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La
calamiteuse émission obligataire allemande a dominé
l’actualité de mercredi, témoignant d’une brutale
détérioration de la situation. Que les marchés s’en
prennent à l’Allemagne illustre l’impasse dans laquelle se
trouve la stratégie qu’elle défend. Seuls 3,6 milliards
d’euros d’une émission de 6 milliards d’euros
à dix ans du Bund ont pu être placés, conduisant la
Bundesbank a acheter le solde pour le placer
ultérieurement, dans des proportions bien plus importantes
qu’elle n’a l’habitude de le faire.
La
plus extrême confusion s’est installée. Il y a
désormais ceux qui, à Berlin, persistent et signent dans
l’affirmation de leur politique mais sont de plus en plus
isolés, ceux qui sont trop tardivement favorables à
l’émission d’euro-obligations sous conditions, et ceux qui
ne voient de salut que dans l’intervention de la BCE. Si les uns et les
autres divergent sur la manière de résoudre la crise, tous
s’accordent cependant pour considérer que la plus grande rigueur
budgétaire est indispensable et affichent leur convergence à ce
propos. Et c’est là que le bât blesse.
Malencontreusement,
les feuilles de route qui ont été distribuées sont mis en cause par ceux qui sont en charge de les appliquer.
Antonis Samaras, leader de la Nouvelle
Démocratie, estime que « certaines politiques doivent être
modifiées pour garantir la réussite du plan » sur lequel
il lui est demandé de s’engager formellement pour débloquer
la 6ème tranche du prêt de l’Union
européenne et du FMI à la Grèce ; Mario Monti laisse
planer le doute sur le retour en 2013 à l’équilibre des
finances de l’Italie, en prélude à sa rencontre avec
Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ; Miguel Arias Cañete, le porte-parole de Mariano Rajoy, demande d’attendre la vérification
des comptes publics, avant toute annonce, par crainte de mauvaises surprises
comme la droite espagnole en a déjà eu après sa victoire
dans les régions. Les gouvernements portugais et irlandais n’ont
pas été en reste, le premier pour demander une rallonge, le
second une remise de peine.
Porte-parole
attitré des mégabanques,
l’Institute of International Finance vient d’annoncer que la zone
euro était déjà entrée en récession. Ne
faisant qu’accroître les déficits budgétaires,
fait-il remarquer, critiquant implicitement la stratégie poursuivie
par les dirigeants européens et confirmant au passage que les
marchés ne croient pas à celle-ci. Dressant un
sévère réquisitoire de la gestion de la crise par les
autorités européennes, l’IIF préconise
l’intervention de la BCE « dans les semaines à venir
».
L’Autorité
bancaire européenne (EBA) vient d’apporter un éclairage
complémentaire sur l’autre face de la crise, qui monte en
puissance bien que cachée. En annonçant que les banques
européennes vont devoir en 2012 refinancer 700 milliards d’euros
d’obligations émises par leurs soins, qui vont arriver à
échéance, elle confirme les difficultés qu’elles
rencontrent, qui les conduisent à se tourner davantage vers la BCE
pour se financer. À ce propos, la Banque de France a
révélé que les banques françaises avaient
considérablement accru leurs emprunts à la BCE depuis
août dernier, ceux-ci passant de 37,4 à 100,6 milliards
d’euros en octobre.
La
crise de la dette publique rejaillit sur les banques qui ne parviennent plus
à se financer sur le marché interbancaire. Il est donc
primordial que le marché obligataire retrouve sa fluidité,
expliquent les analystes, rendant indispensable que la crise actuelle soit
jugulée. À défaut, les deux se conjuguent. Le
système bancaire est sous une assistance respiratoire promise à
durer, masquant la réalité de sa situation. Il est
également confronté à la nécessité de
renforcer ses fonds propres, la détérioration de la situation
amenant l’EBA à durcir les stress tests qu’elle
mène et à révéler des besoins
supplémentaires dans ce domaine. Cela concerne notamment les banques
allemandes, dont la Commerzbank. À elle seule, celle-ci verrait ses
obligations croître de 5 milliards d’euros, ce qui pourrait
l’amener à demander un soutien public, faute de pouvoir les
lever sur le marché. Ce dernier est en effet très
encombré et de plus en plus jugé à risque, créant
une situation très indécise.
Un
autre aspect de la crise sous-jacente des banques a été
révélé par Citi, la banque
américaine, qui contribue à un tableau déjà
sombre : les dépôts des banques italiennes, espagnoles et
françaises sont en forte diminution. De 10 et 16 % respectivement pour
Unicredit et Intesa, 10
et 11 % pour Santander et BBVA, et 6 et 7 % pour BNP Paribas et
Société Générale.
La
situation des banques espagnoles, dont les 5 principales doivent augmenter
leurs fonds propres de 26,16 milliards d’euros, va
particulièrement retenir l’attention, en raison des 176
milliards d’euros de crédits problématiques
dispensés par les banques dans le secteur de l’immobilier et de
l’éclatement continu et difficilement contenu de la bulle
correspondant. Ce ne sont pas seulement les Caisses d’Épargne,
en pleine restructurations et privatisations difficiles, qui sont
touchées : les grandes banques sont également atteintes,
même si elles parviennent mieux à absorber ou reporter le choc.
«
La faiblesse de l’économie de la zone euro a
le potentiel de se diffuser au reste du monde à travers un certain
nombre de canaux. L’un des plus immédiats et des plus puissants
est le secteur bancaire », a également constaté
l’Institute of International Finance, se faisant l’écho
des inquiétudes américaines, sans préciser que cette
contagion aurait pour principal vecteur les CDS émis par les banques
outre-Atlantique, s’ils devaient finir par être activés.
Le
mini-sommet réunissant Angela Merkel, Mario
Monti et Nicolas Sarkozy s’ouvre aujourd’hui à Strasbourg.
Le président français a exalté mercredi «
l’amitié et l’alliance entre la France et
l’Allemagne », alors que les divergences n’ont jamais
été aussi grandes entre les gouvernements des deux pays. En
dépit de leur isolement accru, les autorités allemandes ne
varient pas, contredisant à nouveau ceux qui croient percevoir ou
pouvoir annoncer un infléchissement de leur position : « il faut
faire les choses dans l’ordre » a encore réaffirmé
mercredi Wolfgang Schäuble, le ministre des
finances, exprimant sa conviction « qu’il faut changer les
traités et qu’il est possible de le faire dans un délai
rapide », et que l’Allemagne sera ensuite prête «
à toute la solidarité nécessaire ».
Les
marchés en décideront,
obéissant à une autre logique ! Le taux des obligations
espagnoles et italiennes a continué à se tendre mercredi, atteignant
respectivement 6,6 % et 6,8 %.
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