Évidemment, l’époque a changé. Pas forcément en bien, et notre modernité
est devenue une médiocrité.
Nous sommes d’ailleurs globalement dirigés par des médiocres.
Charles Gave a d’ailleurs intitulé l’un de ses ouvrages Des lions
menés par des ânes.
Les lions c’est nous mes amis, le peuple de ce grand pays. Les ânes, ce
sont évidemment nos mamamouchis.
Voilà donc ce qu’écrivait en mai 1968 le préfet de Police de Paris Maurice
Grimaud à ses policiers.
Je vous laisse faire la comparaison avec ceux qui, aujourd’hui,
« pilotent » notre nation.
Parce que nos policiers sont les détenteurs de la force indispensable que
l’État doit exercer pour maintenir l’ordre, ils doivent être irréprochables
afin que la violence, indispensable parfois, reste acceptée par tous.
« Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux
gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d’un sujet
que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès
dans l’emploi de la force.
Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce
point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons
peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de
beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre
réputation.
Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d’entre vous, que, dans votre
immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous
le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut
accepter.
Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le
procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise
pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d’outrages et de
coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.
Je suis allé toutes les fois que je l’ai pu au chevet de nos blessés, et
c’est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions
qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu’au jet
de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.
Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.
C’est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis
pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action
soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est
que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs
qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt
reprendre toute leur maîtrise.
Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en
apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est
encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils
sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.
Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je
sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.
Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit
déjà et je le répéterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne
et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela
qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des
directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu,
l’avenir de la préfecture de police.
Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois
qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines
de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites.
Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre
sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de
vous admirer même s’ils ne le disent pas.
Nous nous souviendrons, pour terminer, qu’être policier n’est pas un
métier comme les autres ; quand on l’a choisi, on en a accepté les dures
exigences mais aussi la grandeur.
Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre
amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent
à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit
déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment
sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux,
heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés
accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner
de nous.
Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir
vus à l’œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les
hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que
j’entreprends et qui n’a d’autre but que de défendre la police dans son
honneur et devant la nation. »