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Illusoires palliatifs

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Published : July 13th, 2011
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Le simple énoncé de l’exposition des banques allemandes et françaises à la dette italienne suffit pour toute démonstration : un défaut intervenant sur cette dette serait très grave pour le système financier européen et mondial. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), l’exposition des banques françaises est de 280 milliards d’euros en chiffres arrondis, toutes dettes confondues, dont 30 milliards pour les banques et 70 milliards pour le secteur public. Celle des banques allemandes est de 160 milliards d’euros (36 milliards pour les banques et autant pour le secteur public).


Au delà de la dimension nouvelle du problème que créerait l’entrée de l’Italie dans la zone des tempêtes, voilà qui met clairement en évidence le mécanisme de ce deuxième acte de la crise : point d’appui privilégié de la finance, la dette publique n’est plus ce qu’elle était. Si elle s’effrite, le système s’affaisse et risque ensuite de s’effondrer.


Afin de bloquer l’élargissement de la zone des tempêtes à l’Italie et à l’Espagne, il est donc prévu d’accélérer le transfert aux États de la dette des pays les plus fragiles, espérant ainsi consolider l’ensemble. En réalité, cela le fragilise et revient à faire reposer sur un nombre de pays plus restreint une charge de plus en plus lourde. Contribuant à propager le processus qui accroît les risques sur le marché obligataire en général, trompé par la qualité des meilleurs émetteurs qui résulte également du report des investisseurs délaissant les autres trop risqués.


Ces investisseurs devraient lire avec attention le dernier rapport annuel du FMI, et en particulier la partie consacrée à l’Allemagne. « L’Allemagne n’est pas une locomotive économique pour l’Europe », y est-il écrit, « ses perspectives de croissance à long terme restent faibles et majoritairement dépendantes de ses exportations ». A moyen terme, le rapport considère que l’Allemagne dépassera difficilement, sur sa lancée actuelle, un taux de croissance de l’ordre de 1 à 1,25 %. On sait aussi que si les exportations allemandes ont progressé en direction des pays émergents, la Chine n’est que le septième client allemand par rang d’importance, loin derrière la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Autriche. L’attachement du gouvernement allemand à la zone euro n’est pas chose feinte.


Si les États sont en fâcheuse posture, les banques ne sont pas aussi florissantes qu’elles veulent le faire croire. Les stress tests des banques européennes, dont les résultats doivent être publiés vendredi prochain par l’EBA (European Banking Authority), vont à nouveau être un thermomètre mal étalonné. Il a été exclu des risques mesurés ceux qui portent sur la dette souveraine, pour ne s’en tenir qu’à la seule divulgation de leur exposition, ce qui est proprement risible dans le contexte actuel. Sans compter ce subterfuge comptable grossier qui ne prend en compte pour toute dévalorisation que les titres classés dans le trading book, alors qu’ils sont pour l’essentiel comptabilisés dans le banking book, c’est à dire destinés à être conservés jusqu’à leur maturité.


Quoiqu’il en soit, les ministres européens n’ont pas été longs à se décider hier, contrairement à leur lenteur sur d’autres sujets, pour s’engager à soutenir les banques qui malgré tout échoueraient aux tests, selon « des mesures appropriées » ont-ils précisé, pour ne pas dire les mots qui fâchent.


Dans son éditorial, le Financial Times a adopté le ton mesuré du genre et présenté un jugement balancé sur ces tests, voulant y voir un progrès par rapport aux précédents, en dépit de leurs manques. Mais sa dernière phrase témoignait d’une étroite approche du sujet, voulant voir dans cette seconde occasion « la meilleure chance pour l’Europe de séparer les brebis malades du troupeau dans le secteur bancaire. » C’est ne pas reconnaître que tout le troupeau est à un degré ou à un autre malade !


Les banques allemandes en sont davantage conscientes, qui viennent de tenter une nouvelle fois d’éviter la publication détaillée des résultats des tests. ZDA, le lobby des banques, a adressé à ce propos un courrier au régulateur européen, l’EBA. Cette divulgation pourrait en effet, selon lui, rien moins qu’à la fois exacerber la charge de la dette souveraine, violer la confidentialité des affaires et exposer les banques à des risques juridiques.


En réalité, les banques sont en conflit avec l’EBA à propos de la prise en compte des titres hybrides dans la nomenclature des fonds propres durs, et craignent que la simple mise à jour de leur exposition à la dette souveraine, par pays et selon les maturités, leur soit préjudiciable en raison de leur faiblesse intrinsèque.


Comme quoi, les valeurs refuge ne sont plus ce qu’elles étaient et le système financier allemand, après avoir sauté à pieds joints dans les actifs hypothécaires pourris américains, n’est pas pour autant tiré d’affaire en raison de la crise générale de la dette publique qui s’annonce.


Le Comité sur les risques financiers de la BRI vient de rendre public une nouvelle étude, dans le cadre de laquelle il estime que, comme précédemment cité, « La hausse du niveau d’endettement de certains États a d’ores et déjà conduit à ce que les obligations d’État de ces pays perdent leur statut d’investissement sans risque et d’autres pays risquent d’être affectés par cette tendance. » Remarquant que les banques sortiraient affaiblies d’une restructuration de la dette publique et surtout que leur financement deviendrait plus coûteux.


Alors qu’elles tentent de diminuer et d’étaler le plus possible dans le temps les nouvelles contraintes auxquelles elles vont être assujetties, une fois passées par le moule de la régulation européenne dont elles attendent beaucoup pour les réduire, les banques doivent donc faire face au renchérissement du coût de leurs fonds propres ou assimilés. Résignées à voir leur rendement diminuer, elles tentent de limiter les dégâts.


Cette situation n’est bien entendu pas propre aux banques allemandes. Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire de la BCE, évoquait hier celle des banques italiennes pour reconnaître qu’elles ont « une capitalisation basse par rapport à leurs concurrentes étrangères ». Constatant que « sur les marchés, la crise des dettes souveraines s’est étendue aux titres bancaires », pour admettre qu’il y a en Italie « une forte corrélation entre risque souverain et risque bancaire, en raison du caractère élevé de la dette publique [italienne] et parce que les banques détiennent une quantité importante de titres souverains ». Il en tirait comme conclusion que « le processus de recapitalisation des banques devait être accéléré ». Mais comment ? Voilà une bonne question à laquelle il n’a pas répondu.


La fragilité de la dette publique, ainsi que ses conséquences sur la solidité des banques privées, ainsi que sur leur rentabilité, n’est pas un phénomène européen. Les États-Unis sont en situation de prendre le relais, en grand comme ils savent si bien le faire. Si le marché obligataire devait y trembler, vers quoi et qui se réfugieraient les investisseurs qui le soutiennent faute de mieux ?


Dans l’immédiat, les chiffres du mois de mai pour le commerce extérieur américain montrent que son déficit augmente, les exportations diminuant et la facture pétrolière augmentant. De toutes les manières disponibles pour décrire la dette américaine, peut-être la plus explicite consiste à remarquer qu’elle a cru au 1er trimestre de cette année environ six fois plus vite que le PIB. Quel que soit l’accord à l’arraché qui pourrait être trouvé à propos du déplafonnement de la dette, si c’est le cas, le tour du sujet aura été loin d’être fait. Pour être possible à grande échelle et rapidement, le désendettement, l’expérience l’a montré, doit s’appuyer sur une forte croissance et une dévaluation monétaire. La Fed et le Trésor font ce qu’il faut pour que le dollar reste faible, mais ils ne peuvent visiblement rien pour doper les exportations, alors que la consommation intérieure est inévitablement en berne.


Les discussions à propos du relèvement du plafond de la dette ne s’annoncent pas sous les meilleurs augures, si l’on en croit le président de la minorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell, qui vient de déclarer : « J’ai peu de doutes sur le fait que tant que ce président est dans le bureau Ovale, une solution est impossible ». De fait, tant la dynamique dans laquelle les républicains se sont engagés que la détermination de nombre d’entre eux à tout faire pour que Barack Obama chute laissent planer une grande incertitude sur la suite des événements dans les tous prochains jours.


Billet rédigé par François Leclerc


Paul Jorion



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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