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Les chiffres sont tombés des douanes cette
semaine et ont alimenté gazettes et buzz-net.
Les balances commerciales de la France et de l'Allemagne n'ont pas été
équilibrées en 2011. "Grande nouvelle" !
La balance commerciale française a connu un déficit de :
€ 69,6 milliards
alors que la balance commerciale allemande a connu, non pas un
déficit, mais un excédent de :
€ 158 milliards.
Et les commentaires de s'émouvoir des chiffres après avoir
qualifié le chiffre français, par exemple, de
« fort » et le chiffre allemand, par exemple, de
« record ».
Sur ce point, il y a un an, le 15 février 2011, j'ai écrit un
billet intitulé "L'euro, jusqu'à quand" (cf. le
billet).
Je n'ai rien à y changer, rien n'ayant changé ou si peu, et ne
le reprendrai pas.
Je ferai seulement remarquer que, de 2010 à 2011, le
déficit français s'est "creusé", passant de :
€ 51,5 milliards
à
€ 69,6 milliards.
Source : Les Echos,
tandis que l'excédent allemand a "monté", passant de
:
€ 155 milliards
à
€ 158 milliards.
Source : L'express
Je préfère insister ci-dessous sur un point différent,
à savoir que les actions d'échange des êtres humains et
leurs coûts sont mis de côté par la théorie
économique dominante et que le vide ainsi créé rend des
situations économiques magiques et manipulables de différentes
façons (par des théories économiques, par des hommes de
l'Etat, etc.), comme le sont celles des balances commerciales nationales.
1. Les échanges
économiques internationaux ou « transfrontières ».
Le cas échéant, les commentaires ont insisté sur le
montant en monnaie des exportations, avec graphique de leur évolution
récente à la clé, tant ils considéraient
importante la situation.
S'agissant des exportations françaises, elles se sont monté en
2011 à :
€ 428,8 milliards
(cf. graphique ci-dessous)
Graphique
Les échanges internationaux de biens
de la France
2002 - 2012
Source : Les
Echos.
Pour leur part, les exportations allemandes ont atteint :
€ 1060 milliards
Pour ma part, je dirai : « et alors ? » tant
les commentaires donnés - que je ne relèverai pas - n'apportent
pas la moindre information économique digne d'intérêt.
a) Les exportations,
actions d'échanges économiques coûteuses.
En effet, qu'est-ce qu'une exportation ?
Ce n'est pas un chiffre des douanes.
C'est une action d'échange international - ou
"transfrontière" comme disent plutôt désormais
les théoriciens - de droits de propriété sur des biens
entre deux personnes, situées dans deux pays différents, qui a
abouti.
Or les actions d'échanges économiques en tant que telles sont
bannies du discours économique ordinaire, de la théorie
économique dominante, cannibalisées qu'elles sont par la
production ou par la consommation ou par l'investissement ou par
l'épargne ou par la croissance, etc., chacun(e) envisagé(e)
comme résultats d'action ou comme actions plus ou moins humaines.
A la limite, elles sont prises en considération mais
déformées, voire caricaturées : par exemple, elles ne
seraient pas coûteuses, leur coût serait nul.
b) Des paiements en
monnaie.
Mais tout cela a trait apparemment à des paiements en monnaie,
eux-mêmes résultats des échanges en question, et non pas
aux actions d'échange coûteuses qui ont présidé
à ces résultats, à savoir les actions d'exportations et
d'importations des gens.
En d'autres termes, l'important, à savoir les actions d'échange
économique coûteuses menées elles-mêmes, sont
ignorées.
Pourtant, importations et exportations de biens sont d'abord des actions
d'échange coûteuses dont le coût d'opportunité ne
saurait être négligé comme il l'est par la vulgate
économique.
Sans monnaie, elles ne seraient pas possibles dans la même mesure. La
monnaie a contribué à diminuer leur coût et à les
rendre ainsi possibles.
c) Paiement en monnaie -
« devise » - ou financement par titres financiers -
« capitaux » -.
De plus, ces résultats sont très partiels car ils cachent des
résultats intimement liés et non évoqués - ils
seront publiés dans les prochaines semaines... -, et par
conséquent, les actions implicites qui y ont présidé,
à savoir les échanges de titres financiers –
dénommés « capitaux » dans le cadre international
- et les échanges de monnaies, abusivement dénommées
« devises » encore aujourd'hui - dès lors que
les monnaies sont échangeables internationalement -.
Monnaie - « devises » - et finance -
« capitaux » - ont contribué à diminuer
les coûts des actions d'exportations de biens et à les rendre
ainsi possibles.
Et on ne le sait pas.
2.
"Financement" ou "paiement" des échanges
internationaux.
En effet, comment les échanges internationaux de biens et services
ont-ils été financés – par "mouvements de
capitaux" - ou payées – par "mouvements de
monnaies" ?
Soit dit en passant, dans le cadre international, il est aussi courant de
parler de "mouvements" plutôt que
d'« échanges » comme pour mieux exclure encore
l'être humain de ce dont il est question et construire la grande
"mécanique" théorique.
Etant donnée une exportation de bien d'un certain montant en monnaie,
- une importation de titre financier – dénommé
"capitaux" -, c'est l'acquisition d'une créance ou la
cession d'une dette contractée de même montant,
- une importation de monnaie, c'est l'acquisition d'une quantité de monnaie
étrangère ou celle de monnaie nationale détenue à
l'étranger, de même montant.
Ainsi les € 429 milliards d'exportations de la France ont fait que
celle-ci a acquis des créances ou cédé des dettes, a
acquis des quantités de monnaies étrangères ou celle de
monnaie euro détenue à l'étranger, ou un
« mix » des deux, ... d'un montant de € 429
milliards.
En d'autres termes, les exportations de biens de € 429 milliards
cachent
- des importations de titre financier ou de monnaie d'un montant de
€429 milliards ou
- des importations de titre financier supérieures à des
exportations de monnaie dans la mesure du montant de
€ 429 milliards ou
- des importation de monnaie supérieure à des exportations de
titre financier dans la mesure précédente,
bref des mouvements de capitaux ou de devises aussi importants que les
exportations de biens.
Pour l'Allemagne, le montant de référence se monte
à :
€ 1050 milliards.
A l'opposé, étant donnée une importation de bien d'un
certain montant,
- une exportation de titre financier – dénommé
« capitaux » -, c'est la cession d'une créance
ou l'acquisition d'une dette contractée d'un certain montant,
- une exportation de monnaie – dénommée
« devise » -, c'est la cession d'une quantité de
monnaie étrangère ou celle de monnaie nationale.
Dans tous les cas, sans ces « mouvements » ou
échanges de titres financiers (« capitaux ») ou
de monnaies (« devises »), il n'y aurait pas eu
d'exportation ou d'importation, d'action d'échange de biens de ce
type.
En particulier, ces « mouvements de capitaux » ont
rendu possible l'exportation ou l'importation de biens et donc ont
diminué le coût de l'action d'échange international.
3. Intime relation
économique.
En d'autres termes, biens, titres financiers et monnaies sont intimement
liés, les trois types d'actions d'échange international en
matière de ces objets devraient être pris en
considération simultanément et, en particulier, au travers de
leurs coûts respectifs.
Sauf à ce qu'il n'y ait pas eu d'échange financier – et
dans ce cas il conviendrait que les sources d'informations le signalassent -,
rien ne justifie de passer sous silence les échanges financiers en les
assimilant en fait tacitement aux échanges de monnaie. Monnaie et
finance font deux.
Ce que cache la balance du
commerce.
Un excédent de la balance commerciale cache
- une importation nette de titre financier ou de monnaie d'un montant
égal ou
- une importation nette de titre financier supérieure à
l'exportation nette de monnaie dans la mesure du montant de l'excédent
ou
- une importation nette de monnaie supérieure à l'exportation
nette de titre financier dans la mesure du montant de l'excédent.
Un déficit de la balance commerciale cache
- une exportation nette de titre financier ou de monnaie d'un montant
égal ou
- une exportation nette de titre financier supérieure à
l'importation nette de monnaie dans la mesure du montant du déficit ou
- une exportation nette de monnaie supérieure à l'importation
nette de titre financier dans la mesure du montant du déficit.
Ainsi, l'Allemagne a-t-elle accumulé, net, via les échanges
internationaux de sa population et ses entreprises de toute nature ... dont
l'Etat,
- des titres financiers ou de la monnaie ou
- des titres financiers – position créancière -, ou
- de la monnaie.
Pour 2011, elle a accumulé, net, pour :
€ 158 milliards.
Ainsi, la France a-t-elle abandonné, net, via les échanges
transfrontières de sa population et ses entreprises de toute nature
... au nombre de quoi l'Etat,
- des titres financiers ou de la monnaie ou
- des titres financiers -position débitrice ou de dette - ou,
- de la monnaie
Pour 2011, elle a abandonné, net, pour :
€ 69,6 milliards.
Autant l'accumulation est sans limite a
priori, autant l'abandon est a
priori limité : il est limité par le stock des
monnaies détenu, par le stock de créances détenu et par
la capacité d'endettement.
Mais la capacité d'endettement est, en grande partie, fonction des
stocks de monnaie et de créances qui agissent sur la confiance.
Il s'ensuit que l'abandon est a
priori limité par les stocks identifiés et qu'il
s'agit donc de les connaître.
Le coût de
l'échange international.
C'est ainsi que j'aurai tendance à expliquer la différence de
résultats entre la France et l'Allemagne d'abord par la variable ignorée,
à savoir les coûts des actions d'exportations, ce qu'au milieu
du XIXème siècle, Frédéric Bastiat
dénommait "frais" et "droits" dans le texte
ci-dessous :
"[...] un
négociant de mes amis, ayant fait deux opérations dont les
résultats ont été fort différents, j'ai
été curieux de comparer à ce sujet la
comptabilité du comptoir à celle de la douane,
interprétée par M. Lestiboudois avec
la sanction de nos six cents législateurs.
M. T... expédia du Havre un bâtiment pour les Etats-Unis,
chargé de marchandises françaises, et principalement de celles
qu'on nomme articles de Paris, montant à 200,000 fr.
Ce fut le chiffre déclaré en douane.
Arrivée à la Nouvelle-Orléans, il se trouva que la
cargaison avait fait 10 % de
frais et acquitté 30
% de droits, ce qui la faisait ressortir à 280,000 fr.
Elle fut vendue avec 20 % de bénéfice, soit 40,000 fr., et produisit au total 320,000 fr.,
que le consignataire convertit en coton.
Ces cotons eurent encore à supporter, pour le transport, assurances,
commission, etc., 10 % de
frais : en sorte qu'au moment où elle entra au Havre, la
nouvelle cargaison, revenait à 352,000 fr.,
et ce fut le chiffre consigné dans les états de la douane.
Enfin, M. T... réalisa encore, sur ce retour, 20 % de profit, soit
70,400 fr.; en d'autres termes, les cotons se
vendirent 422,400 fr.
Si M. Lestiboudois l'exige, je lui enverrai un
extrait des livres de M. T... II y verra figurer au crédit du compte
de profits et pertes, c'est-à-dire comme bénéfices, deux
articles, l'un de 40,000, l'autre de 70,400 fr., et
M. T... est bien persuadé qu'à cet égard sa
comptabilité ne le trompe pas.
Cependant, que disent à M. Lestiboudois les
chiffres que la douane a recueillis sur cette opération?
Ils lui apprennent que la France a exporté 200,000 fr.
et qu'elle a importé 352,000 fr. ;
d'où l'honorable député conclut
« qu'elle a dépensé et dissipé les profits de
ses économies antérieures, qu'elle s'est appauvrie, qu'elle a
marché vers sa ruine, qu'elle a donné à
l'étranger 352,000 fr. de son
capital. »" (cf. Bastiat http://bastiat.org/fr/balance_du_commerce_sophisme.html)
4. Il n'y a pas de
« déficits jumeaux ».
Certains aiment à comparer le déficit de la balance commerciale
et celui du budget de l'Etat en parlant au passage de
« déficits jumeaux ».
S'il y a bien un exemple de « faux jumeaux » par
excellence, c'est bien celui là.
Le déficit du budget de l'Etat procède pour une faible part
d'actions d'échanges économiques, celle en relation avec une
partie des dépenses publiques.
L'essentiel du budget procède de la fiscalité, i.e. de vols
légaux de ressources, et de redistribution de celles-ci, i.e. de dons
ou subventions arbitraires, bref de réglementations « non
tarifaires » (pour utiliser la terminologie de la théorie
des échanges internationaux).
Mais il y a aussi des règles « tarifaires ».
Pour cette raison, quand ils se produisent simultanément, les deux
déficits ne sont pas comparables, ils ne sont pas du même ordre
quand on raisonne en termes d'actions humaines..
Cela ne doit pas cacher la relation de causalité économique
qu'on peut établir entre le budget de l'Etat et la balance
commerciale, i.e. entre toutes les réglementation
« tarifaires » et « non tarifaires »
(selon la terminologie de la théorie des échanges
internationaux) que recouvre le budget de l'Etat et les échanges
économiques transfrontières que recouvre la balance
commerciale.
En résumé, le budget de l'Etat – et tout ce qu'il
recouvre - a un effet économique négatif, il
détériore, directement et indirectement, la balance commerciale
car il contribue à augmenter les coûts des actions d'échange
("frais et droits")..
5. Un dernier mot.
Il faut constater que le seul moment où les actions d'échanges
économiques sont prises en considération, certes tacitement,
par les commentateurs et des économistes formés au même
modèle économique, c'est quand les chiffres périodiques
du commerce extérieur d'un pays sont publiés.
Il est alors question, comme ci-dessus, d'exportations et d'importations de
biens ou de résultats d'opérations arithmétiques sur
celles-ci, comme ci-dessus encore, tels qu' « excédent »
ou « déficit », voire « taux de couverture »
des importations par les exportations.
Parce que ces exportations et importations de biens sont aussi en relation
étroite avec les échanges intérieurs qui, eux, ne sont
pas l'objet de statistiques périodiques tapageuses, elles
présentent l'intérêt de fournir des informations
très approximatives sur l'état des échanges
intérieurs.
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
.,
, 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris, intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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