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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Après
la téléconférence des ministres des finances du G7 de la
fin de la semaine dernière, présentée de la
manière la plus anodine possible une fois révélée
de Tokyo, ceux de l’Eurogroupe vont se
retrouver une nouvelle fois à Bruxelles lundi matin. Avec une grosse
question à l’ordre du jour : comment stopper la chute
brutale de l’euro, qui a repris ?
Ils
vont devoir faire face à une situation paradoxale : les
marchés, après s’être inquiétés
de l’ampleur des déficits publics et avoir réclamé
des mesures énergiques pour les diminuer, craignent maintenant que ces
mêmes mesures n’entravent la croissance économique…
Wolfgang
Schäuble, le ministre allemand, vient de
prévenir dans le Spiegel qu’il va plaider pour la mise en place
d’un « programme concerté » de
réduction des déficits budgétaires. Angela Merkel a appelé les membres de la zone euro
à « mettre de l’ordre dans leurs finances
publiques » et à « améliorer leur
compétitivité ». Mais les Allemands sont en retard
d’un train, une nouvelle fois.
Dénoncer
la simple spéculation sans en chercher les raisons, comme ils
s’y tentent, sans les combattre, c’est se résoudre
à perdre d’avance la bataille qui est désormais
engagée à l’échelon supérieur. Exit la
Grèce, bonjour l’Europe. Crier au diable ne l’a jamais
fait renoncer. C’est lui qui imprime sa marque aux
événements, reléguant les gouvernements – à
la tête des Etats – dans un rôle subalterne qu’ils
cherchent à nier contre toute évidence.
Jean-Claude
Trichet, président de la BCE, qui cultive le genre mesuré et
ferme, vient de reconnaître que les marchés se trouvent
« dans la situation la plus difficile depuis la deuxième
guerre mondiale, voire depuis la première (…) Nous avons
vécu et vivons des temps véritablement dramatiques »
a-t-il poursuivi, révélant que, la semaine dernière,
« les marchés ne fonctionnaient plus, c’est presque
comme au moment de la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008″.
A propos du krach
boursier intervenu aux Etats-Unis le 6 mai dernier, qu’il a interprété
comme un avertissement, Ben Bernanke, le
président de la Fed, vient de déclarer qu’ »il
n’y a pas de possibilité d’éliminer les crises
financières, même les plus graves, mais cela ne signifie pas
qu’il n’y a aucune occasion significative de réduire les
risques et les effets ». Il pourra toujours dire, maintenant,
qu’il avait prévu la prochaine, bien qu’il pourrait mieux
faire et expliquer comment sortir de l’actuelle.
En
attendant, il élève les crises financières au rang de catastrophe
naturelle, justifiant l’intervention de l’Etat pour en
réparer les débats à sa façon, annonçant
que, tout comme les tremblements de terre ou les éruptions
volcaniques, nous ne pouvons que les subir sans même savoir les
prévoir. Il justifie les sacrifices à venir sur l’autel
d’une rigueur qui n’est qu’une croyance travestie.
Est-ce bien raisonnable ?
Tirer
le bon petit fil rouge met pourtant à portée la
résolution de la crise actuelle. Le fil qui a été choisi
n’avait d’attaché que la réduction des
déficits publics grâce à un mélange de mesures
d’austérité et fiscales, que va-t-il réellement
offrir au bout ? Pourtant, si au cours de cette pêche miraculeuse deux
autres fils étaient saisis avec adresse, permettant d’attraper
pour les démêler l’inséparable duo formé par
la dette privée et publique, soudées dans une relation
incestueuse, le gros lot serait en vue.
Venons-en
aux faits. Contre toute vraisemblance, on continue de soutenir que le
système bancaire est redevenu solide sur ses pieds, au vu de ses
résultats trimestriels qui se succèdent sur un mode flamboyant.
Ce qui est démenti par les nouvelles mesures adoptées par la
BCE, dont l’objectif prioritaire est, une fois encore, de venir au
secours des banques. Car ce choix a bien été fait, sans
naturellement être explicité. L’option en a
été également vivement recommandée
outre-Atlantique, comme en témoignent les largesses sans façon
du FMI ainsi que les interventions de Barack Obama et de la Fed, qui se sont mis à craindre une
contagion systémique atteignant les banques américaines.
Avec
la bénédiction de tous, la BCE achète désormais
des obligations d’Etat sur le marché secondaire, c’est
à dire aux banques. Elle prête à celles-ci, avec un
intérêt de 1% et en quantité illimitée, de la liquidité,
c’est à dire des fonds. Ce qui leur permet en toute
sécurité de souscrire aux émission
des Etats, dont les obligations seront rachetées. Quand on utilise des
mots simples, le mécanisme n’a rien de compliqué ! Et que
l’on ne vienne pas chipoter sur ces obligations que les banques
s’étaient engagées auprès de leur gouvernements
à ne pas céder, et dont ne sait plus très bien
dorénavant où elles se trouvent…
Il
reste donc de petits mystères à percer, ceux qui font toute la
beauté étrange d’une banque centrale, enveloppée
dans d’opaques voiles (défendant son intégrité
avec opiniâtreté, un vote unanime du Sénat
américain vient de réaffirmer celle de la Fed, qui a consenti
à un petit examen de la Cour des comptes pour éviter le pire).
Ainsi, on connaît le taux auquel la BCE prête de l’argent aux
banques, mais on ne sait pas à quel prix elle leur achète leurs
obligations d’Etat. Si c’est au prix du marché, les
banques enregistrent une moins-value pour les obligations qu’elles
avaient dans leurs livres. On ignore également si des limites de volume
ou de temps ont été fixées à cette intervention.
Ne
faisons pas les difficiles, ce mécanisme a déjà fait
descendre les taux obligataires des sommets qu’ils avaient atteints. Le
hic est qu’ils ne sont pas redescendus à des niveaux
supportables, ce qui fait problème pour la suite. Car cela implique la
poursuite de l’intervention de la banque centrale. Les Etats en
situation de faiblesse, et qui auront été soutenus, ne pourront
en effet pas revenir pour se financer sur le marché auquel ils
sont actuellement soustraits. Serions-nous une nouvelle fois placés
dans un cas de figure, déjà rencontré, face à des
mesures qui – une fois mises en application, comme l’ont
été les injections de liquidité – ne peuvent plus
être rapportées ?
Si
cela devait se confirmer, la pente serait glissante qui amènerait la
BCE, toute honte bue en raison de ce reniement suprême, à
pratiquer stricto sensu une politique de création monétaire.
Qui ne doit pas être automatiquement associée à la
relance de l’inflation, car où se trouveront les
liquidités déversées, une fois que les banques en auront
bénéficié. Dans l’économie ? peu probable.
Dans ces conditions, l’inflation qu’elles relanceront risquera
fort d’être celle des actifs, et non celle des prix à la
consommation ou à la production. Celle-là n’est pas
mesurée, on croit à tort pouvoir respirer !
On
se focalise sur la création monétaire et ses dangers, fort
bien, et l’on oublie le principal d’entre eux : la bulle des
actifs qui continue d’enfler. Dans ce système qui marche sur la
tête, c’est donc le prix à payer pour dégonfler la
dette publique ! Il risque d’être à nouveau
élevé, lorsque la bulle éclatera car c’est son
destin, impliquant un nouveau sauvetage du système financier. Le
capitalisme financier a inventé la crise perpétuelle.
Va-t-il
être possible de nier pendant longtemps – non plus la poursuite
lancinante de la crise, car ce ne serait plus crédible – mais
une autre incontestable et douloureuse vérité ? De toute
urgence, c’est le système bancaire qui devrait faire
l’objet de toutes les attentions (mais pas les mêmes
qu’actuellement). C’est ainsi seulement que la question de la
dette publique pourra entrer sur le bon chemin de son règlement. Dans
le couple maudit dette privée / dette publique, il a
été fait une mauvaise pioche qu’il est possible de
réparer : ce ne sont pas les banques qu’il faut financer,
afin qu’elles achètent de la dette publique pour la revendre, au
profit de leurs spéculations financières ; c’est la dette
publique qu’il faut réduire en imposant aux banques de subir le
coût de l’opération.
En
d’autres termes, tenter de leur interdire telle ou telle
activité périlleuse par des mécanismes par nature
imparfaits, leur permettre d’augmenter leurs fonds propres en les
laissant à nouveau utiliser pour y parvenir des artifices, essayer de
réguler l’inréglable, ou de
tout faire reposer sur un impossible calcul des risques, c’est rester
à la surface des choses. Cette régulation-là sera
toujours à côté de la plaque.
S’attaquer
au marché en lui faisant assumer le coût de la crise,
à concurrence de l’accroissement brutal de la dette publique qui
en a résulté du fait de ses acteurs, est la seule solution
réaliste. Car le niveau sans précédent atteint par la
dette publique n’a pas d’autre origine que la crise
financière et ses conséquences. Une fois ceci admis, comment
croire que c’est en serrant les dépenses d’investissement
et de fonctionnement des Etats que l’on va pouvoir régler le
problème ? C’est ce tromper de cible et, de plus, prendre tous
les risques de ne pas y parvenir. C’est cela ou alors
l’inflation, agitée comme un spectre. Que l’on ne vienne
pas nous dire que l’on est contre cette dernière afin de
protéger le petit rentier, il a bon dos dans l’affaire !
Décréter
une forte décote de la dette publique, sélective afin de
choisir sa cible et d’épargner ceux qu’il ne faut pas
ruiner, n’est pas une mince affaire ; évidemment
présentée comme impossible. Les lobbies des hedge
funds britanniques n’utilisent pas un autre
argument pour s’opposer à la réforme européenne en
cours, ils se découvrent les plus ardents défenseurs des charities, ces fonds de bienfaisance dont les
budgets sont grossis par leurs spéculations. Ceux qui aux Etats-Unis
s’opposent à la régulation des produits
dérivés, se réfugient derrière la défense
des intérêts des entreprises et producteurs qui s’en
servent effectivement comme des assurances, comme des terroristes qui
font de leurs victimes des remparts.
Certes,
une action résolue de cette nature opérerait une ponction
brutale à la masse des capitaux dits flottants, dont
l’horizon n’est que la spéculation. Cela reviendrait
à faire non pas oeuvre de Dieu, mais de
salut public. En complément avec l’interdiction des paris sur
les fluctuations des prix, qui restreindrait très
considérablement la taille du terrain de jeux, et empêcherait de
recommencer la partie. Il n’y a pas trente six mille manières
pour remettre à sa place l’activité financière et
stopper sa fuite en avant.
« Les
riches peuvent payer », dit la sagesse populaire quand elle
n’applaudit pas à un Robin des Bois de fortune. En
l’occurrence, la dynamique d’une telle mesure irait plus loin que
ne l’a été le généreux brigand de Sherwood.
Car le système bancaire tout entier serait emporté dans un
implacable maelstrom, impliquant de le remettre ensuite d’aplomb. Ce
qui pourrait avoir été anticipé, cette fois-ci. Nous
nous retrouverions dans la situation qui a suivi la chute de Lehman Brothers, mais pour
procéder tout autrement. En ressortissant, pour l’appliquer, le schéma
inventé par Willem Buitter qui proposait de
sortir les dépôts des banques (devenues des bad
banks) pour, sous l’autorité de la
puissance publique, les placer dans de nouvelles banques (appelées good
banks), qu’elle créerait. (Il
ajoutait en vue de les privatiser ultérieurement, pour être
honnête, mais ne précipitons pas les choses !).
Ce
schéma – purement théorique à ce stade, est-il
besoin de le souligner, mais sur quoi les autres reposent-ils ? –
réglerait de nombreux problèmes. Il aurait, entre autre
avantage, de ne pas essayer de résoudre un problème
d’endettement par l’empilement de nouvelles dettes. Une logique
sans fin que le FMI voudrait bien briser, si la possibilité lui en est
accordée, en s’engageant dans une politique de super
création monétaire, une échappatoire de plus.
Qu’il pourrait opérer dans le cadre d’une restructuration
globale du système monétaire international, par contre
inévitable.
Ce
qui va advenir est totalement imprévisible, mais il peut être
par contre affirmé, sans risque de se tromper, que ce ne seront pas
des demi-mesures qui permettront de sortir de la crise actuelle, telle
qu’elle est engagée et ne cesse de rebondir. Est-ce que cela
n’autorise pas à préconiser une solution radicale, car de
toute manière celle qui sera tentée le sera, quelle
qu’elle soit ? A proposer alors de changer de système, en
arguant que cela ne sera pas un drame, en tout cas moins que de vouloir
à tout prix le sauver ? Mais tout dépend, il est vrai, du
point de vue où l’on se place.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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