"Aggravation de la crise du logement: la lourde responsabilité des lois
et réglementations foncières"
- Le
magazine Challenges relève dans un article (voir ici) un inquiétant contraste entre la chute des
transactions immobilières et l'augmentation du nombre de ménages. Comment en
est-on arrivé à ce décalage ? La situation est-elle alarmante ?
Certes, le nombre de ménages potentiellement à satisfaire augmente, comme
votre confrère le précise, et une part grandissante du parc souffre de
défauts (vétusté, surpeuplement), comme la fondation Abbé Pierre le rappelle
chaque année. Dans une situation économique normale, cela pousserait les gens
dont le métier est d’offrir du logement à chercher à satisfaire cette demande
potentielle par une offre adaptée, à différents niveaux de standing et de
prix. Seulement voilà, le marché du logement est tout sauf normal.
Selon les données agrégées par les économistes du ministère du
logement, les prix de l’immobilier, depuis la fin des années 90, ont
augmenté 1,8 fois plus vite que le revenu des ménages. Naturellement, ce
chiffre est une moyenne. La hausse réelle est plus élevée dans les villes ou
l’emploi est dynamique, qui attirent évidemment une part importante des
nouveaux ménages ainsi qu’une forte dynamique migratoire interne.
Cette hausse des prix est bien supérieure aux gains permis par les taux
d’intérêt bas que nous connaissons depuis cette époque, aussi la solvabilité
réelle des ménages a diminué. Ajoutons que le climat économique général, la
peur de perdre un emploi ou de devoir déménager pour en retrouver un,
n’incitent sans doute pas bon nombre de ménages à se lancer dans un achat
immobilier.
Il en va de même pour les investisseurs locatifs, confrontés à une hausse
des tickets d’entrée qui obère la rentabilité brute de leur investissement.
Pire encore, les lois récemment adoptées, et principalement le renforcement
de l’encadrement des loyers par la loi ALUR, ainsi que l’évolution générale
de la fiscalité, vont encore réduire les espoirs de gains d’investisseurs de
plus en plus rares. Enfin, les messages anti propriétaires régulièrement
lancés par les gouvernements successifs, l’évocation régulière de possibles
réquisitions, ou la crainte d’un nouveau renforcement des droits des
locataires indélicats, effraient un nombre croissant d’investisseurs potentiels.
D’ailleurs, vous noterez que les investisseurs institutionnels ont largement
déserté l’immobilier locatif, ils gèrent désormais moins de 5% du parc: c’est
un signe qui ne trompe pas.
La situation est elle
alarmante ? Oui, si on considère les chiffres du mal logement qui
progressent, et la part croissante du budget des ménages consacrée au
logement, au détriment des autres secteurs économiques. La perte de
solvabilité face au logement est tout simplement la première cause de
progression de la pauvreté en France.
-Le recul des transactions dans le neuf a été trois fois plus
important que dans l'ancien entre 2006 et 2013 : -38%, contre -12%.
Globalement, le nombre d'opérations immobilières dans le neuf et l'ancien a
ainsi diminué de près de 19%. Est-ce la faute à des réglementations foncières
inadaptées ?
Le foncier est un élément du problème, mais ce n’est pas le seul. Mais
effectivement, les politiques foncières malthusiennes des pouvoirs publics
nationaux et locaux poussent le prix du trop rare foncier ouvert à la
constructibilité à la hausse. Tous les échelons de pouvoir sont concernés:
d’une part l’état, qui épouse sans le moindre recul critique le discours
ambiant (et totalement infondé) sur la peur de voir l’espace rural “mangé”
par l’urbanisation, et qui oblige les communes à adopter une politique
quantitative d’ouverture foncière particulièrement restrictive; et d’autre
part, les communes, dont les habitants existants font plutôt pression sur les
maires pour ne pas construire beaucoup. Un sondage récent a montré que 80%
des français pensaient que l’on manquait d’offre de logement, mais que
c’était sûrement ailleurs que chez eux qu’il fallait construire. Résultat, un
maire qui voudrait ouvrir son foncier n’aurait que peu d’influence sur la disponibilité
foncière totale et heurterait de front tant l’administration préfectorale que
ses administrés, par contre, celui qui veut brosser son électorat dans le
sens du poil a tous les outils légaux pour le faire
dans notre code de l’urbanisme. Les assouplissements récemment annoncés sont
trop limités pour changer les données de base de l’équation foncière.
Mais le foncier n’est pas le seul problème. Pour obéir aux objectifs
imbéciles et contraignants (avec des amendes multipliées par 5 depuis 2013 !)
fixés par la loi SRU, à savoir au moins 25% de logements sociaux dans les
communes de plus de 3500 habitants, les communes obligent les promoteurs
privés à intégrer plus de 25% de logements sociaux dans les opérations
neuves: il faut bien rattraper le retard. Dans les zones où le foncier
est cher, les promoteurs sont donc obligés de revendre jusqu’à 40% de leur
production à perte à des bailleurs sociaux. La différence est répercutée sur
les acheteurs de la partie privée des programmes, à qui l’on cache soigneusement,
d’ailleurs, cette cause d’inflation du prix du m2. Ce n’est pas un impôt en
droit, mais dans les faits, c’est bel et bien un impôt déguisé. Dans le centre ville de Nantes, où la municipalité impose 40% de
logements subventionnés, la pénalité imposée aux ménages acheteurs dans le
secteur privé (je n’ose pas dire “libre” !) représente plus de 500€ du m2 sur
un prix d’achat moyen de 3800 ! Or, l’ancien ne supporte pas (enfin, pas
encore…) cette “taxe furtive” SRU. Voilà pourquoi il se porte un peu moins
mal que le neuf. Mais faute d’être concurrencé par un parc neuf suffisant, ses prix restent trop élevés, ce qui limite l’apétit des acheteurs potentiels.
-A-t-on a favorisé l’investissement locatif dans un objectif de
défiscalisation mais sans réfléchir aux besoins véritables en logement ?
La défiscalisation du logement devrait être interdite au niveau
constitutionnel ! Dans le meilleur des cas, elle permet à des acheteurs,
parmi les classes les plus aisées de la population, de faire financer l’accroissement
de leur patrimoine par les contribuables: c’est immoral. C’est en outre peu
efficace économiquement, puisque cela augmente artificiellement la demande
des investisseurs locatifs sur un foncier rationné: au final, la subvention
est captée par celui qui a réussi à bien vendre son terrain, qui est
rarement, lui non plus, un pauvre, et cela augmente évidemment le prix final
des logements ainsi financés. Enfin, trop d’épargnants, aveuglés par la
carotte fiscale, ont plongé dans des programmes mal situés et inadaptés
situés dans des zones… à faible demande ! Cela s’explique: les promoteurs,
souvent spécialisés, qui vendaient ces lots à faible potentiel, pour
maximiser leurs marges, avaient intérêt à les édifier dans des zones où le
foncier n’avait pas trop augmenté.
Les défiscalisations immobilières sont un cas d’école de mesures prises
par l’état qui induisent tant d’effets pervers qu’elles détériorent la
situation du “marché” qu’elles étaient censé favoriser. Mais peut on encore parler de “marché” dans un secteur
tellement corseté, taxé, réglementé et perverti par l’intervention publique ?
-La crise du logement n'est pas uniforme : certaines zones sont
sur-pourvues en logements à la location mais manquent de demande et des zones
sous-pourvues font face à une forte demande. Par où le secteur pèche-t-il ?
Le secteur pêche tout simplement par manque de liberté économique, et donc
par absence d’un véritable marché, vous savez, ce “vieux truc” régulièrement
critiqué par nos politiciens mais dont la fonction est de mettre en
rapport une offre et une demande, et qui, ma foi, s’en acquitte fort
bien dans les secteurs où l’Etat se tient à l’écart. Le foncier convertible
en logements ne résulte pas de signaux de prix auprès de bâtisseurs
indépendants, mais de négociations bureaucratiques et politiques sans rapport
avec les besoins réels des populations. Les délais d’obtention de permis pour
des opérations d’ampleur significative sont tels qu’ils induisent la crainte,
chez les bâtisseurs, de voir leur offre arriver sur le marché à contretemps.
L’expansion continue du secteur social est financée par des prélèvements
croissants sur le secteur pseudo-libre, prélèvements d’autant plus importants
que la construction sociale est élevée. Les carottes fiscales ineptes et
immorales conduisent à une allocation des ressources dans le logement
particulièrement “sous-optimale”, comme disent les économistes.
Et face à ces constats qui
trouvent leurs causes dans l’intrusion croissante des autorités
planificatrices, que répond l’état ? Toujours plus de planification, de
logement social, un nouveau dispositif de défiscalisation, et un encadrement
renforcé des loyers. On peut donc être certains que la situation se
détériorera encore dans les années à venir, et que je pourrais réécrire sans
fin le même article sur la crise du logement…
L'Interview ci dessus a été publiée le
vendredi 28 mars par la magazine Atlantico
(lien). Les questions du journal en gras
L'original chez Atlantico
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