R.
W. Julian, de chez Numismatic News, a écrit un rapport fascinant sur les
débuts du bimétallisme aux Etats-Unis.
Aujourd’hui,
à l’âge de la monnaie fiduciaire, nous sommes bien loin de l’époque où les
pièces d’or et d’argent circulaient librement sur le marché. Au XIXe siècle,
les citoyens prêtaient grande attention aux pièces qui étaient utilisées, et
s’assuraient qu’elles étaient authentiques et de poids correct.
Lorsque
la loi de base sur le battage de monnaie fut votée par le Congrès en 1792, il
fut décidé que le système monétaire des Etats-Unis serait bimétallique, un
arrangement par lequel l’or et l’argent se trouvaient être d’égale
importance. La relation entre les deux métaux fut fixée à 15 onces d’argent
pour une once d’or, une relation que l’on appelle aussi ratio 15 :1.
Ce
ratio 15 :1 a été minutieusement étudié par le secrétaire du Trésor
Alexander Hamilton dans son rapport de maître présenté au Congrès en janvier
1791. Le Congrès n’en fit rien au premier abord, mais après l’intervention du
président George Washington à la fin de l’année 1791, les législateurs s’y
penchèrent et donnèrent naissance à la loi d’avril 1792 sur le battage de
monnaie.
Hamilton
a fixé le ratio or/argent à 15 :1, parce que c’est celui qu’utilisaient
les marchés financiers internationaux. Le problème que posent les ratios des
marchés est qu’ils changent au fil du temps à mesure que des gisements de
métal sont découverts et que les guerres viennent interrompre le commerce.
C’est ce qu’il s’est produit après 1799, et malheureusement, la nouvelle loi
ne permettait alors pas de mécanisme d’évolution du ratio.
Bien que la frappe de pièces
d’argent ait débuté à la Monnaie de Philadelphie en automne 1794, il fallut
attendre 1795 pour que les opérations soient lancées complètement. En
juillet, des pièces d’or commencèrent à être frappées, et la nation disposait
d’un système de frappe parfaitement opérationnel pour les deux métaux ainsi
que pour les pièces de cuivre, dont la frappe avait commencé en 1793.
En raison de l’absence de
transformations sérieuses sur les marchés internationaux à la fin des années
1790, la frappe des pièces d’or et d’argent continua son cours. Les deux
métaux étaient en circulation, bien que l’or fût essentiellement réservé aux
marchands et aux classes bancaires qui effectuaient d’importantes
transactions.
Notons également que, bien que
la Monnaie de Philadelphie fût responsable de la frappe de pièces dans les
trois métaux, les pièces étrangères représentaient le gros des pièces de
métal précieux utilisées sur les marchés Américains. Les pièces d’or et
d’argent Espagnoles se trouvaient partout. Il fallut attendre plusieurs
années pour que les pièces Américaines arrivent dans d’autres villes majeures
telles que New York et Baltimore.
Dès 1800, le ratio or/argent
commença à poser problème. Il atteint 15,5 :1, ce qui veut dire qu’il
fallait alors 15,5 onces d’argent pour parvenir à une once d’or. Les pièces
d’or des Etats-Unis se trouvèrent donc sous-évaluées et commencèrent à être
exportées vers l’Europe, notamment vers l’Angleterre et la France. Ce
changement ne s’est pas avéré particulièrement sévère au début, puisque l’or
Espagnol - notamment les doublons de 8 écus (d’une valeur d’environ 16
dollars) - fut le premier à être envoyé à l’étranger par les marchands.
Comme si la difficulté
présentée par l’or n’était pas suffisante, les pièces d’argent Américaines
posèrent des problèmes similaires. Il était une habitude chez les marchands
Américains que de payer l’importation de produits Chinois ou Indiens grâce à
des pièces de huit Espagnoles.
Les problèmes que causait le
départ des pièces d’or et d’argent étaient bien connus de la Banque des
Etats-Unis et du directeur de la Monnaie Elias Boudinot. Ce dernier, qui
était un homme très riche, était également le directeur de la Banque des
Etats-Unis, et utilisait son influence pour créer des barrages routiers en
vue d’empêcher l’or et l’argent Américains de quitter le pays.
En conséquence de
l’intervention de Boudinot, la Banque des Etats-Unis demanda en 1803 au président
Thomas Jefferson de mettre fin au battage de pièces d’or de 10 dollars
(American Eagles) et de dollars d’argent. Après que le Trésor l’ait informé
que ces deux demandes pouvaient être satisfaites, ces deux dénominations
cessèrent d’être frappées en 1804.
La suspension de la frappe
d’Eagles n’a pas vraiment réglé le problème de l’or Américain, qui continuait
de quitter le pays. Les pièces de 5 dollars, ou Half Eagles, étaient
elles-aussi sujettes à l’exportation, bien que cette réalité fût d’abord
masquée par le fait que les doublons Espagnols continuaient d’être exportés
en priorité. D’autre part, la suspension de la frappe de pièces d’argent a
partiellement mis fin à la migration de l’argent hors des Etats-Unis. Les demi-dollars
étaient exportés en un degré limité, principalement vers les Caraïbes et le
Canada, où ils faisaient office de devise locale.
L’un des mythes dont sont
l’objet les demi-dollars des Etats-Unis veut qu’ils aient principalement été
utilisés par les banques afin de soutenir la monnaie papier. Les pièces
étaient bel et bien utilisées à cette fin, mais étaient également utilisées
aux quatre coins du pays. Elles furent utilisées pour effectuer des paiements
contre des produits Indiens, par exemple, ce qui signifie qu’elles arrivaient
à la frontière en quantité relativement importantes.
Malgré la loi de 1792 qui
donnait naissance à une devise bimétallique, les Etats-Unis se tournaient peu
à peu vers un étalon argent en raison du caractère obsolète du ratio 15 :1.
Après 1804, des quantités accrues d’or Américain étaient acheminées vers
l’Europe, bien que l’or Espagnol fût encore disponible à l’exportation en de
grandes quantités.
La guerre de 1812 avec
l’Angleterre, qui éclata au mois de juin, força les Américains à transformer
leur système monétaire. En 1811, le Congrès refusa, dans un acte qui défia
tout sens commun, de renouveler la charte de la Banque des Etats-Unis. Cette
décision empêcha le gouvernement de financer ses dépenses de guerre et
contribua à l’endettement de la nation. En période de guerre, beaucoup
accumulèrent des pièces d’or et d’argent.
En 1817, alors que la Monnaie
de Philadelphie recommençait à frapper des pièces d’argent en de grandes
quantités, le système monétaire bimétallique semblait avoir entamé une phase
de reprise. L’argent fut suivi par l’or en 1818, mais l’amélioration fut de
course durée. Avant la fin de l’année 1919, les pièces d’or, qu’elles soient
Américaines ou Espagnoles, avaient complètement quitté les banques. Certaines
composaient encore des réserves privées, qui sont celles disponibles aux
collectionneurs d’aujourd’hui, mais une majorité étaient parties pour
l’Europe.
Afin de contrer le flux
sortant de pièces, en janvier 1819, le représentant de Caroline du Sud
William Lowndes introduit une mesure de réduction du poids des pièces d’or
qui visait dans le même temps à limiter le change légal des pièces d’argent à
5 dollars. Il prévoyait également une réduction du poids des pièces d’argent,
ce qui signifiait que son ratio de 15,6 :1 était en réalité plus proche
de 15 :1. Son projet, s’il avait été ratifié, n’aurait rien fait de plus
qu’attirer l’attention sur la situation monétaire de l’époque.
Les importations d’or étranger
ont marqué l’absence virtuelle des pièces Américaines. Les coffres de l’une
des branches de la Banque des Etats-Unis furent examinés en 1820 afin de
déterminer les quantités d’or qui s’y trouvaient. Ils contenaient 700.000
dollars en espèces, dont seulement 1.200 dollars étaient sous forme d’or,
dont seulement 100 dollars d’or Américain.
En de nombreuses occasions
entre 1819 et 1822, le Congrès établit des projets de législation en vue de
corriger le déséquilibre entre le ratio 15 :1 et le marché
international. Un nombre considérable de personnes comprenaient parfaitement
quel était le problème et offrirent des alternatives raisonnables, mais un
plus grand nombre de le comprenait pas, et les propositions du Congrès de
menèrent nulle part.
En une seule fois, la Banque
des Etats-Unis, qui se vit délivrer une nouvelle charte de vingt ans en 1817,
importa 2 millions de dollars de monnaie métallique depuis l’Angleterre en
1829. Elle demanda à ce que la moitié de cette somme se trouve sous forme
d’or, mais ne reçut rien d’autre que des pièces d’argent.
La disparition des pièces d’or
signifiait que les Etats-Unis, pour des raisons pratiques, eurent à adopter
un étalon argent. L’or était devenu rien de plus qu’une ressource, bien que
la Monnaie de Philadelphie ne cessa pas de frapper des pièces d’or. En 1820
par exemple, plus d’un quart de million de pièces d’or Half Eagles furent
frappées, qui prirent presque toutes immédiatement la direction de l’Europe.
Dès 1821, les officiels de la
Monnaie réalisèrent que les pièces frappées pour les dépositaires ne
restaient pas aux Etats-Unis. Le directeur de la Monnaie expliqua à plusieurs
reprises que son établissement était devenu une institution de dosage qui
fondait de l’or sous forme de pièces.
Dans les années 1820, la
situation ne fit que s’aggraver. Non seulement très peu de pièces d’or
étaient frappées, la situation ne changea pas. Une fois frappées, les pièces
étaient immédiatement envoyées vers l’Europe. Il existe un rapport qui
mentionne la fonte à Paris de 40.000 Half Eagles, et tout laisse à croire que
ce n’était là pas un cas isolé.
La monnaie commença, dans un
étrange retournement de circonstances, à frapper des Quarter Eagles en 1821,
chose qui ne s’était pas produite depuis 1808. On pourrait penser que ces
pièces d’or plus petites étaient destinées à circuler dans des zones plus
reculées du pays, mais ce n’était pas le cas. Elles étaient en réalité
frappées pour payer le salaire de membres du Congrès qui demandaient à être
payés en or. Elles étaient ensuite vendues à des revendeurs d’or au-dessus du
prix d’émission, ce qui permettait aux membres du Congrès d’augmenter leur
salaire avec l’aide de la Monnaie.
Lors de la deuxième moitié de
1829, le nombre de pièces d’or frappées par la Monnaie de Philadelphie
augmenta soudainement, mais les apparences se montrèrent trompeuses. Les
nouvelles pièces, qui devinrent plus fortes dès 1830, n’étaient autres que la
conséquence des ruées vers l’or qui se développaient dans le sud. Les mines
de Caroline du Nord se sont prouvées être des sources moindres mais
régulières de métal tout au long des années 1820, mais les nouvelles
découvertes, notamment en Géorgie, ont produit de l’or en des quantités
considérables.
Ce fait n’est que très peu
connu, mais même les états tels que la Virginie et la Caroline du Sud ont
fourni à la Monnaie d’importantes quantités d’or. De moindres quantités de
métal ont également été produites par l’Alabama et le Tennessee.
L’année 1832 marque
certainement l’arrivée de l’or du sud à la Monnaie de Philadelphie. Les
dépôts d’or sur l’année s’élevaient à 800.000 dollars, et la part du sud
représentait 680.000 dollars. La Monnaie était devenue, comme je l’ai noté
plus haut, une usine de dosage chargée de transformer de l’or en pièces
pouvant être exportées vers l’Europe, un fait bien connu des officiels de la Monnaie
et du Trésor.
Andrew Jackson, qui devint
président en mars 1829, était particulièrement soucieux de l’état du système
monétaire de son pays. Il voulait non seulement que l’or et l’argent puissent
circuler librement, mais il voulait aussi que ces métaux restent dans son
pays et ne soient pas exportés. Il éprouvait également un certain mépris pour
les billets de banque de toutes sortes, y compris ceux de la Banque des
Etats-Unis. Cette dernière agissait en tant que frein pour les autres banques
moins bien gérées, et permettait à l’économie d’être plus équilibrée qu’elle
l’aurait autrement été.
Au début des années 1830
eurent lieu un certain nombre de débats au Congrès, notamment à l’issue de
l’arrivée de Jackson à la présidence. En juin 1834 fut votée une réforme de
la loi sur le battage de monnaie. Avant cette date, le Half Eagle pesait 135
grains (8,75 grammes), poids qui fut réduit à 129 grains, ou 8,36 grammes.
Les poids des autres pièces d’or furent réduits proportionnellement.
Le nouveau Half Eagle de 129
grains contenait exactement 116 grains d’or, ce qui lui conférait l’étrange
finesse de .8992+. Les personnes chargées de la fonte et de l’affinage de
l’or n’ont certainement pas été heureuse de ce nouvel exercice. Le ratio
or/argent avait en revanche été porté à 16,002 :1, et était désormais
bien plus en phase avec les marchés internationaux.
Les nouveaux poids et finesse
des pièces vit le rythme d’activité de la Monnaie se démultiplier. La loi
entra en vigueur le 1er août 1834, et avant la fin de l’année,
657.000 Half Eagles et 112.000 Quarter Eagles avaient été frappées et émises.
En raison du nouveau ratio, ces pièces ne furent pour la plupart pas
exportées. Le public baptisa ces nouvelles pièces les ‘Jackson Yellow Boys’.
L’or qui a servi à la frappe
de pièces entre 1834 et 1837 ne provenait pas uniquement des mines et des
rivières du sud. Le président Jackson avait aussi demandé à de nombreux
gouvernements Européens, notamment à la France, le remboursement des
cargaisons saisies illégalement lors des guerres Napoléoniennes du début des
années 1800. Plusieurs millions de dollars d’or furent ainsi obtenus.
La quantité de pièces frappées
sur la période avait quelque chose de spécial. Le président Jackson avait
demandé personnellement à la Monnaie de frapper des Quarter Eagles comme
méthode de paiement pour ceux qui réclamaient des dommages pour les pertes du
début des années 1800. C’est ainsi que le président parvint à réintroduire
les Quarter Eagles dans la circulation.
Le ratio de 16,002 :1
entraîna, comme il fallait s’y attendre, un flux entrant d’or depuis
l’Europe. Couplé aux paiements d’indemnités, ce flux entraîna une véritable
marée de pièces d’or qui se déversa sur la Monnaie de Philadelphie entre 1834
et 1840, bien que la frappe d’Eagles ait ralenti après 1836.
Sur la même période, entre
1834 et 1837, le président Jackson, avec l’aide du secrétaire du Trésor Levi
Woodbury, demanda à ce que soit instauré un dollar or. L’idée était de mettre
ces dollars or entre les mains des citoyens ordinaires, mais le directeur de
la Monnaie Robert M. Patterson jeta une douche froide sur le projet, en
stipulant que seuls les pays de second rang frappaient des pièces d’or de si
petite valeur. A l’époque, même la frappe de pièces d’or de 2 à 3 dollars
étaient considérées par le Trésor.
Au début de l’année 1836, on
commença à s’inquiéter à l’idée que le nouveau ratio puisse entraîner une
surévaluation de l’or et chasser l’argent hors de la circulation. Le Congrès
décida de le réévaluer, et en janvier 1837, le poids et la finesse des pièces
furent à nouveau ajustés, portant le ratio or/argent à 15,998 :1. Le
poids du Half Eagle était toujours de 129 grains, mais sa finesse fut portée
à .9000. Le poids d’un Half Eagle en or fut porté à 116,1 grains, soit un dixième
de grain de plus qu’auparavant.
La loi de 1837 se prouva
efficace, et tout au long des années 1840, le système bimétallique fonctionna
correctement pour la première fois de l’histoire des Etats-Unis. Il fallut
attendre 1848 et la découverte de gisements d’or en Californie pour que des
changements soient à nouveau nécessaires.