De sévères plans de
rigueur se succèdent et s’amplifient dans une large partie de
l’Europe. Pas uniquement en Grèce et Espagne,
particulièrement touchés, mais également en Irlande, au
Portugal et prochainement au Royaume-Uni.
Au prétexte que
« le vrai risque serait de ne rien faire », George
Osborne, ministre de l’économie britannique prédit que
« notre plan va permettre une croissance de
l’économie, c’est ce que
j’espère », ne semblant pas en être trop
certain. Toute la philosophie de sa « réforme de
l’Etat providence » tient en une terrible phrase: il
s’élève contre « la profonde injustice
[d’un système] qui piège des millions de nos concitoyens
dans la dépendance, tandis que des millions d’autres doivent en
payer la facture ».
En Irlande, une quatrième
version du budget est annoncée, prévoyant des coupes
budgétaires supplémentaires d’environ 4 milliards
d’euros, la banque centrale révisant à la baisse ses
prévisions de croissance 2011 à 0,2%. En Espagne, le nombre des
chômeurs a progressé durant le mois de septembre de 1,2% par
rapport à août : plus de 4 millions d’Espagnols sont
officiellement demandeurs d’emplois. Le gigantesque parc de logements
neufs invendus ne bouge pas. Les Grecs préparent leur projet de budget
2011, les recettes n’étant pas au rendez-vous escomptés,
ce sont les dépenses qui vont être réajustées. Le
chômage va prévisionnellement monter
à plus de 14,5% l’année prochaine, pour encore progresser
l’année suivante, tandis que les prix augmentent en raison
d’une fiscalité accrue.
La zone euro est coupée en
deux, comme par une ligne de démarcation invisible. La partie
sinistrée s’étendant progressivement sur la carte.
Les prévisions de
croissance sont en général revues à la baisse, en
proportion de la rigueur, ou bien sont de circonstance. Les statistiques du
chômage se détériorent, rendant encore plus raide la
pente à gravir. Après une nouvelle alerte due au
périlleux sauvetage bancaire irlandais, en permanence au bord de la
crise, l’Europe s’est installée dans l’attente de
celle qui va lui succéder.
L’accalmie sur le
marché obligataire qui a succédé à ce dernier
épisode induit une détente sur les taux – y compris des
pays les plus mal côtés – mais cela peut repartir dans
l’autre sens à la première occasion et
n’empêche pas les taux de rester inabordables pour les pays de la
zone des tempêtes. Les Grecs bénéficiant du soutien des
Chinois, prêts à aider à la souscription de leurs
prochaines émissions obligataires de longue durée, après
avoir démarché les pays du Golf. Une aide à la zone
euro, alors que le ton monte avec les Américains.
Les banques donnent des signes
renouvelés et inquiétants de fragilité, quand elles
avaient jusqu’à maintenant réussi à les contenir
ou même les masquer. La situation des Landesbanken
allemandes – dont quatre sur huit sont des gouffres financiers ayant
déjà absorbé 20 milliards d’euros – fait
l’objet d’interminables concertations, afin d’aboutir
à des restructurations qui traînent en longueur. Ce qui ne fera,
une fois abouties, que rendre leurs faiblesses additionnées encore
plus déstabilisantes. Les laissant tout aussi démunies devant
la nécessité de lever des capitaux pour renforcer leurs fonds
propres.
Les banques françaises, BNP
et SocGen en tête, peinent à
dissimuler les difficultés qu’elles vont rencontrer pour se
conformer aux prochaines exigences de renforcement de leurs fonds propres,
après avoir fanfaronné en expliquant qu’elles puiseraient
dans leurs bénéfices. Alors qu’il est de plus en plus
question que ces exigences soient accrues pour les mégabanques
systémiques, au rang duquel elles se trouvent. Morgan Staney vient de rajouter du sel dans la plaie à ce
propos, en publiant une étude, et les valeurs en bourse des principaux
établissements financiers français continuent de
régulièrement baisser.
Les banques britanniques, prises
entre les conséquences de la crise économique et ces
mêmes obligations, pourraient pour certaines d’entre elles avoir
à nouveau besoin de l’aide de l’Etat, selon New Economics Foundation (NEF) un thinktank londonien qui a étudié leurs
besoins de financement pour l’année à venir.
Il n’y a pas de complaisance
à peindre plein d’incertitudes et de chausses-trappes
ce tableau de l’Europe. Pas plus qu’il y en a à voir venir
avec inquiétude les élections américaines et le risque
d’une paralysie de l’exécutif qui en résultera
probablement. Dans un contexte où les conciliabules se poursuivent,
devant finalement aboutir début novembre à une nouvelle
intervention financière de la Fed, qui chaque jour se confirme. La
seule initiative qui peut peut encore être
prise dans le contexte actuel, qui va aviver encore le désordre
monétaire actuel.
De son côté, la Bank
of Japan – en réunion pour deux jours
en ce début de semaine – pourrait augmenter son programme
d’injection de liquidités dans les banques et acquérir
à nouveau des bons du Trésor japonais, son taux directeur
étant quasiment déjà à son plancher, à
0,1%.
Le prochain G20 va donc devoir
gérer une situation où les uns donnent la priorité
à la relance en faisant tourner la planche à billet
(Etats-Unis, Japon et probablement Royaume-Uni) tandis que l’Europe
à contrario se crispe sur la réduction des déficits
budgétaires. En fait de coordination, on fait mieux. Cela ne sera
à l’avantage ni des uns, ni des autres.
Un autre grand sujet va
s’inviter à la réunion de Séoul. Celui du
désordre monétaire généralisé qui est en
train de s’instaurer et qui résulte en premier lieu de la baisse
se poursuivant du dollar, entraînant la revalorisation des autres
devises. Les dirigeants Chinois ont beau jeu, dans ces conditions, à
réclamer une « relative » stabilisation des
cours des monnaies. Incluant le yuan dans le paquet. C’est en tout cas
ce que vient de déclarer – pour couper court aux pressions dont
il est l’objet – Wen Jiabo, le premier ministre, à l’occasion de
l’Asem (Asia Europe
Meeting) qui réunit 46 pays européens et de la zone
Asie-Pacifique. La stabilisation devrait selon lui être relative pour
ne pas dire totale – ce qui serait contraire à la doctrine
monétaire en cours – sans qu’il définisse les
moyens qui permettraient d’y parvenir dans un système à
taux de change flottant sensé s’auto-réguler.
D’accusateurs, entre temps, les Etats-Unis deviennent accusés.
Quand on écoute les
échos des dérisoires négociations en cours à
propos de la distribution des fauteuils au conseil d’administration du
FMI, où les Européens et les Américains jouent au poker menteur,
on ne s’étonne pas de l’impuissance qui règne
à propos du marché monétaire. Ce n’est pas non
plus la lettre que l’’Institut international de la finance (le
lobby des mégabanques) vient
d’adresser aux participants à l’assemblée mondiale
du FMI qui va s’ouvrir vendredi qui modifiera le cours des
événements. L’IFF y oppose à
« l’unilatéralisme » qui se propage sur
« les questions macroéconomiques, de commerce international
et de changes » – qui « menace la
stabilité du monde » – la nécessité
« d’engager sérieusement une négociation
multilatérale »…
Une musique un peu discordante va
se faire entendre lors de cette assemblée à propos de la
régulation financière. Une étude du FMI intitulée
« Modeler le nouveau système financier » vient
d’apporter de l’eau au moulin à ceux qui réclament
le durcissement des mesures de renforcement des fonds propres des mégabanques. Tel Mario Draghi,
président du Fonds de stabilité financière (FSB) qui
prépare pour le G20 de nouvelles mesures destinées aux banques
systémiques et s’inquiète, cette fois-ci sous sa
casquette de gouverneur de la BCE, de l’existence de
« banques zombies » devenues dépendantes du
soutien financier de la BCE.
La remarque des économistes
du FMI la plus intéressante est sans doute qu’il faudrait
maintenant s’intéresser aux « institutions
financière non bancaires », aux Etats-Unis le shadow banking.
Car elles ne sont pas concernées par les dispositions annoncées
ou encore en gestation. Enfin, selon cette même étude, le FMI
décèle encore de multiples et graves problèmes dans
l’encadrement du système financier mondial,
n’éliminant pas la possibilité d’une nouvelle crise
comme celle de 2008.
Ces préoccupations ne font
que souligner l’inquiétude qui prévaut dans les cercles
de régulateurs, qui ont conscience que le travail a été
fait à moitié – pour être charitable –
même s’ils ne remettent pas en cause la philosophie qui le veut.
Ce qui renvoie aux décisions que prendront les politiques, alors que
de grandes zones d’ombre continuent de subsister dans ce qui a déjà
été annoncé par le Comité de Bâle.
Le FMI a de son côté
annoncé qu’il allait soumettre 25 grands pays à un examen
régulier de leur système financier, grâce à un
« Programme d’évaluation ». Mettant
l’accent sur les limites d’une surveillance nationale pour des
établissements financiers qui se jouent des frontières, dans le
but de valoriser ce que pourrait être sa contribution. Ce qu’il
traduit dans sa note par la nécessité de mettre en œuvre
des réformes «pertinentes au plan national et cohérentes
à l’échelle internationale». Si l’on comprend
bien, la cohérence internationale serait de son ressort.
Beaucoup de discours et fort peu
d’actes: c’est ce qui ne peut que ressortir de la confusion dans
laquelle plus que jamais baignent les cercles dirigeants des pays développés.
Comment et combien de temps vont-ils encore s’amuser ainsi de la
galerie ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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