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Lorsqu’elle a éclaté, la crise a été marquée par un déni majeur dont l’on
continue à payer les effets, et un autre s’est depuis institué. Soi-disant,
les banques ne connaissaient qu’une crise de liquidité – et non de solvabilité
– et les gardiens du Temple s’en tiennent aujourd’hui mordicus à la fiction
de la soutenabilité de la dette, tandis que les banques centrales continuent
de lutter pour stabiliser un système financier sous-assistance.
La Grèce illustre de manière particulièrement criante que cela n’est pas
le cas, et cela va être l’enjeu du nouveau round de négociations, si celui
qui est en cours n’aboutit pas à un clash. Que faire, va-t-on alors devoir
s’interroger, une fois révolus les quatre mois de l’extension du plan de
sauvetage en négociation acquis ?
Il a été déjà admis implicitement que l’objectif initial d’excédent
primaire de 3% ne pourra pas être atteint en 2015, mais celui des années
suivantes n’a pas été touché. Or, il n’est pas plus vraisemblable, fixé à
4,5% en 2016. Cet objectif et celui des années suivantes ont été calculés sur
un coin de table afin d’accréditer la fiction d’un lent remboursement
progressif de la dette. Mais le plan d’amortissement de la dette – comme
disent les banquiers – est malgré la révision qui est précédemment intervenue
une mauvaise plaisanterie, qu’il faudra tôt ou tard réviser : les échéances
annuelles ne sont pas tenables. Et les esprits les mieux intentionnés, mais
engoncés dans leurs vêtements, n’ont pas pu démontrer le contraire.
L’hypothèse d’une nouvelle restructuration de la dette grecque de l’Institut
Bruegel repose sur son nouveau rééchelonnement et la réduction de son taux,
mais elle ne résout toujours pas l’équation, ayant le mérite involontaire de
montrer les limites de la méthode employée.
Il ne peut être évité de prendre le problème à bras le corps, en
reconnaissant que la dette n’est pas insoutenable pour des raisons non
seulement économiques, mais également sociales et politiques, comme on vient
d’en avoir un avant-goût. On voudrait pousser la Grèce à sortir de l’euro
pour faire défaut sur sa dette que l’on ne s’y prendrait pas autrement, les
créanciers devant alors en assumer les conséquences politiques face à leurs
propres électeurs. Jouer la carte du découragement est un pari dangereux.
Dans le contexte européen déflationniste qui se confirme, il n’y a pas
d’autre issue qu’une restructuration de la dette, un tabou qui sera d’une
manière ou d’une autre et tôt ou tard brisé. De ce point de vue, il n’était
pas garanti que la proposition de Yanis Varoufakis soit une panacée, mais
elle avait beaucoup plus de chance de réussir que les aménagements qui seront
concédés, et avait surtout le grand intérêt d’éviter une décote. Or, elle n’a
pour l’instant même pas été relevée, le déni justifiant de l’ignorer.
Ce mécanisme novateur proposait de lier le remboursement de la dette à la
croissance – à laquelle le débiteur et les créanciers avaient alors un
intérêt commun, supposant de laisser au premier les moyens de l’impulser – et
impliquait que la BCE accepte le principe d’un échange des titres détenus
contre d’autres perpétuels et dont seuls les intérêts seraient payés. Elle
n’imposait que de dégager un excédent budgétaire de 1,5%, plus réaliste d’un
simple point de vue économique, social et politique. S’il y a une occasion de
manquer qui se profile, c’est bien celle qui consiste à ne pas prendre en
considération ce plan.
Les faits sont têtus et les rapports de force n’y changeront rien.
Continuer de prétendre que les excédents budgétaires permettront de
rembourser la dette est un chimère qui ne pourra être tenue.
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