Particuliers et
entreprises sont régulièrement amenés à prendre
des décisions qui les engagent sur plusieurs années.
L’instabilité fiscale grandissante complique sensiblement
l’exercice. Au point d’en faire un véritable exercice de
roulette russe.
La récente
introduction, en Belgique, d’un tombereau de mesures fiscales
passées en quatrième vitesse laisse perplexes de nombreux
observateurs. Entre effets d’annonce, revirements de dernière minute
et textes légaux bâclés, entreprises et particuliers ne
savent plus comment démêler l’écheveau.
Changer les
règles en cours de partie
Prenons
l’exemple des véhicules de société. En Belgique,
elles font partie intégrante du « package
salarial », car fiscalement mieux traitées que le salaire.
Typiquement, la décision d’acquérir un nouveau
véhicule engage l’entreprise pour 4 à 5 ans. Pourtant,
les règles fiscales qui encadrent la pratique changent à un rythme
bien plus élevé. En effet, l’avant-dernière
modification importante de la fiscalité automobile en Belgique a eu
lieu le 1er janvier 2010, il y a deux ans. À l’époque,
l’évaluation de l’avantage de toute nature pour le
travailleur, jusque là basée sur la
cylindrée de la voiture, devenait fonction des émissions de
CO2. Cet avantage de toute nature étant porté sur la
déclaration d’impôts du travailleur, plus de pollution
impliquait plus d’impôts. La déductibilité fiscale
des dépenses pour l’entreprise changeait elle aussi: plus le
véhicule était polluant, moins il était
déductible. Résultat prévisible: les entreprises ont
commencé à adapter progressivement leur parc automobile. Les
nouveaux véhicules, moins puissants et moins polluants, étaient
par contre pourvus de plus d’options.
Mais les
règles ont été changées en cours de partie.
Depuis le 1er janvier 2012, en effet, c’est la valeur catalogue des
véhicules qui sert de base au calcul de l’avantage de toute
nature (ATN), même si les émissions jouent encore un rôle.
Du coup, les voitures moins polluantes mais mieux équipées,
favorisées par les entreprises soucieuses de baisser leur facture
fiscale, deviennent les nouvelles cibles du gouvernement.
Les travailleurs
sur le billot...
Les entreprises
sont bien sûr frappées de plein fouet : les voitures de
fonction feront désormais l’objet de l’inscription
à leur compte fiscal d’une dépense non
déductible
équivalente à 17% de la valeur des ATN des voitures
octroyées à leurs travailleurs. Mais le pire, c’est que
la nouvelle fiscalité pèse encore plus lourdement sur les
travailleurs. La société SD Worx,
spécialiste de la gestion des rémunérations, a calculé
que l’augmentation de la valeur de l’ATN à mentionner dans
leur déclaration fiscale s’échelonnera en moyenne de
892,66 € pour les employés à 1531,54 € pour les
cadres supérieurs. Or, le taux marginal de l’impôt des
personnes physiques dépasse 50% en Belgique. Le supplément sur
la facture fiscale s’élèvera donc - au minimum - à
la moitié de l’augmentation de la valeur de l’ATN: de 460
à 842€ d’impôts en plus par an. Mais ces chiffres
sont des moyennes. Ainsi, les utilisateurs de voitures de prestige - genre
« Porsche Cayenne » - devront s’acquitter chaque
année de près de 5.500 € supplémentaires !
... et prisonniers
sans défense
Plus
écœurant encore: les travailleurs sont totalement démunis
devant ce changement. Pas question en effet de “rendre sa voiture de
société” précise le même secrétariat
social dans une interview au quotidien financier belge L’Echo. En effet, ni l’employeur ni le travailleur ne
peuvent unilatéralement modifier le contrat de travail en cours de
route. Ils doivent donc arriver à un accord. Peu probable, puisque
l’employeur est lui-même
« coincé » par le contrat qu’il a
signé avec la société de leasing, dont il ne pourra
sortir sans payer d’indemnités. La mesure s’assimile donc
à un véritable hold-up de grand chemin!
Vous avez dit
incohérence?
Ironiquement, le
couperet tombe de manière encore plus lourde sur celles et ceux qui
ont choisi les véhicules hybrides ou électriques, jusque là présentés comme la
panacée par le gouvernement. Ces véhicules sont en effet nettement
plus chers à l’achat. Or, qui dit valeur catalogue
élevée dit taxes en hausse. Non content de changer les
règles, le gouvernement belge handicape donc ses propres efforts de
lutte contre la pollution. Mais ce n’est pas tout. Certains vont
jusqu’à affirmer qu’il se tire une balle fiscale dans le
pied. En effet, confrontés à une imposition plus lourde des
véhicules chers, les entreprises comme les particuliers vont,
recherchant leur propre intérêt, opter pour des voitures meilleur marché. Or, la part non
récupérable de la TVA est une source de financement pour
l’État. Qui dit « prix plus bas »
dit « TVA moins élevée ». Mais
aussi « chiffre d’affaires des concessionnaires moins
élevé » et donc « recettes fiscales moins
élevées ». Le quotidien économique belge l’Echo cite plusieurs
études qui évaluent le manque à gagner à
près de 100 millions d’euros sur les seules
marques Audi, BMW et Mercedes. Une somme qui représente la
moitié des gains escomptés!
À quand un
nouveau changement?
Entreprises et
travailleurs sont aujourd’hui en droit de s’interroger et de
réfléchir à plus long terme: combien de temps les
nouvelles règles dureront-elles? Un an? Deux ans? Cinq ans?
L’investissement consenti en essayant de minimiser la facture fiscale
en 2012 ne s’avèrera-t-il pas fiscalement contre-productif suite
à un nouveau changement introduit en 2014? Incapables de
réfléchir à long terme ou de moduler leurs
appétits fiscaux en fonction de la durée de vie des
investissements influencés par leurs décisions, les politiciens
en arrivent peu à peu à imposer aux individus le court-termisme qui a justement amené les États
européens au bord de la faillite. Auparavant, la fiscalité
pouvait être vue comme un « mal
nécessaire ». De plus en plus, elle devient un facteur de
destruction des valeurs mêmes qui nous ont permis d’augmenter
notre bien-être: la prévoyance et la réflexion à
long terme.
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