Quand John Law a fait face à la dette
énorme de l’Etat en France au dix-huitième siècle,
il a émis beaucoup de papier monnaie -avec succès- et le pays
s’est senti riche. Il était intelligent, courageux, charmant,
honnête – et pour un temps- extrêmement populaire.
Malheureusement, il a ainsi ruiné tous ceux qui avaient de
l’argent en France, ce qui a fait de l’ombre à ses autres
qualités. Il est intéressant de se pencher sur ce qui
s’est passé.
Apprendre
son métier
John
Law était écossais. Il est né à Edimbourg en
1671, d’un père banquier et joaillier qui avait réussi. A
l’âge de 14 ans, il commença son apprentissage dans ces
métiers et s’en retourna à 17 ans, juste à temps
pour hériter de son père qui décéda cette
même année. Il était déjà connu alors pour
ses talents mathématiques et sa popularité auprès des
dames.
Riche
du domaine familial, il s’en fut à Londres où il ajouta
le jeu à ses compétences. Il gagnait
régulièrement et s’attira ce mélange de respect et
de jalousie qui poursuivent un homme qui réussit tant aux tables de
jeux qu’en chambre.
Malheureusement,
ses conquêtes en chambre cachaient certains risques. Londres
était à cette époque un lieu où l’honneur
d’une dame était une raison suffisante pour mourir
(c’était il y a vraiment longtemps) et quand Law fut
défié en duel, et qu’il accepta, il tira sur son
adversaire et, ce qui n’était pas déraisonnable, le tua.
Condamné
à être pendu, il est communément accepté
qu’il obtînt une aide amicale pour s’échapper
pendant le procès en appel et comme Londres était
n’était plus un lieu sûr pour lui, il se mit en route pour
l’Europe continentale.
Obtenir le meilleur poste
Pendant
quelques années, il vécut grâce à son esprit dans
les salons. Il était gros joueur et ce train de vie le conduisait
à entrer en contact régulier avec le duc
d’Orléans. Et pourtant, de manière surprenante pour un
joueur, il existait des signes précurseurs montrant que Law croyait
fermement à un destin plus élevé. Il avait
déjà, sans qu’on le remarqua beaucoup, publié des
traités sérieux d’économie et s’intéressait
de près aux métiers de la finance dont il avait tout appris
à Amsterdam. Le duc pensait suffisamment de bien de lui pour prendre
au sérieux ses idées sur le commerce et la finance.
L’Histoire,
pendant ce temps, poursuivait normalement son cours avec un grand roi. Louis
XIV était mourant et ayant été largement
célébré et honoré pendant toute sa vie, on se
souviendrait bientôt de lui avec quelque amertume en raison de la
taille de la dette nationale qu’il laissait à ses
héritiers. A sa mort, le jeune Louis XV avait seulement sept ans et c’est
le duc d’Orléans qui fut nommé Régent. Son
problème immédiat, c’étaient les trois millions de
livres emprunté par feu le Roi.
Une
dévaluation eu lieu rapidement. Le gouvernement ôta 20% de la
quantité de métal précieux des pièces, ce qui n’eut d’autre
conséquence que mener à l’éviction des pièces
anciennes en circulation. Ensuite, l’Etat décida d’offrir
des primes aux informateurs dénonçant les
thésaurisateurs. Les coupables étaient enfermés à
la Bastille.
Alors
que les choses se détérioraient, Law était introduit
auprès du duc à Paris. Son plan était simple. On lui
donnerait une banque et la gestion des revenus royaux et le droit
d’émettre de la monnaie-papier. Le papier serait garanti par une
combinaison des revenus royaux et de ses domaines –une idée qu’il
avait proposé dans ses articles sérieux plusieurs années
plus tôt.
La
Banque de France royale
Le 5
mai 1716, la banque de Law fut
créée. Ses billets seraient ensuite utilisés pour le
paiement des impôts. Son capital était constitué de 25%
en pièces et 75% de bons du Trésor -trop nombreux-
comptabilisés à leur valeur nominale (mais qui à cette
époque se négociaient avec un taux d’escompte
élevé).
Ensuite en garantissant sa monnaie-papier non pas par n’importe quelle
monnaie mais par les pièces émises lors de la création
de ses billets, il vit rapidement que son papier était
préféré aux pièces récemment
dévaluées et qui allaient certainement être encore
dévaluées davantage. Grâce à cette manœuvre impressionnante,
il récolta la majeure partie du stock de métal précieux
du pays. A la fin de l’année, ses billets valaient 15% de plus
que les pièces équivalentes et la dette de l’Etat se
négociait à environ 80% en dessous de sa valeur nominale.
Il
n’avait pas encore fini. Son projet suivant était
d’activer l’optimisme des possessions françaises aux
Etats-Unis. Il persuada donc le duc de lui octroyer un monopole complet sur
le négoce de la partie française du Mississippi. Ayant
déjà le contrôle de la frappe de la monnaie, de
l’émission du papier-monnaie et de la levée des
impôts, il eut alors le pouvoir exclusif du plus grand espoir
français- le commerce avec le nouveau monde. Il leva du capital de
manière conventionnelle en vendant ses actions pour un prix
fantastique payable en bons du Trésor très discomptés et
dont personne ne pouvait se débarrasser suffisamment vite.
“C’est alors que la griserie de la
spéculation commença se répandre sur la nation. La
banque de Law avait réalisé tant de bien, que toutes les
promesses qu’il pensait être autorisé à faire pour
l’avenir étaient crues instantanément. Le Régent
conférait chaque jour de nouveaux privilèges à
l’entrepreneur fortuné. La banque obtint le monopole de la vente
de tabac, le droit unique de raffinage de l’or et de l’argent et
fut finalement élevée au rang de Banque Royale de France. En
plein milieu de l’extase dûe à
la réussite, Law et le Régent oublièrent tous deux la
maxime proclamée si bruyamment par ce dernier, selon laquelle un
banquier qui émettait du papier-monnaie sans le garantir par des fonds
équivalents méritait la mort. Dès que la banque
privée devint une institution publique, le Régent fut à
l’origine de la fabrication de billets pour plus de mille millions de
livres. Ce fut le premier écart aux principes sains et un pour lequel
on ne peut pas blâmer Law. » Charles Mackay -1841.
Peu de
temps après, le monopole des droits de commerce avec l’Est fut
également octroyé à la compagnie et dans une succession
d’émissions d’actions- chacune à un prix plus
élevé que la précédente – un public
complaisant se battait pour le droit de convertir ses bons du trésor
qui possédaient de moins en moins de valeur en échange des
billets de Law et des certificats de participation du Mississippi
proliférant de toutes parts.
La
bête avait développé sa propre dynamique. Paris
fleurissait. Les biens de luxe étaient vendus dès qu’ils
entraient dans les magasins. Les jardins proches de la banque de Law
s’étaient transformés en une cité de tentes et
servaient de bourse financière impromptue. La valeur des biens immobiliers
et des loyers explosait alors que le marché des actions montait et
montait jusqu’à ce que les propres cochers des
spéculateurs deviennent eux-mêmes des magnats et emploient ceux
qui avaient été leurs égaux.
Le duc
en conclut que ce qui était clairement bénéfique dans
cette quantité particulière pourrait difficilement ne pas
être deux fois aussi bénéfique dans une quantité
deux fois plus grande. Et que dire du commerce supplémentaire et de la
simple difficulté à distribuer suffisamment de liquidités
pour tenir le rythme de la conversion des actions de la compagnie ? Il
se décida donc à émettre encore plus de papier-monnaie
en contournant Law, qui lui probablement en connaissait les risques, mais qui
avait probablement déjà suspendu sa discipline rigoureuse de banquier
au profit des applaudissements nombreux de son ingénuité
financière. De plus, l’en empêcher aurait très
certainement ennuyé son patron.
C’était
à peu près à cette époque, tandis que Paris
frétillait et se ravissait, que le Prince de Conti arriva avec
l’intention d’acheter autant d’actions qu’il pourrait
en obtenir. Il fut outragé qu’on lui refuse sa part
entière et envoya trois charriots à la banque de Law pour
demander une restitution immédiate - en pièces d’or- de
son stock complet de billets émis par Law.
Le
prince fut payé mais fut aussi instruit, qu’au risque de
déplaire grandement au duc –une chose fort peu
conseillée-, il devait rendre deux charriots immédiatement. Il
le fit. Mais ce fut suffisant pour que les opérateurs les plus malins
entrevoient la lumière.
Au
début, par petites quantités les professionnels
commencèrent à convertir leur papier. Les pièces, les
lingots et toutes les autres choses de valeur étaient subrepticement
transportés ailleurs – en Belgique, Hollande et Angleterre.
Bientôt,
il devint nécessaire de fixer par décret la prime que les
billets, de manière naturelle, avaient appelé sur les
pièces et le parlement déclara qu’à partir de
maintenant les pièces n’auraient plus comme valeur que 95% de
celle du papier. Le décret fut tout aussi utile que les décrets
similaires du passé et du présent.
Law
n’eut pas d’autre choix que de jouer le dernier atout de sa
carrière de banquier. Mettant en jeu sa dernière
autorité, il abolit les pièces comme moyen
d’échange et, ensuite en février 1720, déclara
illégal la possession d’or si minuscule soit-elle sous quelque
forme que ce soit. Il ferma ensuite les frontières et envoya des
instructions pour que tous les relais de poste refusent des chevaux frais
à quiconque voyagerait vers l’étranger avant qu’un
inspecteur n’ait contrôlé ses bagages. Les amendes
substantielles qui étaient imposées étaient
partagées avec les individus remplis d’esprit public qui
remplissait le rapport.
En
août de cette même année, c’en fut fini et John Law
devint l’homme le plus haï de France. Heureusement pour lui, il
vivait à Venise. Comme tous les joueurs de talent, il s’en
était allé vers le jeu suivant grâce auquel il continua
son existence pendant encore 9 ans. Beaucoup de l’argent qu’il
gagna à cette époque provenait sans doute de ce qui lui avait
échappé dans la fuite des capitaux qu’il avait rendue
hors-la-loi.
Paul Tustain
Président
Bullionvault.com
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