Les
prévisions de croissance baissent, les trous financiers se creusent
davantage que prévu, les manifestations et les grèves
s’intensifient, les dirigeants européens ferment unes à unes
les portes qu’ils avaient un peu entrouvertes. Telles sont sans
surprise excessive les nouvelles du jour.
Obéissant
à une loi non écrite, Standard and Poor’s
confirme la prévision d’une récession européenne
en 2012 (-0,8 %) et annonce une stagnation en 2013 : chaque fois que
l’on s’approche de l’échéance, les
résultats empirent pour toujours s’améliorer
lorsqu’elle est plus lointaine, et ainsi de suite. La fois
précédente, un rebond de 0,4 % était néanmoins
prévu en 2013, il a disparu. L’Espagne et l’Italie sont en
queue du peloton des pays de la zone euro. « Sombre tableau »,
annonce l’agence de notation.
Les
unes après les autres, les régions espagnoles demandent
l’aide du fonds mis en place par le gouvernement de Madrid :
après la Catalogne, Valence et Murcie, l’Andalousie tend
également la main. Le montant des requêtes atteint
déjà 15 milliards d’euros – et ce n’est
qu’un commencement – pour un fonds calibré à 18
milliards et dont le financement n’est pas encore effectif. Exprimant
le sentiment de révolte nationaliste qui anime les Catalans, des
élections régionales anticipées sont convoquées
le 25 novembre prochain, afin d’exprimer leur droit à
l’auto-détermination et faire une démonstration de force.
L’enjeu est de pouvoir lever l’impôt et diminuer ensuite la
part qui serait versée à Madrid, dans le but de diminuer le
déficit.
En
Italie, la Ligue du Nord n’est pas en reste. Elle revendique de
s’inspirer du modèle espagnol pour exiger que 75 % du montant
des revenus fiscaux soient conservés par ce qu’elle appelle une
« macro région », qui pourrait englober le Piémont,
la Vénétie et la Lombardie. Les riches se barricadent pour se
protéger des pauvres.
On
attend pour vendredi prochain le rapport sur les besoins de financement des
banques espagnoles d’Oliver Wyman, le
consultant mandaté, sans se faire d’illusion sur sa conclusion
très circonstanciée, comme nous y sommes accoutumés. Les
estimations varient entre 60 et 100 milliards d’euros… «
pour commencer » ajoutent les analystes de la banque d’affaires
japonaise Nomura.
Du
côté grec, c’est Der Spiegel qui cite un rapport
préliminaire de la Troïka estimant que le trou
budgétaire devant être comblé afin de revenir dans les
clous du plan de sauvetage est de 20 milliards d’euros, et non
pas de 11,5 milliards puis de 13,5 milliards, chiffre qui continue
d’être évoqué. En prenant en compte ce dernier
montant, encore un tiers de celui-ci reste à trouver d’un commun
accord avec les représentants de la Troïka qui ont
quitté Athènes pour une semaine, ont-ils annoncé, le
temps sans doute que la situation se décante au niveau
européen. Cela n’en prend pas le chemin, la BCE ayant par la
bouche de Jörg Asmussen fermé la porte
à toute perspective de rééchelonnement de la dette
grecque – dont elle est devenue la grande détentrice – car
cela constituerait selon elle une aide budgétaire à un
État formellement interdite par ses statuts. Retour à la case
départ, puisque les Allemands ne veulent pas entendre parler d’une
rallonge financière. Il se confirme que les représentants de la
Troïka sont divisés entre eux, le FMI faisant bande
à part.
On
le sait, il faut protéger à tout prix le système
financier, BCE – qui en est la clé de voûte –
comprise. C’est toujours de ce côté-là qu’il
faut chercher les vrais ressorts. Ainsi, les banques allemandes sont
exposées en Espagne à hauteur de 139,9 milliards de dollars
(dont 45,9 milliards aux banques), selon la Banque des règlements
internationaux (BRI). Si elles se sont largement protégées en
ce qui concerne la dette publique, il n’en est pas de même du
reste de leur exposition. Ce qui a conduit Moody’s à
dernièrement assortir leur notation de la mention «
négative », soulignant que leur vulnérabilité
pourrait coûter à l’Allemagne sa note AAA, s’il est
également pris en compte leur exposition en Italie. Pour la petite
histoire, les engagements des banques allemandes en Espagne – plus
particulièrement des Landesbanken, les
banques régionales – ont pris la forme de covered
bonds (obligations sécurisées) qui sont couvertes par du
collatéral. En l’occurrence des crédits
hypothécaires… Le voile se lève lentement sur la
situation effective du système bancaire allemand, expliquant le refus
que leur surveillance soit attribuée à la BCE. Le sauvetage de
l’Espagne, c’est aussi celui des banques allemandes…
Un
communiqué commun des ministres des finances allemand, finlandais et
néerlandais met en cause les décisions du sommet de juin
dernier à propos de l’union bancaire. Le propos est que les
banques malades doivent être soutenues par le FESF/MES et non pas sur
la base d’une mutualisation du risque via une taxation des banques
européennes. Seules les banques en bonne santé (comment le
déterminer ?) seraient admises au sein de la future union
bancaire… Aux États de prendre à leur charge le
renflouement des banques suite à leurs turpitudes. Au moins, les
choses sont claires. Quant à la rupture du lien d’endettement
entre eux et les banques, identifié comme un danger majeur, elle passe
aux oubliettes.
Wolfgang
Schäuble est en passe de devenir un
maître dans l’art de lever un rideau de fumée. «
L’Espagne va très bien du point de vue économique et de
la politique budgétaire » a-t-il affirmé. Ce qui lui
manque « c’est la confiance des marchés ». Pourquoi
? Il ne le dit pas. « L’Espagne a besoin que s’arrête
la spéculation » a-t-il ajouté. Comment ? Il ne le dit
pas davantage. Tout au plus suggère-t-il sur le mode de la
plaisanterie qu’elle a besoin d’un conseiller en communication.
On est tombé bien bas.
Grève
générale en Grèce, manifestation des Indignés
hier à Madrid devant le Congrès des députés,
confortés par l’ampleur des mobilisations portugaises, le chaos
continue de s’installer dans les pays de l’Europe du Sud. «
Mains en l’air, ceci est un hold-up » criaient hier soir les
manifestants, exprimant à la fois le caractère non-violent de
leur action et ce qu’ils subissent en raison de la multiplication sans
fin des mesures de rigueur. Des pancartes proclamaient «
démocratie économique », tandis que les manifestants
scandaient « la démocratie est séquestrée !
».
Le
gouvernement allemand repoussant tout sauvetage financier de l’Espagne
et la BCE refusant – avec l’accord des Allemands – de
restructurer la dette grecque, les issues sont refermées. Jeu
dangereux : les conditions sont réunies pour que le dérapage
reprenne et atteigne l’Italie.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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