L’année 2016 est bien partie pour être une farce, coincée entre une année 2015 économiquement et politiquement désastreuse et une année 2017 déjà entièrement vendue comme électorale et rien d’autre. Et comme dans toute farce, il faut un dindon, il n’aura pas fallu plus de quatre jours pour en trouver un bien dodu que les médias se sont empressés de nous présenter.
Alain Juppé est sur toutes les lèvres. Enfin, « toutes », c’est une expression : il est sur toutes les lèvres des classes jacassantes. De sondage en article, d’édito en plateau télé, le personnage semble subitement indispensable à faire monter la sauce politique que nos médias tentent de nous vendre une fois encore. De surcroît, en jouant un peu sur l’égo du politicien, ce dernier étant d’autant plus développé que sa hontectomie aura eu lieu tôt, le brave Alain n’a pas de mal à mordre au bel hameçon et aux douzaines de gros micros mous tendus sous son nez pour abonder dans le sens du Tout Paris Médiatique.
Dès lors, il suffira de l’interroger sur les sujets du jour, depuis les événements corses jusqu’à la rocambolesque proposition de François Hollande de déchoir de leur nationalité les terroristes bi-nationaux, et la machine médiatique pourra s’emballer gentiment en imaginant déjà le maire de Bordeaux en âpre adversaire de l’actuel président. Le voilà qui se fend donc d’un tweet héroïque où, n’écoutant que son courage, il fait don de sa personne à la Patrie (qu’il espère très reconnaissante) et en profite pour exposer un court programme présidentiel en une vingtaine de points serrés comme un sketch de cabaret.
Les 20 propositions d'@alainjuppe sur le régalien #EtatFort
Interview dans @leJDD
cc @demontvalon1 @Chr_Ollivier pic.twitter.com/NCib3amm65
— AJ pour la France (@ajpourlafrance) January 3, 2016
En lisant ce tweet, en parcourant ces articles de presse, en tombant sur ces sondages plus ou moins farfelus, et à condition de faire preuve d’un peu de recul et de lucidité, on ne peut qu’être pris d’un sentiment gêné, consterné même, devant le grotesque de la proposition sous-jacente.
Grotesque, parce que tout ceci fait repenser à la drôlatique crise de balladurite qui s’était répandue en France en 1995 : porté par des sondages habilement flatteurs, Ed l’épicier Balladur avait décidé de se présenter à la présidentielle. Cette manœuvre avait essentiellement gêné la droite bien plus que la gauche, mais l’avance de Jacques Chirac n’avait finalement guère changé l’issue du scrutin, connue de tous ceux qui n’avaient pas été frappés par la fièvre balladurienne.
Le cas Juppé est actuellement construit de façon à peu près similaire.
Délicieusement à gauche pour un type de droite (si tant est que ces deux appellations aient encore un sens dans un pays où les deux vieux partis se passent cérémonieusement le mickey à chaque tour de manège), mélange habile de la carpe progressiste et du lapin conservateur, Alain Juppé est le candidat pratique, rêvé même, pour éviter de s’appesantir un peu trop sur la perspective pas très réjouissante d’un second tour où le candidat « républicain » (qu’il soit de droite ou de gauche) serait confronté à un candidat frontiste.
Dans le pire des cas, Juppé, même confronté à Marine Le Pen, est actuellement présenté par la presse comme un candidat acceptable pour une gauche qui se retrouverait alors volée de son élection (même si rien n’indique qu’un transfert des militants et sympathisants PS vers Juppé s’opérerait aussi bien que ce que nos médias feignent de croire).
Dans le meilleur des cas, Juppé se retrouverait en face d’un Hollande qui disposerait là d’un adversaire en carton : en effet, même si Hollande est complètement nul en économie, en relations internationales ou dans la plupart des domaines de prédilection présidentielle, il n’en reste pas moins un politicien aguerri aux combines et aux coups tordus que le pire de la politique politicienne autorise dans ce pays. Autrement dit, compte-tenu du nombre de casseroles politiques de Juppé, Hollande n’aurait pas de mal à s’en débarrasser et, à l’heure où ces lignes sont écrites, l’actuel président sait probablement déjà comment procéder.
Et dans le cas le plus probable, Juppé ne sera même pas au second tour.
Il suffit justement de lire le « programme » qu’il nous brosse à gros traits pour replacer le personnage dans son contexte : entre la création de 10.000 nouvelles cellules de prison (déjà planifiées, du reste – promesse facile à tenir) et les autres mesures de la même trempe, faussement fermes qui se traduisent avant tout par des dépenses dans un État surendetté, les mesures parfaitement liberticides (délit de consultation régulière de vilains sites, contredanse pour consommation de cannabis) ou celles complètement impraticables (pactes divers), on est dans le tout venant bricolé à la va-vite, sans la moindre colonne vertébrale idéologique un peu construite, qui permet de ratisser large sur la droite en attendant le flot de propositions toutes aussi foutraques lorsque le moment d’amadouer la gauche et de rassembler au centre sera venu.
Et puis, force est de constater qu’en terme de changement, on est bien dans le ridicule : Juppé n’est plus de la première jeunesse, et ce repris de justice, faible devant les syndicats, n’a jamais brillé par ses solides convictions puisqu’il a même prouvé qu’on peut très bien retourner sa veste et baisser son pantalon tout en restant droit dans ses bottes.
N’oubliez pas : notre frétillant septuagénaire était déjà au pouvoir en 1995, il y a plus de 20 ans de cela. C’est le candidat des quadras des années 90 qui sont à présent en retraite et ont les miquettes pour leurs acquis. Ce n’est en tout cas ni le candidat des jeunes (qui n’étaient pas nés lorsqu’il sévissait), ni celui des classes moyennes ou pauvres, ni des ouvriers, ni des immigrés ou descendants d’immigrés. Et si les Français le voient bien candidat, on peut raisonnablement parier que ce n’est pas pour voter pour lui, mais simplement pour rafraîchir la tapisserie électorale, passablement répétitive actuellement.
Bref, du point de vue des médias, et des journalistes (dont le biais pro-socialiste n’est guère oubliable), Juppé est un candidat idéal : crédible pour la droite, facilement destructible par la gauche qui pourrait ainsi conserver le pouvoir. Bonus : il pourrait même être recyclé en premier ministre rigolo si une cohabitation déboulait.
Mais sur le fond, c’est une grosse blague : la France, et les Français selon les récents sondages, réclament un changement de politiciens, de têtes et de façon de penser, de faire de la politique en rejetant par exemple Hollande et Sarkozy, déjà trop vus. Et que tente-t-on de nous présenter ? Un vieux cheval de retour, qui a déjà montré ce dont il était capable (ou plutôt, ce dont il était incapable), qui, dans un contexte bien plus favorable qu’actuellement s’est retrouvé à stopper net toutes réformes, tout changement, et qui voudrait nous faire croire qu’avec l’âge (qui, pourtant, tend plus sûrement à scléroser l’individu) il aurait évolué, et qui nous présente alors un programme déjà lu, déjà tenté… Et déjà foiré.
Si le seul changement possible, c’est Juppé, alors ce pays est foutu.
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