Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Encore confiné dans les coulisses de la finance, alors que la dette
publique tient le devant de la scène, un autre terrible drame se joue
actuellement, sur le modèle de ces romans-feuilletons qui ont connu
leur heure de gloire au XIXe siècle. Ses épisodes ne se
contentant pas de se succéder les uns aux autres, mais
s’empilant dans le désordre, sans que les
précédents aient pu connaître leur dénouement.
Les
acteurs de ce drame masqué sont encore une fois les banques, et son
décor déjà planté le marché obligataire.
Mais celui-ci dégage de nouvelles perspectives. De nombreux
émetteurs – Etats, entreprises et établissements
financiers – font appel à des marchés qui,
malgré le pluriel dont ils sont en général
affublés, ne font qu’un. Tous les émetteurs y faisant
appel simultanément, ses différents secteurs communiquent entre
eux et se contaminent mutuellement. Ainsi, la hausse des taux de la dette
souveraine se propage facilement sur ceux auxquels les entreprises et établissements
financiers des mêmes pays sont assujettis.
Quel nouvel
épisode découvrons-nous ? A la disette à laquelle
la dette souveraine est promise, et les grandes entreprises sont
déjà soumises, vient s’ajouter un troisième volet
: les banques rencontrent à leur tour des difficultés
grandissantes à se financer.
Les
tensions sur le marché-interbancaire – financement à
court terme – sont venues souligner la défiance qu’elles
se manifestaient entre elles. D’autres signaux sont apparus. Le
marché obligataire classique ne répondant plus que
partiellement à leurs besoins, elles ont du se tourner vers celui des covered bonds, les obligations
sécurisées.
140
milliards d’euros ont été levés sur ce
marché en pleine expansion, soit à mi-parcours de
l’année les deux-tiers du montant total de l’année
précédente. La BCE ayant ouvert la voie en lançant un
programme d’achat aux banques de 60 milliards d’euros de ces
titres, qui va se terminer à la fin du mois.
Les
banques trouvent ainsi des fonds qu’elles ne parviennent que
difficilement à lever autrement. Même si elles ne
bénéficient pas toutes, il s’en faut, du même
traitement. La raison en est que ces obligations sont donc
sécurisées, moins risquées, et que les investisseurs les
préfèrent. Mais la profondeur de ce marché (la
demande qu’il peut satisfaire) n’est pas
connue, ce qui alimente l’inquiétude ambiante. La phase actuelle
est encore de test.
En
résumé, les banques, vivement priées par les
régulateurs d’allonger la maturité de leurs emprunts dont
la proportion à court terme n’a cessé de croître,
afin de se renforcer, rencontrent de sérieux obstacles à le
faire, ou bien craignent que cela ne soit prochainement le cas.
La
BCE, assurant un rôle de plus en plus exigeant, essaye de contenir tous
les incendies. Elle a du revenir sur l’interruption –
annoncée en fanfare – de sa mise à dispositions de
liquidités à trois mois et à six mois, afin de se
substituer au marché inter-bancaire
défaillant. Car c’est sur celui-ci que les banques font
prioritairement rouler leurs emprunts. Elle est finalement intervenue
directement sur le marché de la dette souveraine – ses achats
ont déjà dépassé les 40 milliards d’euros
à ce jour – afin d’éviter que les taux ne grimpent
trop, atteignant par contagion l’ensemble du marché obligataire.
Elle a également acheté aux banques pour 56 milliards
d’euros de covered bonds
à ce jour, agissant donc sur tous les fronts. A ce rythme, son bilan
continue de gonfler, le risque d’un déséquilibre
s’accroissant, pouvant nécessiter qu’elle soit un jour
à son tour refinancée par… les Etats, qui sont ses
actionnaires (l’une des craintes des Allemands).
Deux
chiffres illustrent bien l’absurdité de la situation actuelle.
Ses opérations dites d’open market
(achats permanents et temporaires d’actifs) ont atteint la somme global
de 850 milliards d’euros, tandis que 450 milliards d’euros en
provenance des banques ont à l’inverse profité de son
programme de « facilités de dépôt » au
jour le jour, très faiblement rémunéré mais
offrant le meilleur refuge possible.
Cela
met en évidence que l’aversion au risque chère aux
analystes est très forte. Mais où est donc passé l’appétit
au risque si magnifié par les idolatres
des marchés ? Faut-il croire qu’il ne se manifestait que
lorsqu’il était, à tort, considéré comme
inexistant ?
Ce
serait une fâcheuse conclusion, alors que la demande est appelée
à continuer de croître dans tous les secteurs du marché
obligataire. Les Etats n’ayant pas atteint le pic de leur dette
publique, les grandes entreprises ne rencontrant pas le meilleur accueil
auprès des banques pour se financer, ces dernières devant faire
face à de multiples exigences. Elles sont nombreuses: importantes
dépréciations qui attendent toujours des jours
meilleurs, refinancement de leurs opérations en cours (dont les
LBO), augmentation générale des taux de défaut en raison
de la situation économique, menaces de restructuration pesant sur
leurs portefeuilles d’obligations souveraines, et enfin exigences
à venir de renforcement de leurs fonds propres….
Le
grand malade, c’est donc le système financier ! Il ne parvient
pas à absorber les ondes de choc successives de son implosion
initiale, en dépit de tous les soins dont il est entouré. Pour
emprunter (à taux zéro) son propre jargon, le capitalisme
financier a perdu la confiance qu’il avait auparavant en
lui-même. Il ne parvient pas à retrouver son assise. Il est
devenu son meilleur ennemi.
Au
1er juillet prochain, les banques de la zone euro vont devoir rembourser
à la BCE les 442 milliards d’euros empruntés il y aura
alors un an.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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