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« Dans la mesure où l'idéologie
qui menace aujourd'hui les libertés individuelles n'est pas religieuse
mais médicale, l'individu doit être protégé non
des prêtres, mais des médecins ». Thomas
Szasz, The Second Sin
Thomas Stephen Szasz (prononcer Saas) vient de
décéder à l’âge de 92 ans. Né
à Budapest le 15 Avril 1920, il est connu pour ses critiques de la
coercition psychiatrique. À 18 ans et devant la montée du
nazisme, il émigre aux États-Unis. De 1956 à 1990, il a
enseigné la psychiatrie à l'université de l'État
de New York, avant d'être nommé professeur honoraire. Historien
et philosophe avant tout, capable d’une très grande érudition,
il est l'auteur de 30 livres dont
le plus célèbre est Le mythe de la maladie mentale, paru
en 1961.
Nous ne vivons
plus dans des États théocratiques, disait Szasz, mais nous
vivons dans des États thérapeutiques. Des comportements
jugés mauvais trouvent des explications médicales plutôt
que religieuses et justifient l'internement psychiatrique de personnes
innocentes.
Tout en
défendant le droit des « malades mentaux » de ne
pas être traités ou emprisonnés contre leur gré,
Szasz était très critique de « l'antipsychiatrie »,
mouvement dont la figure de proue fut Ronald Laing en Grande Bretagne, avec
lequel Szasz a souvent été confondu à tort dans les
années 60. Szasz avait peu de sympathie pour le point de vue de Laing
qui idéalisait le fou, le considérant comme un sage, victime de
la société bourgeoise, selon un schéma marxiste de lutte
des classes. Il admirait Michel Foucault en France pour sa
dénonciation des abus de la psychiatrie mais ne préconisait pas
les mêmes solutions.
Thomas Szasz a
développé une double critique de la psychiatrie. La première est d'ordre conceptuel : la maladie
mentale n'est pas une vraie maladie. La seconde est politique : la maladie
mentale est une justification légitimant, avec l’appui des
médecins et des avocats, l’intervention coercitive du pouvoir
pour protéger les gens contre eux-mêmes. La psychiatrie est ainsi utilisée
comme un outil sournois de contrôle social à grande
échelle au nom du bien-être.
Le mythe de la maladie mentale
Pour Thomas Szasz, la maladie mentale n'est pas un
problème médical mais un problème de pouvoir. Selon lui, l'expression « mythe
de la maladie mentale » signifie tout simplement que la maladie mentale
en tant que telle n'existe pas. Le concept scientifique de maladie se
réfère à une lésion corporelle, c'est-à-dire
à une anomalie du corps, structurelle ou fonctionnelle. Le cerveau est
un organe - comme les os, le foie, les reins, et ainsi de suite - et bien
sûr, il peut être malade. C'est le domaine de la neurologie. Mais
l’esprit n'est pas un organe corporel, il ne peut donc pas être
malade, sauf dans un sens métaphorique.
De même
qu’il n'y a jamais eu de sorcières mais des femmes
isolées, mal vues de la société et appelées
« sorcières », il n'y a pas de maladies mentales mais des
comportements que la société désapprouve et que des psychiatres
appellent métaphoriquement « maladies mentales ». Par
exemple, si une personne a peur de sortir à l'air libre, les
psychiatres appellent cela « agoraphobie » et prétendent
que c'est une maladie. Ou si une personne a des idées bizarres ou des
visions, les psychiatres disent qu'il a des « délires » ou
des « hallucinations ». Ou bien s’il consomme des drogues
illégales ou s’il commet des assassinats en masse. Pour le
psychiatre Szasz, il s’agit là de comportements et non de
maladies.
Si les maladies
mentales sont des maladies du cerveau, explique Szasz, nous devrions les
appeler des maladies du cerveau et les traiter comme telles. Au 19ème
siècle, les asiles étaient remplis de « fous ». Or
il s’est avéré que plus de la moitié d'entre eux,
avaient des maladies du cerveau - principalement la syphilis, des
lésions cérébrales ou des intoxications. Une fois cela
compris, la syphilis a cessé d'être une maladie mentale et est
devenue une maladie du cerveau. La même chose s'est produite avec
l’épilepsie.
Les
psychiatres ont inventé des maladies dont les plus connues sont la
masturbation et l'homosexualité. Les personnes atteintes de ces
soi-disant « maladies », en particulier des enfants, ont
été torturées ou incarcérées par des
psychiatres – pendant des centaines d'années.
Les
psychiatres ont donc une fâcheuse tendance à parler de maladie
mentale quand ils désapprouvent un comportement et y renoncent
quand ils sont prêts à le tolérer. Ainsi, la
psychiatrie a d’abord considéré l'homosexualité
comme une maladie mentale avant de changer ce point de vue, sur la base
d’une simple évolution des mœurs. En effet, de vieilles
« maladies » comme l'homosexualité et
l'hystérie ont disparues, tandis que de nouvelles
« maladies » comme le jeu et le tabagisme sont
apparues, comme pour les remplacer. Ceci montre que la science n'avait pas
grand chose à voir avec le point de vue initial.
Pour une
séparation de la médecine et de l’État
En appelant « malades »
certaines personnes, la psychiatrie essaie de nier leur responsabilité
comme agents moraux, pour mieux les contrôler. En d'autres termes et selon Szasz, la
vision du monde psychiatrique repose, non pas sur la science ou la
médecine, comme ses praticiens voudraient nous le faire croire, mais
sur l'éthique et la politique. Cela ne serait pas si grave si les
praticiens n’avaient qu’un pouvoir intellectuel. Mais Szasz
s’inquiète de la politisation du domaine de la santé en
général et de la santé mentale en particulier. Les
praticiens ont aussi bien le pouvoir juridique
d’ « hospitaliser » les gens contre leur
volonté que de les exonérer totalement de leur
responsabilité pénale. Selon lui, la psychiatrie est en proie
à « des intentions cachées de domination et de
soumission, masquées par une rhétorique scientifique de la
maladie et du traitement ». Et il ajoute « La
psychiatrie moderne déshumanise l'homme en niant la
responsabilité personnelle de l'homme comme un agent moral. (…)
Elle occulte les dilemmes éthiques de la vie et les transforme
en problèmes médicalisés ».
À la racine de ce problème, il y a le pouvoir politique,
qui considère toute conduite humaine, même la plus intime, comme
un problème de santé publique. Ce que
Szasz nomme l’« État
thérapeutique » transforme les citoyens en sujets de plus
en plus irresponsables et dociles.
Szasz aime
à répéter, qu’il approuve entièrement la
psychiatrie ou la psychanalyse entre adultes consentants. Mais il
dénonce le fait que la transaction repose souvent sur le
contrôle par l’État de l’institution psychiatrique
et du marché des médicaments ou des drogues en
général. En effet, il est aujourd’hui nécessaire
de voir un médecin pour obtenir un somnifère ou un
tranquillisant alors qu’il y a cent ans, il suffisait de se
rendre dans une pharmacie et d’y acheter tous les médicaments
nécessaires - opium, héroïne, hydrate de chloral. À
certains égards, la profession psychiatrique vit du fait que seuls les
médecins peuvent prescrire des médicaments car le gouvernement
a fait en sorte que la plupart des médicaments que les gens désirent
soient des drogues illicites.
Sur le plan philosophique, l’analyse de Szasz repose
sur le principe que chaque personne est propriétaire
d’elle-même, dans son intégrité physique et
mentale, et doit être libre de toute violence de la part d’autrui.
C’est pourquoi il a souvent plaidé pour que le suicide, la
pratique de la médecine, l'utilisation et la vente de
médicaments, soient des actes privés, contractuels et hors de
toute juridiction de l'État. Mais si un drogué commet un crime,
il doit être puni pour ce crime, et non pas parce qu’il est
drogué. Si le kleptomane vole, si le meurtrier assassine, tous doivent
tomber sous le coup de la loi et être punis. Selon lui, les gens devraient
être libres consulter des psychiatres, d'accepter ou de rejeter leurs
diagnostics, de prendre ou non des médicaments. Mais dans une société
libre, affirme Szasz, chacun doit être responsable de ses actes et
sanctionné pour ses fautes.
Certains de
ses livres ont été traduits en français :
Le mythe de
la maladie mentale (Payot,
1975), L'Éthique de la psychanalyse (Payot, 1975), ++
(Payot, 1976), La loi, la liberté et la psychiatrie (Payot,
1977).
A lire tout particulièrement, le
dernier en date : Pharmacratie : Médecine et politique,
l'État thérapeutique, Editions Les 3 génies (2010)
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