Les résultats de la dernière votation
populaire concernant la vente de l’or de la Banque nationale
(BNS) n’ont pas été ce que le gouvernement souhaitait. Le
peuple ne veut verser le produit de cette vente ni à l’AVS ni
à une suspecte Fondation solidaire. Nous devons maintenant réfléchir
une nouvelle fois à ce qu’il faudra faire de cet or. Dans la
perspective de l’intérêt général et
d’une gouvernance responsable de l’Etat, deux démarches
seraient nécessaires: La BNS devrait immédiatement mettre un
terme à la vente de l’or puis réintroduire la couverture
or du franc suisse. C’est probablement une initiative populaire qui
permettra d’entamer le débat.
Une monnaie indépendante et
stable est la meilleure protection de l’Etat et de la population en
temps de crises, d’effondrements financiers et de guerres, de
«malice des temps» pour reprendre une expression du Pacte de
1291. Un effondrement du système instable de la monnaie de papier et
le coût de la guerre qui sera inévitablement
«payé» par une inflation pourraient entraîner
très rapidement une crise majeure et un appauvrissement
général.
Comment en est-on arrivé à supprimer la couverture-or?
A la suite de son adhésion au FMI en 1992, la
Suisse s’est vue contrainte d’abandonner la couverture or du
franc suisse (jusqu’alors de 40%), inscrite dans l’ancienne
Constitution. Ce changement a été dissimulé dans la
suspecte Constitution entrée en vigueur le 1er janvier
2000. Les lois et les ordonnances qui lui sont subordonnées ont
été également modifiées. Il n’y a pas eu de
large débat sur le pour et le contre de la suppression de la
couverture or et je doute que beaucoup de citoyens aient saisi la
portée de la décision.
S’appuyant
sur cette décision, la BNS a commencé à vendre 1300
tonnes d’or (600 jusqu’en octobre 2002) qui, soi-disant,
n’étaient plus nécessaires comme réserve
monétaire. La recette sera répartie. Les deux propositions qui
ont été faites jusqu’à présent ont
été rejetées par le peuple le 24 septembre.
Les avantages de la réintroduction de l’étalon-or
La Suisse est désormais liée au
système du FMI. Les inconvénients pour notre pays ne sont pas
encore visibles, mais ailleurs, le FMI a causé dans les
économies des dégâts comparables à ceux
provoqués par un bombardier B-52. De toute façon, la Suisse
n’est pas libre de forger elle-même sa politique monétaire
et financière dans la perspective de l’intérêt
général. En réintroduisant l’étalon-or et
en quittant le FMI, nous aurions de nouveau une monnaie respectée sur
le plan international et qui nous protégerait des crises inflationnistes
et d’autres ondes de choc de l’économie mondiale. Nous
aurions de nouveau la monnaie la plus digne de confiance au monde. Rien ne
serait plus positif pour la Suisse, pour les citoyennes et les citoyens et
pour la place bancaire.
L’or ne doit donc pas être vendu et le franc
suisse doit de nouveau, comme sous l’ancienne loi, être couvert
à 40%. Autrefois, chacun pouvait être sûr de recevoir pour
chaque franc au moins 40 centimes d’or pur stocké à la
BNS. Comme jusqu’en 1998, la BNS n’indiquait dans ses bilans
qu’une valeur de 4575 francs par kilo alors que le prix de l’or
oscillait entre 10000 et 15000 francs, la couverture or était
plus que suffisante pour la monnaie de papier. C’est ce qui faisait de
notre monnaie la meilleure du monde et de la BNS une institution
respectée. Il est certain que la place bancaire suisse a
énormément profité de cette situation. D’ailleurs,
cela était dû également à des personnes, comme
l’ancien président Fritz Leutwiler.
Echanger la réserve d’or contre du papier?
Le prix de l’or est d’ailleurs monté de
quelque 18% au cours des 12 derniers mois, passant d’environ 275
à 320 dollars l’once (33 g). Pendant ce temps, les Bourses se
sont effondrées, de même que des multinationales comme Enron et Swissair. Beaucoup d’autres – dont
des sociétés suisses – se trouvent au bord de
l’abîme. La situation mondiale est très inquiétante
et les années à venir ne seront pas drôles. C’est
la raison pour laquelle il ne serait pas prudent, ne serait-ce que pour un
commerçant ordinaire, de vendre de l’or maintenant, ce
métal étant considéré partout comme une garantie
contre les crises et comme une valeur stable matérialisée. Si
un krach important survenait, par exemple l’effondrement d’une
grande banque, cela ne resterait pas un événement isolé,
le monde entier chancellerait économiquement et les monnaies de papier
s’asphyxieraient. Les réserves de dollars, d’euros et de
yens de la BNS ne seraient pas d’un grand secours. C’est alors
qu’il faudrait revenir à l’or, s’il en reste encore!
Arrêter
les ventes
Le jeudi suivant la votation, la BNS a fait savoir
qu’elle vendrait encore 283 tonnes dans les 12 mois à
venir. Elle veut se défaire à temps des 1300 tonnes
qu’elle voulait vendre sur une période de 4 ans. Au vu des
résultats de la votation et de la nouvelle situation du marché
de l’or, la BNS devrait en réalité stopper ses
ventes et réévaluer la situation. Que fera-t-elle si le
prix de l’or est beaucoup plus élevé dans quelques
années et qu’elle a vendu son trésor beaucoup trop bon
marché? La Banque d’Angleterre se trouve maintenant sous
pression parce que ses ventes d’or ont déjà fait perdre
au pays 500 millions de livres sterling. Dans mon livre «Gold Wars» (voir Horizons et débats no
14/15), j’ai décrit l’histoire détaillée de
ces ventes. Tout compte fait, il s’agit là d’une
escroquerie et d’une trahison du peuple suisse, d’un scandale de
premier ordre.
La BNS a déjà perdu 40% sur la vente de son or
C’est tragique, car nous vivons la
déchéance d’une nation qui était autrefois
considérée comme une «forteresse» Mais de tels
développements ne surviennent pas du jour au lendemain, ils se
produisent progressivement. «Nous perdons peu à peu notre
liberté», m’a écrit dernièrement un ami
américain attentif aux événements.
Pendant ces deux dernières
années, la BNS a vendu, presque sans qu’on s’en
aperçoive, 603 tonnes d’or. Elle a placé le produit
de cette vente en dollars, en euros, en yens et tout ce qui lui semblait bon,
p.ex. en titres d’emprunt à long terme. Elle a perdu –
estimation prudente – environ 500 millions de dollars parce que le
prix de l’or est entre-temps monté de 20%. Elle a en outre perdu
une part importante de la fortune nationale parce que ses dollars sont
passés cette année d’environ 1.80 à environ
1.45 franc. Cette perte de valeur de 20% est due au fait que le monde se
rend compte que le miracle économique américain des
années 90 n’a pas eu lieu. Avec une politique du dollar stable
pendant l’ère Clinton/Rubin (Robert E. Rubin était
alors ministre des finances), une création record de monnaie et des
bilans falsifiés, on a fabriqué la plus grande folie
boursière de tous les temps. Ainsi la finance américaine a
aspiré année après année la plus grande partie
des économies du reste du monde vers les marchés financiers des
États-Unis où elles étaient nécessaires pour
couvrir les déficits. Maintenant que la vérité est
connue, beaucoup abandonnent leurs dollars pour se réfugier vers
l’or. Mais malgré cela, la BNS continue de vendre son or. Qui
peut comprendre cela? Serait-elle manipulée de
l’extérieur? Qui est-ce que notre gouvernement et nos financiers
écoutent? Sont-ils seulement naïfs et crédules ou bien
seraient-ils une partie du problème?
La BNS
tire-t-elle les ficelles à New York?
A mon avis, la BNS, autrefois si forte, si fière et
si indépendante, n’est qu’une succursale
«offshore» de la Banque d’émission des Etats-Unis
(la FED) et elle fait des rapports directs à Alan Greenspan et
à ses «boys» de New York. Le franc suisse, ce dernier
bastion d’une monnaie «relativement» forte, a
été détruit et, pour la première fois de son
histoire, le monde entier est noyé dans un océan de monnaie de
papier. Cela va mal finir. Mais nous pouvons encore y remédier, si
nous le voulons.
Tandis que la BNS vend notre or,
les banques centrales d’Asie orientale sont beaucoup plus perspicaces:
elles achètent l’or aux prix actuels, qui sont bas. Elles
échangent donc leur monnaie de papier contre de l’or au prix de
15000 francs le kilo pour avoir une réserve d’urgence si les
marchés s’effondrent. Les Asiatiques sont-ils plus futés?
Pourquoi font-ils cela? L’histoire a toujours montré que les
pays qui vendent de l’or perdent de l’importance sur le plan
économique et politique. C’est de cela qu’il s’agit.
On est sans aucun doute en présence d’une sorte de liquidation
inquiétante du volet financier du modèle suisse
Peu nombreux sont ceux qui comprennent aujourd’hui
l’importance de la couverture or ou de l’étalon-or mais si
nous ne mettons pas fin à la politique monétaire actuelle, la
Suisse se réveillera un jour en pleine crise, nue, exposée, et
elle comprendra qu’elle a commis une énorme faute. Cette
liquidation insensée de notre or aura pour grave conséquence
que notre pays perdra son indépendance et sa puissance financière.
Notre liberté et notre sécurité seront vendues once par
once. Il vaut mieux y réfléchir maintenant car nous
disposons encore d’une marge de manœuvre.
Deux
pronostics
Premièrement, les ventes d’or suisse aideront
certainement les banques new-yorkaises à survivre un peu plus
longtemps. Cela les aidera à poursuivre leur manipulation du
marché du métal jaune. Mais le temps de l’or viendra. Et
si la BNS ne met pas un terme à ses ventes, la Suisse sera
obligée un jour de racheter son or mais à des prix beaucoup
plus élevés, et avec quoi?
Deuxièmement, la place
bancaire suisse perdra de plus en plus son statut de havre sûr en temps
de crise. Ce sera une grande perte pour l’économie. Une chose
est tout à fait certaine: notre pays perdra à jamais son
indépendance et sa puissance financières. C’est une bien triste perspective.
Pourquoi
être contre?
Encore un mot à propos de ceux qui rejetteront
cette proposition. Les cantons lorgnent sur tout cet argent de la BNS. Selon
la Constitution, un tiers leur revient. Cette envie est compréhensible
car ils manquent d’argent. Ils se sont laissé entraîner
– comme la Confédération et beaucoup d’autres Etats
– à faire des dettes, à pratiquer une économie de
déficits. Ils ont dépensé de l’argent qu’ils
n’avaient pas, de l’argent que les générations
à venir rembourseront sous forme d’impôts. (J’ai
honte que nous laissions cet héritage à la future
génération.) Maintenant les montagnes de dettes et les intérêts
à payer deviennent lourds. Jadis les politiciens pouvaient marquer des
points en distribuant de l’argent emprunté et contenter leur
clientèle. Mais maintenant que l’heure de vérité
approche, ils dressent l’oreille quand quelqu’un leur promet de
l’argent qui tombe comme une manne du ciel de la BNS.
C’est une politique à
courte vue, comme l’économie de déficits. Même si
l’on utilise l’or pour réduire les dettes des cantons et
de la Confédération, la monnaie restera un jouet et on ne
pourra rembourser qu’une petite partie des 200 milliards de francs
de dettes (Confédération et cantons).
Aujourd’hui, il n’y a qu’une chose
à faire. Il faut regarder la réalité en face et
gérer les affaires de manière rigoureuse et dans une
perspective à long terme. L’Etat et les particuliers qui ont un
train de vie excessif doivent réduire leurs dépenses,
même si ceux qui vivent des salaires de l’Etat, qui ne
contribuent en rien à la res publica et la détruisent, comme les artistes
et les intellectuels, vont récriminer.
Des solutions honnêtes: réintroduire la couverture or et
dissoudre le FMI
Il nous faut revenir à l’argent honnête
et aux solutions propres. D’abord il faut faire pression sur la BNS
pour qu’elle cesse ses ventes d’or, du moins le temps d’une
pause de réflexion. Cette dernière doit être
utilisée pour examiner la question de la couverture or et de la sortie
du FMI au vu de la situation mondiale actuelle et des expériences du
passé. Aux USA, des experts éminents de la finance et de la
banque suggèrent constamment de dissoudre le FMI. Je ne suis pas seul à
préconiser cette solution.
Chez nous, une initiative populaire
serait le moyen le plus honnête de susciter un large débat.
Même si cela prend du temps, ce serait quand même une chance pour
beaucoup de citoyens de revenir à la raison. Il vaut mieux que la
Suisse soit indépendante plutôt qu’elle fasse partie du
cartel international des manipulateurs de la monnaie de papier. En tant
qu’ancien banquier et à l’instar de beaucoup de mes
collègues qui ne sont pas encore devenus cyniques, je ne suis pas
indifférent au fait que beaucoup d’honnêtes gens qui ne se
doutent de rien vont être privés de leur épargne et de
leur retraite à cause de l’imprévoyance de nos
gouvernants. Espérons qu’il existe assez de personnes qui voient
plus loin que le bout de leur nez et qui pensent comme moi que la BNS
pratique un jeu cruel auquel il faut mettre fin avant qu’il ne soit
trop tard.
Par : Ferdinand Lips
Ferdinand Lips, né
en Suisse en 1931, est une personnalité reconnue et respectée
dans le domaine de l’or et du commerce de l’or. Il a
été le co-fondateur de la Rothschild Banque à Zurich. En
1987, il a ouvert dans cette ville son propre établissement, la Banque
Lips SA. En 1998, il s’est retiré des
affaires.
Aujourd’hui décédé, il a
siégé au comité directeur de plusieurs société dont des firmes de mines d’or
africaines. En outre, il fut administrateur de la «Foundation
for the Advancement of Monetary
Education» (FAME) à New York. C’est là qu’a
été édité son livre récent Gold Wars, The Battle against Sound
Money As Seen From A Swiss Perspective (Foundation
for the Advancement of Monetary
Education, 2001, 304 pages, ISBN 0-9710380-0-7) dans lequel il s’engage
avec force en faveur de la réintroduction de l’étalon-or.
(cf. www.FAME.org)
Article original : Horizons et Debats
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