James Burnham et le suicide de l’Occident

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Published : January 12th, 2015
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« La théorie générale marxiste de "l'histoire universelle" dans la mesure où elle a un quelconque contenu empirique, me semble réfutée par les recherches historiques et anthropologiques modernes. » James Burnham, Lettre de démission au Workers Party.

 

 

James Burnham est né en 1905 à Chicago, au sein d’une famille d’immigrants catholiques. Il étudie à Princeton et à Oxford, puis enseigne la philosophie à l’université de New York. Sous l'influence de son collègue Sidney Hook, il est séduit par le marxisme et rejoint au début des années 1930 l'American Workers Party. Proche de Trotski, il participe avec Max Shachtman à la fondation d’un mouvement dissident, le Socialist Workers Party. Il écrit également dans The New International, une revue troskiste, et la Partisan Review, s’imposant comme l’un des intellectuels de gauche les plus en vue pendant la Grande Dépression.

 

Burnham s'éloigne du Socialist Workers Party au début des années 1940. Choqué par la brutalité du pacte germano-soviétique et par l'invasion des pays baltes et de la Finlande, il a de plus en plus de mal à croire que quelque chose de positif puisse être tiré de l'expérience tentée en URSS. Il se détourne également de la philosophie marxiste, dont il doute désormais ouvertement de la pertinence, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan historique.

 

La révolution managériale

 

En 1941, il expose ses doutes dans The Managerial Revolution. Largement influencé par les travaux de Pareto et Mosca, le livre analyse des similitudes entre les régimes politiques des États-Unis, de l'Allemagne nazie et de la Russie soviétique. Tous sont selon lui dirigés par des élites technocratiques, qui organisent le travail et la production selon des schémas finalement assez similaires. « Dans la société directoriale, écrit Burnham, la politique et l’économie sont fusionnées ; l’État ne comporte pas de limites : la sphère économique est, en même temps, celle de l’État […]. Dans la société directoriale, les directeurs deviennent l’État. » C’est ce type d’organisation, bien davantage que le socialisme idyllique chanté par Marx et Engels, qui lui apparaît comme l’horizon des sociétés industrielles.

 

Dans Machiavellians, Defenders of Freedom en 1943, Burnham approfondit son analyse. Développant sa description du fonctionnement de l’« État managérial », il explique que la rhétorique de la démocratie n’est le plus souvent qu’un leurre, une couverture cynique destinée à masquer la toute-puissance des nouveaux « managers ». Les conservateurs américains reprendront à leur compte quelques années plus tard cette analyse et populariseront le concept de New Class, désignant les intellectuels, journalistes, politiciens et « experts » favorables aux programmes sociaux. Daniel Kelly, son biographe, observe ainsi à juste titre que le style de Burnham donne « un aperçu du néo-conservatisme des années 1970 ».

 

Le théoricien de la Guerre froide

 

À partir du milieu des années 1940, Burnham s’engage corps et âme dans la lutte anticommuniste. Il anime notamment, avec l’aide de la CIA, l’antenne américaine du Congrès pour la liberté de la culture, qui regroupe de part et d’autre de l’Atlantique les intellectuels de gauche hostiles au communisme. En 1947, il publie The struggle for the World, dans lequel il réclame avec véhémence une stratégie plus offensive vis-à-vis de l’Union soviétique. Sa conviction est que l'Union soviétique et les États-Unis ne peuvent coexister. L'Union soviétique étant implacablement expansionniste, seule une politique énergique de « refoulement » peut mettre fin à ses agressions répétées.

 

Pour Burnham, les politiques d’« endiguement » défendues par Truman et Eisenhower sont inefficaces et dangereuses. L’Amérique doit reprendre les zones d’influence qu’elle a perdues, et cela sans craindre d’utiliser la puissance militaire. Selon lui, la « troisième guerre mondiale » est commencée : les États-Unis doivent cesser leurs atermoiements et prendre réellement la tête du monde libre. Dès les premières années de la Guerre froide, Burnham contribue ainsi à façonner la posture conservatrice en matière de politique étrangère, en rupture nette avec l’isolationnisme des décennies précédentes.

 

Dans les années 1950, Burnham se rapproche du mouvement conservateur. Il collabore au Freeman puis devient l’un des chroniqueurs réguliers de la National Review. En dépit de ce qu'il appelle sa « position anticommuniste dure » Burnham constitue une force de modération au sein de la mouvance. Ses positions souvent « centristes » tranchent avec le radicalisme de certains de ses collaborateurs. Burnham reste attaché au principe d’un État fort, voue une réelle admiration au républicain modéré Nelson Rockefeller et défend l’idée d’une assurance-maladie, ce qui indispose les libertariens orthodoxes. Il meurt en 1987.

 

Le suicide de l’Occident

 

Dans un premier temps, Burnham ne semble pas avoir considéré la « révolution managériale » comme une menace en soi - plutôt comme une évolution historique logique et inéluctable. Il pensait même que la « mission » des États-Unis était de produire un modèle managérial efficace, seul capable de s’opposer à la bureaucratie soviétique. Cette position évolue à partir des années 1960. Dans Congress and the American Tradition, il dénonce en 1959 la « corruption » des institutions américaines, la lente dégénérescence du Sénat et de la Chambre des représentants et l'apparition d'un exécutif hypertrophié, dont la toute-puissance est incompatible avec la survie d’une société libre.

 

En 1964, il va plus loin avec Suicide of the West. Dans ce gros essai, qui va rapidement s'imposer comme l'un des ouvrages de référence de la mouvance conservatrice, il s'inquiète de la contamination des élites managériales par une vision de monde « libérale » (au sens américain), autrement dit idéaliste, relativiste et progressiste, qui les rend incapables de continuer à jouer leur rôle « directeur ». Suicide of the West, n'est pas tant un livre sur la mort imminente de la civilisation occidentale qu'une analyse critique du libéralisme américain moderne. Burnham fustige l’incapacité de l’Occident à résister au communisme, précisément à cause de l’influence de ce libéralisme dévoyé. Il décrit les grands principes de ce libéralisme et montre comment certains de ces principes sont intellectuellement faibles en raison de leur incohérence interne, de leur incompatibilité mutuelle et des échecs de leur application. Il décrit également la psychologie libérale et notamment le rôle important joué par la culpabilité dans le développement de l’égalitarisme. La « nouvelle classe » devient à ses yeux une organisation parasite, dont l’action est inefficace et parfois même dangereuse. Son pacifisme notamment, ainsi que sa passivité face à la menace marxiste, font d’elle l'instrument inconscient d'un « suicide » de l'Occident.

 

Souvent inclassable, l'œuvre de Burnham a exercé une réelle influence sur les sciences sociales contemporaines. Des personnalités aussi différentes que George Orwell, Raymond Aron, Jacques Ellul ou John Kenneth Galbraith avoueront avoir repris à leur compte certaines de ses inspirations - à commencer par sa vision de l'« état organisateur ». Reste que le fait de n’avoir appartenu à aucune chapelle idéologique aisément identifiable le condamne à n'avoir qu'une postérité limitée.

 

À lire :

 

James Burnham, The Managerial Revolution, 1941.

James Burnham, Machiavellians, Defenders of Freedom, 1943.

James Burnham, Struggle for the World, 1947.

James Burnham, Containment or Liberation? 1953.

James Burnham, What Europe Thinks of America, 1953.

James Burnham, Congress and the American Tradition, 1959.

James Burnham, Suicide of the West: An Essay on the Meaning and Destiny of Liberalism, Regnery Publisher, 1964.

Daniel Kelly, James Burnham and the struggle for the world: a life, ISI Books, 2002.

 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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