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La
fin du XIXe siècle en France est marquée, dans le domaine des
idées, par l'influence persistante du positivisme
de Comte. Or, l'œuvre de Bergson s'est d'abord constituée
comme répudiation de cet héritage.
Bergson
(1859-1941), en effet, ne croit pas que la science positive soit capable de
résoudre tous les problèmes qui se posent à l'homme, ni
même qu'elle parvienne à rendre compte authentiquement de nos
expériences les plus banales, comme notre rapport intime au temps qui
passe. Le mécanisme matérialiste, qui triomphe alors dans les
sciences, n'est pas non plus épargné, dans sa prétention
à réduire la vie à un simple assemblage de
molécules. Enfin, Bergson ne peut se résoudre à accepter
la fin de la métaphysique (dont le positivisme aurait sonné le
glas).
Et
c'est peut-être là son apport le plus original : Bergson a
largement contribué, dans une époque obnubilée par les
succès de la science, à restaurer la réflexion
métaphysique. Il a réhabilité aussi, comme en
témoigne sa langue exempte de tout jargon, une certaine façon
de philosopher (dont on trouve la source chez Descartes), qui rend sa
pensée accessible à tous.
Né
à Paris d'une mère anglaise et d'un père d'origine
polonaise, Henri Bergson fait ses études au lycée Condorcet.
Élève brillant, aussi doué pour les lettres que pour les
sciences, il remporte en 1878 les premiers prix de français et de
mathématiques du Concours général. « Faites
Polytechnique » lui dit-on ; il préfère
l'École normale supérieure, où il prépare
l'agrégation de philosophie (qu'il passe avec succès en 1881).
Successivement professeur aux lycées d'Angers, de Clermont-Ferrand et
Henri IV à Paris, il soutient en 1889 une thèse qui fait grand
bruit : Essai sur les données
immédiates de la conscience. Son retentissement est tel que
Bergson est engagé comme maître de conférences à
l'École normale supérieure, poste qu'il occupera jusqu'à
sa nomination au Collège de France en 1900.
C'est
à partir de la publication de Matière
et mémoire (1896) que Bergson accède aux honneurs et
connaît bientôt la plus grande célébrité.
Élu membre de l'Académie des sciences morales et politiques en
1901, membre de l'Académie française en 1914, il reçoit –
couronnement suprême – le prix Nobel de littérature en
1927. Entre-temps, Bergson poursuit son œuvre : Le Rire (1900), L'Évolution
créatrice (1907), Les Deux
Sources de la morale et de la religion (1932). Il réunit d'autre
part des articles, des études et des conférences en trois
recueils : L'Énergie spirituelle
(1919), Durée et
simultanéité (1922) et
La Pensée et le Mouvant (1934).
Conduit
par l'évolution de sa pensée au seuil du catholicisme (il
médite en effet sur les œuvres des grands mystiques), il refuse
pourtant de se convertir, par solidarité avec la communauté
juive que les hitlériens commencent à persécuter.
Bergson meurt le 4 janvier 1941, en pleine occupation allemande. Seuls sa
femme, sa fille, Paul Valéry (représentant l'Académie
française) et Edouard Le Roy (son successeur au Collège de
France) suivront le cortège funèbre. Bergson, écrivait
Péguy en 1905, est celui qui a sauvé la pensée moderne
du matérialisme et du déterminisme.
L’évolution
créatrice
Dans
L’Évolution
créatrice, Bergson écrit :
« Le temps est invention, ou il n’est rien du tout ». Il
prenait ainsi le contrepied de la science classique selon lequel tout est
donné, tout est prévisible.
Au
XIXe siècle, Pierre Simon de Laplace avait formulé
l’idéal d'un déterminisme total. Dans son Essai
philosophique sur les probabilités (1795), il se livrait à
une extrapolation des résultats de Newton : « Nous devons donc envisager
l'état présent de l'univers comme l'effet de son état
antérieur, et comme la cause de ce qui va suivre. Une intelligence qui
pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la
nature est animée et la situation respective des êtres qui la
composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces
données à l'analyse, embrasserait dans la même formule
les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus
léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le
passé serait présent à ses yeux ». La
science classique est dominée par la possibilité d'une
omniscience indifférente au déroulement du temps. Le
présent y détermine le futur, comme il peut servir à
reconstruire le passé.
Au
contraire, pour Bergson, l’univers dure. « Plus nous
approfondissons la nature du temps, plus nous comprendrons que durée
signifie invention, création de formes, élaboration continue de
l’absolument nouveau.
» Dans Le possible et le réel, il pose
la question : « A quoi sert le temps ?... le temps est ce qui
empêche que tout soit donné d'un seul coup. Il retarde, ou
plutôt il est retardement. Il doit donc être élaboration.
Ne serait-il pas alors le véhicule de création et de choix ?
L'existence du temps ne prouverait-elle pas qu'il y a de l'indétermination
dans les choses ? »
Réalisme philosophique
et pluralisme de la méthode
Pour
Bergson, la méthode philosophique doit être fondée sur
« l’expérience aidée du
raisonnement ». Cette méthode, ébauchée par Aristote
déjà, au IVe siècle avant notre ère, consiste
à se soumettre à la réalité objective pour
l'étudier, telle qu'elle est, indépendamment de nos
préférences ou de nos répugnances. Mais contrairement au
positivisme, Bergson rejette le monopole de la méthode expérimentale
et le monisme épistémologique qu’on trouve chez Auguste
Comte au XIXe siècle.
Dès
lors, il distingue deux types d’approches du réel :
l’intelligence et l’intuition. L’intelligence correspond au
travail d’explication qui est celui de la science. Elle découpe
le réel, le mesure, le quantifie, le décompose. C’est une
méthode analytique, celle des sciences expérimentales.
L’intuition correspond à ce qu’on appelle la
compréhension dans les sciences sociales, en particulier chez Weber. L’intuition
est cet effort pour coïncider avec le réel, pour sympathiser avec
lui. « Nous appelons intuition la sympathie par laquelle on se
transporte à l’intérieur d’un objet pour
coïncider avec ce qu’il a d’unique » (La pensée et le mouvant, p.181).
L’intuition a donc pour objet la vie intérieure, dans sa
durée propre, dans sa subjectivité, c’est
la « vision directe de l'esprit par l'esprit ». Si
une métaphysique ou une science de l’esprit est possible, selon
Bergson, ce n’est que par l’intuition, par cette attention de
l’esprit à lui-même.
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