Dans la catégorie « Ces gens qui savent mieux que vous ce qui est bon pour vous », on ne présente plus les syndicats. C’est assez régulièrement que je présente dans ces colonnes leurs actions d’une pertinence douteuse pour aider l’une ou l’autre entreprise. Cette fois-ci, cependant, plutôt qu’une entreprise privée, évoquons une structure publique…
Parce qu’en effet, si le syndicalisme mal compris et mal appliqué est un des maux qui rongent les entreprises françaises, avec une bureaucratie galopante et des normes toujours plus délirantes à tel point qu’on peut raisonnablement parler d’une occupation intérieure délétère, il en va malheureusement de même dans le public. On pourrait croire qu’être hors du secteur commercial et donc pas directement soumis à la terRrible concurrence du marché et du capitalisme sauvage qui broient les individus (et des chatons) par douzaines, ça protègerait les institutions publiques des errements parfois stupéfiants des organisations syndicales ; il n’en est rien.
À vrai dire, c’est même pire : la structure même des structures publiques et l’aspect parfois rigoureusement inamovible de certains syndicalistes, malgré leurs pratiques embarrassantes intellectuellement voire douteuses légalement, ont tendance à aggraver une situation qui serait déjà pénible dans une entreprise privée. Pour ceux qui veulent simplement faire leur travail, et qui prennent goût à le réaliser correctement, cette situation est à ce point insupportable qu’elle finit par démotiver complètement certains professionnels au demeurant très compétents. Il n’est pas rare que ces derniers, lassés de trouver toujours des bâtons dans leurs roues, démissionnent (soit littéralement, soit métaphoriquement en réduisant leur travail au strict minimum, syndical).
L’exemple d’aujourd’hui m’est fourni par un aimable lecteur (S.B) — que je remercie au passage — et nous amène du côté de Toulouse, au C.H.U. de Rangueil, et plus spécifiquement au service des grands brûlés de l’hôpital dont l’équipe compte 30 membres. Pour des raisons aussi bien d’organisation que médicales, cette équipe a choisi de caler ses journées sur un temps de présence de 12h. Les roulements et les gardes permettent ainsi, de l’aveu même des personnes concernées, de « mieux répondre aux besoins si particuliers des grands brûlés ».
D’après Mylène Delile, une des infirmières de l’équipe, cette organisation permet au même intervenant de mettre à l’air et refermer le pansement, évitant ainsi des changements d’équipes intempestifs, ce qui assure un meilleur respect des règles d’hygiène avec, à la clef, une diminution significative du nombre d’infections. En outre, cela entraîne un meilleur contrôle de la nutrition des grands brûlés. Et de façon plus terre-à-terre, un autre avantage dégagé par ces journées de 12h, plébiscitées par l’équipe, est de laisser un vrai temps de pause pour les repas, et de descendre le nombre de week-end de permanence à un par mois au lieu de trois dans la précédente organisation. Pour le Dr. Jacky Laguerre, responsable du service des grands brûlés au CHU Rangueil,
« Le service est transformé, c’est plus calme, plus posé. »
Un service qui marche comme sur des roulettes, des gens satisfaits, qui s’organisent sans avoir eu besoin de l’intervention de tout une armée de parasites divers ? C’est intolérable ! Heureusement, le syndicat SUD est intervenu et a décidé de porter l’absence de problème devant le tribunal, en déclarant défendre la santé du personnel, pourtant améliorée par cette nouvelle organisation. Il faut comprendre les syndicalistes : ils ont le respect de la loi chevillé au corps, c’est bien connu.
Las. Après un premier jugement favorable, le tribunal administratif de Bordeaux s’est déclaré favorable en appel à l’organisation en 12 heures au service des grands brûlés. Vraiment, de qui se moque-t-on ? SUD ne se laissera pas faire ! Victor Alava, le syndicaliste pointilleux, lancé dans cette procédure invraisemblable, soutient de façon extraordinairement crédible ne pas mener bataille contre le personnel, et pour appuyer cette évidente volonté de conciliation, a décidé de se pourvoir en cassation, afin, je cite, de défendre
« … la santé du personnel, la loi, et nous demandons à la direction de mettre en place un moratoire sur les organisations en 12 heures »
Il faut dire que le petit Victor a un argument de poids : le retour à la précédente organisation (celle qui, apparemment, présentait plus de risques pour la santé des patients, mais dont Alava n’est pas le représentant syndical, faut pas pousser, hein), sanctionnée par la loi, et qui tient en plus en 7h42.
Oui, vous avez bien compris le tableau : il s’agit de bousculer l’organisation en 12 heures, décidée et choisie par les praticiens et les professionnels du terrain, pour mettre en place une superbe organisation décidée par un groupe syndical et une loi arbitraire, qui tient en 7h42.
Et immédiatement, on comprend l’importance du combat de notre ami Victor. Car il est clair que 7h42 est à la fois une durée de temps facile à retenir et qu’elle divise de façon fort pratique une journée de 24h en 3,1169 parts égales (soit PI à moins d’un pourcent, mes amis, eh si !). Or ça, on ne le dira jamais assez, cela permet des roulements du feu de Dieu entre équipe. 7h42, vous ajuste automatiquement les petits rythmes circadiens comme il faut ! 7h42, c’est une façon comme une autre de faire rentrer Kafka tout entier avec un pied de biche au milieu d’une mécanique de précision suisse.
Un régal, non ?
Ici, on est en droit de s’interroger ce qui est le plus pathétique.
Est-ce le fait qu’on fasse perdre du temps à la Justice sur des affaires aussi ridicules, qu’on mobilise des juges, des avocats, sur l’organisation d’une équipe de professionnels qui ont décidé, en toute connaissance de cause, de s’organiser entre eux afin d’optimiser leur bien-être et celui de leurs patients ?
Est-ce le fait qu’un syndicaliste ou qu’un groupe syndical puisse ainsi s’arroger le droit de fourrer son nez dans ces affaires alors que les adultes responsables, en face, ne lui ont rien demandé ? Certes, des lois, génériques et loin des cas particuliers, leur donnent ce genre de latitude relativement iniques, mais comment rappeler à ces individus qu’ils sont normalement au service des salariés et des employés, pas au détriments de ces derniers ?
Est-ce le ridicule de la contre-proposition (7h42, bordel ! 7h42 – on croirait une proposition de SUD Rail !), qui ne peut que consterner l’individu normal doté de deux sous de bon sens et d’une paire de pouces opposables ? Et puis d’abord, pourquoi 7h42 et pas 8h ? Et surtout, pourquoi pas 7h43, ou o6h57, tellement plus fun dans le principe ?
Au-delà de cet exemple si caricatural qui serait drôle s’il n’était pas réel, imaginez bien qu’en France, ce pathétique se retrouve à tous les niveaux, dans le public et dans le privé. D’amoncellements normatifs ridicules en syndicalistes arcboutés sur des principes stupides et une déconnexion dramatique (voire carrément dangereuse) au réel, on en arrive à un pays où Kafka n’est plus seulement partout, il règne en maître avec Ubu, par roulements de 7h42.
Logiquement, 7h42 ou pas, ce pays est foutu.
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