connaisseurs du pays.
« Je prends très
au sérieux la menace d’une guerre des monnaies, même
larvée » a déclaré Dominique Strauss-Kahn,
directeur général du FMI, après avoir pris dans un
premier temps la chose à la légère. Il va falloir en
dire plus pour la désamorcer ! Car les conséquences de
cette guerre vont bien au-delà des frontières chinoises.
Cette offensive est à
plusieurs titres douteuse, permettant à ceux
qui la mènent de tout résumer à ce qui les
exonère de leur responsabilité, en faisant porter la faute sur
la Chine, pour déplorer sa rigidité s’ils
n’obtiennent pas satisfaction. Elle prend les problèmes par le
petit bout de la lorgnette, en vue d’une solution qui se
révélera illusoire, au lieu de s’engager clairement sur
le seul chemin qui tôt ou tard s’imposera : celui
d’une réforme d’ensemble du système
monétaire international.
A ce propos, comment ne pas se
rappeler que le précédent grand chamboulement, Bretton Woods, a
été décidé dans la foulée de la seconde
guerre mondiale, laissant à penser aujourd’hui qu’il
faudra que de grands événements – à ce stade
indéfinis – interviennent dans l’avenir pour que cette
réforme soit possible.
S’en tenir à cette
seule perspective serait néanmoins persévérer dans
l’erreur, car une telle réforme serait loin de tout
régler (1). Cela consisterait à une fois de plus
préconiser un remède monétaire à une crise dont
les raisons sont toutes autres. Alors que les États-Unis, le Japon et
la Grande-Bretagne s’orientent déjà – chacun de
leur côté et tous ensembles, mais à l’exception de
l’Europe – vers une tentative de relance économique en
remettant en route la planche à billets. Une solution qui suscite de
forts doutes quant à son efficacité, et qui va aviver la crise
monétaire. La seule certitude est que les Américains vont
accroître un problème pour tenter d’en régler un
autre.
Les Chinois ont donc en attendant
bon dos, car si les tensions monétaires se sont ces derniers temps
exacerbées, c’est principalement en raison de
l’émission monétaire américaine massive qui est
annoncée. Celle-ci va accentuer encore la dépréciation
du dollar et l’appréciation en sens contraire des autres
monnaies. Elle est donc à double détente, soulageant dans
l’immédiat le financement de la dette américaine, mais
induisant également une nouvelle dépréciation du dollar.
Les surplus commerciaux chinois ne
posaient pas de problèmes tant qu’ils finançaient la
dette américaine. C’est toujours le cas, mais les
priorités américaines sont autres, voilà tout.
Tout se passe donc comme si les
Américains avaient maintenant choisi de forcer un
rééquilibrage monétaire qu’ils n’obtiennent
pas des Chinois : « puisque ceux-ci ne réévaluent
pas, nous dévaluons ! ». Un jeu dangereux, car il
étend la crise à l’ensemble des pays émergents
dont la croissance était à l’épisode
précédent censée relancer celle des pays développés ;
tandis que dans le camp de ces derniers elle attise les difficultés
économiques des Japonais et des Européens.
Au-delà de
l’épisode de ce weekend – qui aura au moins
l’avantage de faire passer au second plan les nouvelles
prévisions pessimistes de croissance du FMI, en particulier concernant
les États-Unis, ainsi que le désaccord entre Européens
et Américains sur la nécessité d’une relance
– une nouvelle donne mondiale s’esquisse dans les interventions
des représentants des pays développés.
Si l’on résume leur
argumentation, celle-ci consiste à dire aux pays émergents :
« laissez votre monnaie se réévaluer et vos
exportations diminuer, afin de permettre aux nôtres de se
développer, allez chercher sur votre marché intérieur un
relais de croissance ! ». Une injonction signifiant
qu’eux-mêmes ne sont pas prêts à favoriser la
croissance de la consommation dans leurs propres pays, ou bien n’en ont
plus les moyens.
C’est un total renversement
de situation qui est demandé avec insistance, un tournant à 180
degrés venant après des décennies de mondialisation
favorisant le développement de la production agricole ou industrielle
des pays émergents en vue de répondre à bas prix
aux besoins des pays développés, financés de plus
en plus par l’endettement des particuliers. Il est maintenant
envisagé, comme derniers recours, de s’appuyer sur le
développement de la consommation intérieure des premiers pour
favoriser la relance de la production des seconds. A vos ordres !
Une vue de l’esprit dans
l’immédiat, car les moyens de production des pays émergents,
orientés à l’exportation, ne peuvent pas être
d’un simple coup de baguette magique détournés de leurs
objectifs initiaux et réorientés vers une production
adaptée à leurs marchés intérieurs. La voiture low cost et
l’ordinateur à 200 dollars n’y concernent que les classes
moyennes, toujours minoritaires, qui seraient durement secouées au
passage. Suscitant dans un premier temps d’importants
dégâts pour l’emploi et de vives résistances en
provenance de tous ceux qui ont construit leur bonne fortune sur le
modèle précédent. Un changement de modèle de
développement est une affaire d’envergure qui touche toute la
société en profondeur, et pas seulement son appareil de
production.
Ce changement serait d’un
autre point de vue un tournant : la chute de l’Union soviétique
a permis de dégonfler le mythe de l’opulence capitaliste pour
tous, une fois son expérience faite dans les pays du glacis. On
demande maintenant aux pays < émergents de prendre la suite. Le
capitalisme vole de victoire en victoire.
Dans l’immédiat, la
« guerre des monnaies » que Celso
Amorim – ministre brésilien des
affaires étrangères – a dénoncé
avec fracas, pourrait même à l’occasion
dégénérer en de véritables affrontements dans
certains pays émergents.
Cela permet de comprendre pourquoi
les attitudes du FMI et de la Banque Mondiale divergent à propos
d’un point capital à court terme : l’adoption ou non
par ces pays de mesures de contrôle des flux entrants de capitaux, qui
déstabilisent leur économie. Le premier n’y voit –
après avoir tenu un autre discours, avant que les Américains ne
prennent le mors aux dents – que l’expression normale du jeu du
marché, auquel il ne faut donc pas s’opposer. Naoyuki Shinohora, directeur
adjoint du FMI, a ainsi déclaré à Reuters qu’il
était « naturel et bienvenu » que les
capitaux se déplacent vers les économies à forte
croissance, et que les gouvernements ne devraient pas essayer
d’infléchir ces flux en intervenant, afin de poursuivre des
objectifs monétaires propres.
La Banque Mondiale émet
pour sa part de sérieuses réserves à ce raisonnement,
qui fait la part belle à la demande insistante que vient
également de formuler Tim Geithner, le
secrétaire d’Etat au Trésor US. Sévèrement
critiqué pour son interventionnisme, Robert Zoellick,
le président de la Banque Mondiale, a même déclaré
à propos des Japonais : « Je ne les appuie pas plus
que je ne les critique »… A propos de la Chine, il a
précisé : « J’ai dit que je croyais que
les Chinois devaient apprécier leur monnaie… Mais j’ai
aussi dit que je pensais que cette appréciation n’était
pas une panacée [a silver-bullet solution] ».
La palme de l’hypocrisie
revient sans nul doute au secrétaire d’Etat américain au
Trésor, qui vient de déclarer : « Il est
important que l’on voie à l’avenir davantage de progrès
de la part des plus grandes économies émergentes en direction
de systèmes de taux de change plus flexibles et suivant les
mécanismes du marché », les Américains
étant particulièrement bien placés pour donner des
leçons en raison de leur interventionnisme sur le dollar !
Tim Geithner
a été plus explicite encore, conditionnant l’attribution
aux pays émergents de sièges supplémentaires au
conseil d’administration du FMI, à leur adoption
d’ »une politique de taux de change plus conforme aux
mécanismes du marché, [d']une
réduction de leur dépendance aux exportations et [d']une
demande intérieure plus solide ». L’intention est de
favoriser les exportations américaines, mais le résultat va
être l’exportation de leur crise. Une nouvelle version de la phrase
célèbre d’un prédécesseur de Tim Geithner : « Notre monnaie, votre
problème !».
Courage, fuyons !
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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