Le texte ci dessous est une fusion de ma dernière Interview "Logement" pour le magazine
Atlantico, et d'une partie d'un entretien précédent que j'ai trouvé
intéressant de relier à celle ci. Au menu: comment sauver le marché du
logement du marasme, non pas par un énième train de mesurettes qui ne font
que bricoler des politiques du logement de toute façon dysfonctionnelles,
mais par des changements de fond, et un leitmotiv: "permettons au
logement de redevenir un vrai marché !"
Atlantico -
Moins de 300 000 logements pourraient être mis en chantier en 2014, ce qui
proportionnellement équivaudrait à la production des années 1940. Combien de
nouveaux logements seraient nécessaires chaque année pour satisfaire la
demande ?
Vincent
Benard - Le chiffre de
500 000 Logements annuels nécessaires est souvent cité, mais je n’aime pas
beaucoup la formulation “il faudrait que l’on construise X nouveaux logements
par an”, qui trahit un certain mode de pensée “planificateur”.
Je préfère
dire qu’il faudrait que toute la demande “potentielle” qui, aujourd’hui, ne
trouve pas d’offre convenable, puisse trouver ces logements. On peut estimer
“à la grosse louche” le besoin de nouveaux logements lié à l’accroissement
annuel du nombre de ménages (+1.2% par an, source INSEE), à 300.000 nouvelles
unités. Mais à ce chiffre, il faut ajouter les besoins régionaux dans les
villes à solde migratoire interne positif, et surtout, le besoin de
renouvellement d’une partie du parc de logements actuels, vieux, en mauvais
état ou inadaptés à leur occupation, que leurs occupants aimeraient bien
quitter, mais n’en ont souvent pas les moyens. Combien de logements annuels
cela représente-t’il ? Nul ne peut le dire, l’idéal serait bien sûr que cette
résorption de l’habitat insalubre puisse se produire aussi rapidement que
possible, mais il est impossible de décider depuis un cabinet ministériel que
cela pourra se faire en 1 an ou en 10.
Ce qu’il faudrait, c’est que l’offre de logements puisse répondre “au bon
prix” à tous les signaux de demande, ce qui aboutira à construire “le bon
nombre” de logements chaque année. Et ce n’est pas le cas.
Atl - Manuel Valls aurait selon des
propos rapportés au Canard Enchaîné, fait porter l'essentiel de la
responsabilité du marasme sur Cécile Duflot, imputant à sa loi ALUR de 0,4 à
0,5% de croissance en moins aujourd'hui. Est-ce justifié ?
VB - Loin de moi l’idée de défendre Cécile
Duflot, mais les propos du premier ministre sont tout de même forts de café.
La folie taxatoire des deux premières années du quinquennat, qui ont conduit
à une baisse généralisée des investissements privés productifs, ne lui sont
pas, que je sache, imputables, et si elle n’a pas compris comment résoudre
les problèmes du marché du logement en France, elle ne les a pas créés, car
ils lui sont bien antérieurs. Évidemment, choisir une ministre
écolo-marxiste pour résoudre les problèmes d’un marché qui aurait besoin de
plus de liberté foncière, fiscale et économique, relève de l’erreur de
casting manifeste, mais enfin, je crois que l’on peut dire la même chose
de bien des ministres du gouvernement Ayrault… Et de l’actuel.
Quant au
chiffre cité par M. Valls, de 0,4% de croissance en moins qui serait lié au
seul "effet bâtiment", il est au mieux fantaisiste. La
construction (tous secteurs confondus) représente à peu près 6% de la Valeur
ajoutée brute française, avec une pointe à 6,5% en 2008 et un point de départ
à 5% en 2000. La croissance moyenne française dans la décennie 2000-2010 a
été légèrement inférieure à 1%: Comment faire croire qu’un secteur
représentant environ 6% de l’économie, et variant dans une proportion aussi mesurée
dans le temps, pourrait à lui seul expliquer une perte de croissance
représentant la moitié de celle constatée sur la dernière décennie ? C’est
absurde.
La faible
croissance française provient d’abord du poids trop élevé de son secteur
public, ce qui contraint les gouvernements à mettre en oeuvre des politiques
fiscales excessives dissuadant l’investissement productif en France,
tous secteurs confondus. Affirmer que sans les lois Duflot, les français se
seraient jetés à corps perdu dans la construction et auraient comme par
miracle relancé notre PIB, dans le même contexte économique général, relève
de la plus pure mauvaise foi. On peut se demander dans quelle mesure les
propos de M. Valls ne constituent pas une manoeuvre de diversion pour
retarder des réformes de fond que la majorité n’a pas le courage
d’entreprendre.
Une chose est certaine: les lois Duflot en général, et ALUR en particulier,
ne sont qu’une continuation de la spirale sur-réglementaire d’étouffement de
l’immobilier que nous connaissons depuis plusieurs décennies, et dont tous
les gouvernements ont été responsables.
Atl -
Quelles sont les mesures prioritaires à mettre en place pour relancer la
construction de logements neufs ?
VB - Si vous me demandez “la mesure
miracle qui va tout corriger en peu de temps”, désolé, mais personne n’a cela
en magasin, sinon, le pragmatisme l’aurait fait sortir d’un chapeau depuis
longtemps. D’autre part, le problème n’est pas de “relancer”, terme connoté
qui suppose une intervention directe des pouvoirs publics, mais de “libérer”
l’initiative privée.
Comme je l’ai
dit, il faut que l’offre puisse répondre à la demande, ce qui est la fonction
ordinairement dévolue à un “marché”. Malheureusement, en France, le “marché”
du logement n’en est plus un, c’est un pseudo-marché très contrarié par
l’état depuis plus de 100 ans. Restaurer un marché du logement fonctionnel
suppose non pas des mesurettes de coin de table mais des changements
paradigmatiques profonds dans notre approche politique du sujet. Je citerai 4
points majeurs, chacun pouvant faire l’objet d’un livre.
Tout d’abord,
il faut faire sauter les bouchons réglementaires sur l’ouverture à la
constructibilité des terrains dans les zones périphériques des grandes
agglomérations. Comme l’a expliqué le prix Nobel d’économie Paul Krugman,
quand il faisait encore de l’économie et pas de la politique, dans les
agglomérations qui peuvent facilement s’étendre par la périphérie, une bulle
des prix immobiliers ne peut pas se former, même en période de crédit “fou”,
car si les propriétaires de logements anciens de centre ville sont trop
gourmands, alors une alternative bon marché et de bonne qualité est facile à
trouver en banlieue. Par contre, si l’offre de nouveaux logements est
contrainte, alors le prix du logement tend à se rapprocher de la limite de
solvabilité des ménages les plus affluents, sortant du marché les foyers
modestes, et permettant aux vendeurs de logement de capter l’intégralité de
“l’effet d’aubaine” apporté par les taux d’intérêt historiquement bas.
Une fois ce
préalable posé, il faut revoir totalement notre politique de logement dit
social, en faisant notamment sauter les quotas obligatoires de logement
social SRU. En effet, pour atteindre ces quotas, les municipalités, qui n’ont
pas d’argent pour les financer, demandent aux promoteurs privés d’inclure
25%, voire plus - Certaines communes font du zèle…- de logements sociaux dans
leurs programmes neufs. Les mètres carrés sociaux sont revendus à perte par
le promoteur à des sociétés de HLM aux nombreux privilèges fiscaux, et la
perte doit être reportée sur les logements “privés”. Dans une ville comme
Nantes, l’acheteur privé surpaye donc chaque mètre carré de 300 à 500 Euros -
sans le savoir car personne ne le lui dit, évidemment - ce qui représente une
“taxe cachée” de 10 à 15% du prix total, “taxe” qui n’entre évidemment dans
aucun recensement de pression fiscale.
Avec 4,5
millions de logements sociaux en France, dont 3 Millions environ ne sont pas
situés dans une de ces ignobles “ZUS” dont les technocrates des années 50-70
ont parsemé le pays, il y a largement assez de logements sociaux en France, à
condition d’organiser la rotation des occupants de façon plus équitable
qu’aujourd’hui, où 50% de ce parc social “qualitatif” est occupé par des gens
qui n’ont rien à y faire de par leur revenus. La mise en place d’un bail
unique non renouvelable de 6 ans pour les logements sociaux serait de ce
point de vue un bon point de départ. Mieux encore, un retour de ces HLM dans
le marché privé via une privatisation unifierait le marché du logement, mais
j’admets que politiquement, c’est un Everest difficile à soulever.
Ensuite, après
avoir fait sauter ces deux facteurs de bulle, il faudra rénover notre droit
des baux locatifs de façon à ce qu’ un bailleur puisse expulser un mauvais
payeur en moins de trois mois, et obtenir réparation effective des
dégradations éventuellement causées par ces locataires souvent peu
respectueux de la propriété d’autrui. A cette condition, environ 400 à 500
000 logements, aujourd’hui soustraits volontairement par leurs propriétaires
du marché du logement, y reviendraient, soulageant la peine de ceux qui ne
trouvent pas de toit décent aujourd’hui. Naturellement, un dégonflement de la
bulle des prix permettrait de rétablir la liberté des prix des loyers sans
risque politique, permettant aux offreurs de réagir promptement à tout signal
de renchérissement du prix du logement, ramenant rapidement celui ci autour
d’un équilibre soutenable pour les offreurs comme les demandeurs en cas
d’apparition de tensions “frictionnelles” sur les prix dans une ville donnée.
Enfin, la
fiscalité du logement, neuf ou ancien, doit être revue, car elle est une des
plus élevée d’Europe, et induit nombre d’effets pervers. Notamment, les
Droits de Mutation (DMTO) sur les logements anciens, qui viennent d’augmenter
pour financer des collectivités locales au bord de la faillite, et
représentent, sur une transaction moyenne, 6 mois de salaire moyen, ou deux
ans de crédit supplémentaire, devraient être purement et simplement
supprimés, dans le cadre d’une réforme fiscale plus large hors du champ de
cet article.
Atl - A quelle échéance ces mesures pourraient-elles porter leurs fruits ?
VB - On ne peut rattraper 100 années
d’erreurs législatives en matière de logement en un an ou deux !
Refondre
totalement notre droit du sol pour y réintroduire de la liberté foncière sans
que cela n’aboutisse à “un grand n’importe quoi environnemental” suppose
qu’une équipe de spécialistes hautement compétente et managée par de vrais
professionnels de l’écriture législative se réunisse à temps complet pendant
plusieurs mois, concerte les élus locaux et les associations de propriétaires
pour faire de la pédagogie de la réforme, car un tel bouleversement ne
s’improvise pas. Comptons deux ans. Puis encore 3 pour que cela produise de
pleins effets sur la détente des prix fonciers.
Cela nous mène à un dégonflement de la bulle sur les prix du logement en 5
ans. C’est là le problème: c’est la durée d’un mandat, et des mesures
politiquement risquées qui ne risquent de produire leurs effets que lorsqu’un
successeur sera élu, n’intéressent aucun politicien.
Atl -
Le gouvernement tarde à mettre en place les mesures de simplification qu'il
avait annoncées le 29 août 2014. Le plan de départ répondait-il de toute
façon aux nécessités du marché ?
VB - J’ai déjà répondu pour vous à cette
question dans cet article au mois d’Août (“Pas d'amélioration à attendre des ajustements de Valls sur la
loi Duflot” ), et ma réponse était, sans grande surprise, négative.
Ce “plan” est une addition de mesurettes sans aucune vision cohérente, et si
certaines pouvaient apparaître comme un pas timide dans la bonne direction,
d’autres, comme le renforcement de la coercition contre les communes refusant
les quotas de logement social “SRU”, sont à l’opposé d’un retour à un marché
libre et fonctionnel tel que décrit ci dessus. Pour reprendre une très juste
métaphore d’Aurélien Véron, président du Parti Libéral Démocrate, “Le plan Valls
revient à agrandir la cour de la prison dans lequel les prisonniers peuvent
marcher, mais en augmentant la hauteur des murs: cela ne rend pas le
prisonnier plus libre”.
-------
Sources:
- Atlantico (24 novembre 2014, reprise totale)
- Atlantico (22 Août 2014, reprise partielle)