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Installés dans la crise et la déflation rampante

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Paul Jorion.
Published : August 26th, 2009
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Nous sommes désormais installés dans la crise sans savoir comment en sortir, c’est la seule constatation solide possible dans l’état actuel des choses. La plus optimiste également. Le leadership mondial des Etats-Unis et de l’Europe, menacé par la puissance chinoise, continue bien de s’exercer, mais d’une manière toute particulière, comme premier de la classe dans la crise !

Non pas que la Chine ne rencontre pas ses propres difficultés ; elles sont principalement de quatre natures. Une baisse très importante des exportations, due à la récession mondiale et en particulier américaine (en réalité désormais partiellement structurelle). Un chômage d’ampleur montant, facteur d’instabilité sociale préoccupante pour le régime. Une bulle financière et immobilière résultant des efforts de relance provenant de l’ouverture des vannes du crédit bancaire, qui n’a que très partiellement atteint l’appareil productif. Et, enfin, une grande difficulté à trouver rapidement le chemin d’une croissance « saine » de rechange s’appuyant sur le développement du marché intérieur.

Confrontée à un arrêt brutal de ses exportations et à une lente progression de son marché intérieur, la Chine ne va pas pouvoir renouer de sitôt avec ses taux de croissance fulgurants. Et encore moins « tirer » la croissance mondiale. En prenant la toute récente décision de lancer le crédit à la consommation en Chine, où il n’existait pas, le gouvernement Chinois tente bien d’accélérer le mouvement. Mais c’est s’appuyer sur les couches sociales qui ont bénéficié de l’essor économique de la dernière décennie, et laisser encore une fois le reste du pays dans une situation d’arriération. C’est appliquer le modèle social inégalitaire et déséquilibré qui prévaut déjà dans les autres pays émergents et recèle de nouveaux problèmes, les premiers étant non résolus.

La zone Euro oscille pour sa part entre la récession, de fugaces et modestes incursions hors du rouge dans quelques pays, et la réalité d’une déflation rampante générale, que l’on cherche à éviter de reconnaître. Le prix du pétrole et de l’énergie a été mis dans un premier temps à contribution, avec force doctes explications s’appuyant sur le fait qu’il était auparavant très élevé et que sa baisse intervenue depuis était à l’origine de la déflation, qui n’en était donc pas une !

Mais les chiffres ont la vie dure, même quand on écarte du calcul le prix de l’énergie et des produits alimentaires, et que l’on retrouve à l’arrivée le même signal de déflation. Les espoirs de sortie de la récession vont devoir faire place à la reconnaissance de la déflation. On peut traîner à reconnaître que l’on est entré dans celle-ci, mais on ne sait jamais quand on va en sortir. Les keynésiens ont déjà perdu leur voix à force de crier que nous étions dans la fameuse « trappe à liquidités » qu’à connu le Japon, quand les liquidités déversés en masse dans l’économie ne parviennent pas à la relancer. L’expérience japonaise a montré que l’on pouvait rester collé ainsi pendant longtemps.

La rentrée va donc devoir être l’occasion de nouveaux laborieux exercices de communication gouvernementaux. Mais ils ne suffiront évidemment pas à exorciser le mal. C’est ce que le gouvernement allemand semble avoir le mieux compris, en prenant déjà de premières mesures Le BaFin, l’autorité allemande de surveillance financière, vient de rendre publiques des règles imposant aux banques de procéder à partir de la fin de l’année à des stress tests réguliers, afin de vérifier si leurs fonds propres sont suffisants pour faire face aux chocs prévisibles à venir. Ceux-ci devront être réalisés au niveau des groupes et non plus de manière éparse, incluant les filiales étrangères et le hors bilan. Autant de sages précautions. Il faut dire que le cas d’Hypo Real Estate, la banque allemande spécialisée dans le crédit immobilier, aujourd’hui nationalisée à 90% et qui a déjà bénéficié de 100 milliards d’euros d’aide publique (en garanties) a traumatisé la classe politique allemande. Il est question de devoir encore remettre au pot et d’en sortir les actionnaires restant pour en prendre le contrôle à 100%. Le rideau de fumée derrière lequel le gouvernement Français navigue n’en apparaît que plus opaque. Surtout quand Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances, se réfugie derrière la nécessité d’un accord international (impossible, elle le sait) pour réguler les primes et les bonus du secteur financier, alors que le BaFin prend de son côté le taureau par les cornes (enfin, on verra à l’usage !).

Parlant d’exercices de communication gouvernementaux, il faut évoquer la préparation du plus grand d’entre eux, la prochaine réunion du G20, les 24 et 25 septembre prochains à Pittsburgh (Etats-Unis). Timothy Geithner sera les 4 et 5 septembre prochains à Londres, afin de participer à la réunion des ministres des finances du G20 et afin de préparer le sommet. Son ministère nous a déjà informé qu’il sera évoqué « une série de questions, notamment l’état de l’économie mondiale et les progrès accomplis » depuis le précédent G20 d’avril dernier. Munis de ces précieuses précisions, devons-nous attendre à ce que de grandes décisions de relance soient prises ? Cela semble bien peu probable, tant chacun privilégié désormais, replié sur son Aventin, sa propre analyse et ses propres remèdes.

A Pittsburgh, nous n’en apprendrons probablement pas d’avantage à propos des mesures de régulation financière, pouvant néanmoins considérer que ce qui est en cours d’achèvement à propos des paradis fiscaux donne la mesure de ce qui sera adopté finalement dans tous les secteurs de l’activité financière. C’est à dire peu de choses à l’arrivée. Aloïs von und zu Liechtenstein, chef d’Etat de la principauté du même nom, vient d’ailleurs de déclarer à l’AFP : « Le Liechtenstein va rester une place attractive (…) Il est difficile de prédire quel secteur va croître à l’avenir, mais je ne serais pas surpris si le secteur des services financiers allait vivre un boom ». Comme tous les principaux paradis fiscaux, la principauté multiplie les conventions fiscales bilatérales, en vue de sortir de la « liste grise » de l’OCDE.

Concernant le dispositif global de régulation financière, la nouvelle la plus importante de ces dernières semaines aura été l’annonce par le Trésor américain qu’il avait remis sa copie au Congrès, qui dispose désormais de l’intégralité du projet de loi gouvernemental, mais est en vacances ! Des discussions acharnées sur des sujets techniquement très pointus étant certaines, il est hasardeux de prédire si les délais initiaux seront respectés, si la loi pourra être votée par les deux assemblées fin de l’année, afin d’être promulguée par Barack Obama. Nous serons en attendant très largement suspendus à ce qui y sera finalement inscrit comme mesures, afin de mieux apprécier l’étendue des zones d’ombres qui subsisteront. Puisque c’est de cela qu’il s’agit.

Ce qui peut être rétrospectivement compris, en lisant les analyses disponibles de ce projet, qui fait suite au « Livre blanc » rendu public le 17 juin dernier, c’est de découvrir à contrario à quel point inimaginable tout le secteur financier avait été totalement dérèglementé, tout ou presque étant possible, ce qui explique non seulement la crise, mais l’extrême difficulté dans laquelle se trouve ceux qui veulent défaire les écheveaux des produits financiers les plus sophistiqués par qui le malheur est arrivé. Le cas de Lehman Brothers, dont la liquidation va prendre des années, l’illustre aussi parfaitement. La question est donc posée : à ce point de complexité des produits financiers, toute régulation n’est-elle pas en soi une gageure ? Tout dispositif de surveillance un leurre ?

Installés dans la crise, nous allons avoir le temps pour y réfléchir, c’est déjà une consolation.


*Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com


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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).



Les vues présentées par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  . Tous droits réservés.




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