Les
récentes acquisitions de groupes industriels français par des
sociétés étrangères sont en grande partie dues au
système de retraites par répartition qui empêche
l’épargne en actions. Mais aussi à la fiscalité et
la réglementation étouffantes que connaît actuellement le
pays.
Au printemps,
l’ancien ministre français de l’Economie, Arnaud
Montebourg, appelait de ses vœux une épargne qui puisse
défendre l’industrie française. En la matière,
Arnaud Montebourg n’a rien inventé. Il s‘est
contenté de revisiter l’un des projets esquissé par Jean
Jaurès. En oubliant toutefois qu’il serait bien difficile
à mettre en place, faute d’épargne longue à
investir dans les entreprises. Jaurès rêvait d’une
capitalisation qui permette aux travailleurs de contrôler le capital.
Au lieu de s’attaquer au capitalisme, accusé de
s’accaparer les profits, Jaurès proposait d’utiliser la capitalisation
pour rééquilibrer la situation.
Loin
d’une vision binaire de la lutte des classes, Jaurès et ses
disciples défendaient une capitalisation qui rendrait la classe
ouvrière «à la fois capitaliste et
salariée», lui permettant de recevoir «tout le produit
social qui résulte de la mise en œuvre de ce capital par le
travail ouvrier».
La position
d’un Montebourg s’apparente à ce type de vision, pour
coller à l’actualité. Ces derniers mois, la France a vu
beaucoup de sociétés qualifiées de
«fleurons» être acquises par des groupes étrangers.
Le ministre tente simplement de rassurer la population. Mais il s’agit
plus d’une posture que d’autre chose, car la
réalité française est radicalement différente de
celle d’il y un siècle. Déjà, la France n’a
pas assez d’épargne retraite puisque ce pays a fait le choix du
système de retraite par répartition. Ensuite, le volume
d’épargne en action est insuffisant puisque
l’épargne est drainée ailleurs. Enfin, au-delà du
manque d’épargne longue domestique, la situation économique
du pays manque d’attractivité globale.
Les fonds
solutions d’épargne individuelles ou collectives sont
aujourd’hui anecdotiques en France. Même intégrant toute
l’épargne pour la retraite on arrive aux alentours de 10% du PIB
contre 35% en moyenne dans l’OCDE et 70% en moyenne
pondérée. Cette situation est le fruit de l’histoire,
avec une inflation qui a ruiné tous les petits épargnants, une
mise en place de la répartition durant la seconde Guerre Mondiale et
sa généralisation à la libéralisation.
À la
faiblesse des fonds privés s’ajoute celle des fonds de
réserve publics français. Moins de 2% du PIB pour le Fonds de
réserve des retraites (FRR), qu’on vide depuis 2010 pour couvrir
les déficits de la sécurité sociale. 2% contre en
moyenne à 18,9% du PIB dans la zone OCDE en 2011. La différence
est énorme.
Enfin, la
situation du pays est inquiétante. Et comment ne le serait-elle pas?
85% des revenus des personnes de plus de 65 ans provient de transferts
publics, contre légèrement plus de 60% dans les pays de
l’OCDE. Les engagements implicites des régimes par
répartition représentent de l’ordre de 3,5 années
de PIB.
De même,
le volume d’épargne en actions n’est pas suffisamment
important. Arnaud Montebourg rêvaite
d’une épargne longue, qui puisse changer la donne, avec
investissement en action à long terme mais les réserves des
fonds publics (FRR, ERAFP) sont avant tout investis en obligations. Il en va
de même des produits gérés par les assurances, et
notamment de l’assurance-vie, présenté par le ministre
comme un palliatif à l’absence de fonds de pension. Elle est
investie à moins de 25% en actions. Ce qui n’est absolument pas
comparable avec des fonds de pensions des pays de l’OCDE, investis en
moyenne à 40% en actions.
Depuis le XIXe
siècle, l’épargne française, en grande partie, est
drainée vers le court terme et la dette publique. La perte de
confiance dans le crédit monétaire de la France, suite à
la banqueroute des deux tiers lors de la Révolution, a conduit les
pouvoirs publics à organiser le drainage de l’épargne. Au
XIXe siècle, les fonds des caisses d’épargne puis des
caisses de retraite ont été captées pour le financement
de l’État. Dans la seconde moitié du XXe siècle,
l’inflation avait simplifié la donne, mais ce circuit «du
trésor» a subsisté. Une grande partie de
l’épargne est fléchée (financement du logement
social, des économies d’énergie…) et l’autre
grande partie est investie en dette publiques. Le solde, permettant de financer
l’activité économique, est donc limité.
Le manque
d’épargne n’est cependant pas le seul responsable des
difficultés actuelles des entreprises françaises. Une grande
partie des problèmes sont liées à une fiscalité
et une règlementation trop contraignantes. Même si l’on
observe un biais domestique dans les investissements (les ménages
français, comme les anglais ou les américains, investissement
avant tout dans des actions ou obligations nationales), il n’est pas
sûr qu’une épargne retraite en actions abondante aurait été
d’un quelconque secours pour des entreprises comme Alstom.
Les
épargnants sont à la recherche de rendements et nombre
d’entreprises françaises sont handicapées par la
fiscalité, la règlementation et l’instabilité
juridique. Elles ne peuvent être performantes dans ce contexte.
Certains groupes, très dynamiques, ont réussi à
contrebalancer cette situation en s’ouvrant à
l’international, voire même en s’y expatriant… Ce
mouvement n’est pas récent mais la taxation des salaires
à 75% et les mesures prises dans la loi de finances 2013 ont fait
déborder le vase. Alstom est une entreprise très
dépendante de la commande publique, dans un pays ou
l’état des finances publiques pose problème. C’est
cela qui explique son endettement et sa volonté d’adosser ses activités
«énergie» au groupe américain General Electric.
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