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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Dans
l’attente du sommet européen qui débutera demain jeudi,
et qui sera éventuellement précédé par une
réunion des 16 (l’eurozone)
convoquée à la toute dernière minute à la demande
des Espagnols et des Français, les négociations se poursuivent
dans les couloirs à propos de l’aide financière à
apporter à la Grèce.
Alors
que la note du Portugal vient d’être abaissée par
l’agence Fitch – signe
précurseur d’une extension à d’autres pays de la
crise européenne, que tout le monde craint en courbant les
épaules – et que le chancelier Alistair Darling vient de rendre
public un projet de budget britannique repoussant à 2011 les mesures
de rigueur budgétaire, qui risque d’être plus mal
accueilli par les marchés que par les électeurs. Dans le
contexte d’un euro qui continue de s’enfoncer par rapport au
dollar et d’une livre toujours malmenée.
Le
sujet officiel initial de ce sommet – les perspectives
économiques de l’Europe – est déjà
totalement oublié, car une seule question est désormais
présente dans tous les esprits : jusqu’où est
prêt à aller le gouvernement allemand en manifestant une telle
intransigeance vis à vis des Grecs ? Celle-ci est-elle principalement
le reflet de ses préoccupantes échéances
électorales immédiates ? Ou bien exprime-t-elle une vision
construite de l’avenir ? Amenant à de plus en plus
prêter à l’Allemagne, en dépit de ses
dénégations, l’intention de vouloir faire cavalier seul
afin de tirer son épingle du jeu, en vertu d’une sombre analyse
des perspectives globales de l’économie occidentale.
De la discussion
sur l’opportunité d’une aide financière à la
Grèce, on est donc vite passé à une autre –
longtemps sous-jacente et feutrée – à propos du
rééquilibrage de l’économie européenne et
de la nécessité d’engager une réflexion, non
seulement sur sa gouvernance économique, mais aussi sur la
politique générale à suivre. Mettant en avant la crainte
que les pays de l’eurozone ne
s’engagent dans une récession économique, si les mesures
de rigueur préconisées par les Allemands devaient être
suivies sans plus de souplesse. Proposant, au contraire, que ceux-ci
réorientent leur stratégie de croissance afin de
l’appuyer davantage sur leur marché intérieur et de jouer
ainsi l’Europe.
Devant
la réaction de Berlin, on a compris que les réserves que les
Allemands avaient initialement manifestées à propos d’un
approfondissement de la gouvernance économique européenne
masquaient en réalité un désaccord profond sur la
politique à suivre. Il est progressivement apparu qu’ils
étaient sans doute prêts à tailler dans le vif, en vue si
nécessaire d’aboutir à une reconfiguration restreinte de
la zone euro, sous leur leadership et afin d’appliquer leurs
orientations. Qu’ils n’envisageaient pas d’appuyer la
croissance par des mesures en faveur de la demande, en Allemagne comme en
dans la zone euro, mais qu’ils voyaient leur salut dans la reprise de
leurs exportations assortie de la rigueur budgétaire pour tous.
Un
compromis sera peut être in fine négocié en cette fin de
semaine, ou bien dans quelques jours, mais il ne fera au mieux que masquer
une fêlure qui a toutes les chances de s’approfondir rapidement.
Car, dès demain, il risque d’être nécessaire
d’apporter à nouveau un soutien financier à
d’autres pays de la zone euro, à leur tour fortement malmenés
par les marchés, et la question de la mise au point d’un
dispositif financier général sera à nouveau
posée, avec le risque qu’il soit alors constaté que
celui-ci est définitivement hors de portée. Le résultat
sera alors que les gouvernements des pays les plus faibles devront se
refinancer dans des conditions de plus en plus onéreuses, rendant la
perspective d’un retour dans les clous – le respect des
critères de Maastricht – encore plus incertaine et douloureuse
socialement. Car, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre le
premier ministre Grec, ce sont les marchés qui vont dans ces
conditions se servir en premier et bénéficier des plans de
rigueur budgétaire destinés à résorber le
déficit et la dette. Ces pays n’auront d’autre choix que
de sortir de la zone euro, afin de pratiquer une dévaluation
compétitive, dont les effets seront ce qu’ils seront, en
retrouvant l’usage de leur monnaie dans des conditions acrobatiques.
Après
avoir engagé le mécanisme de la crise grecque, en
annonçant qu’elle n’accepterait plus prochainement en
garantie des obligations notées en dessous de ses critères
d’acceptation habituels, la BCE vient de faire machine arrière
en évoquant la possibilité que cette mesure soit modulée
suivant les pays. Poursuivre dans ses intentions aurait en effet
inévitablement amené l’effondrement du système
bancaire grec, qui n’aurait plus eu la possibilité de se
financer auprès de la BCE en lui apportant des obligations
d’Etat, avec des conséquences en domino pour les banques
Allemandes et Françaises. Cela n’augure nécessairement
rien de bon du point de vue du sauvetage de l’Etat.
L’Europe
a eu le privilège d’être en première ligne par
rapport à la crise de la dette publique. Mais nous ne sommes
qu’au tout début de la partie. Ayant abdiqué de toute
velléité de régulation financière, et se
préparant à continuer de le faire, les gouvernements
occidentaux ne savent plus comment se dépêtrer de la situation
dans laquelle ils se sont eux-mêmes fourrés en voulant sauver un
système financier qui ne leur renvoie pas l’ascenseur et se
révèle incapable de redonner un moteur à la croissance
qu’ils attendaient. Pour ne donner qu’un seul exemple de la
situation inextricable dans laquelle se trouve la première puissance
mondiale (et la plus endettée), Tim Geithner,
le secrétaire d’Etat au Trésor américain a
déclaré hier que la réforme de Fannie Mae et Freddie
Mac, qui tiennent à bout de bras le marché secondaire des
titres hypothécaires (ils financent les organismes prêteurs)
attendrait des jours meilleurs et qu’en attendant le gouvernement
continuerait de les financer sans aucune limite. Ce qui augure mal, entre
autre, de la réduction future du déficit américain.
On
apprenait au sujet du financement de la dette publique, cette semaine,
qu’une grande réunion avait été organisée
entre les banques centrales et les fonds souverains, afin d’inciter ces
derniers à acheter davantage d’obligations d’Etat et de
soulager d’autant la pression sur les taux que les marchés
exercent. Les rendements des T-bonds américains venant en ce
début de semaine de faire des bonds remarqués, passant pour les
bons à dix ans à 3,829% contre 3,680% et à 30 ans
à 4,721% contre 4,598%. Les résultats de cette réunion
n’ont pas été rendus publics, mais ils ne peuvent
être qu’un maigre pis-aller, illustrant par contre la
nécessité devant laquelle sont les gouvernements occidentaux de
faire feu de tout bois afin se financer sur les marchés.
Telle
qu’elle est désormais assez bien engagée sur ses rails,
après que le vote de la commission bancaire du Sénat est enfin
intervenu, la loi de régulation financière américaine
– qui va faire internationalement largement autorité – ne
laisse pas des trous dans la réglementation à venir, mais de
véritables gouffres. En l’occurrence à propos de ces
instruments magiques, mais qui devraient être maudits, que sont les
produits dérivés quant ils sont détournés de leur
objectif premiers et dédiés au seul service de la
spéculation. Les autres grands dossiers étant soit
ignorés (les paradis fiscaux) soit laissés encore de côté,
car source de discordes (les hedge funds).
Plus
que jamais, les projets de régulation s’inscrivent dans une
perspective curative, après avoir abandonné, de fait,
l’essentiel des mesures qui auraient du s’inscrire dans une
logique préventive. L’idée est, à l’instar
en leur temps et avec le succès que l’on sait de la ligne
Maginot et du Mur de l’Atlantique, d’élever des obstacles
à la nouvelle crise que l’on accepte déjà comme inévitable,
ou de prévoir des réserves pour y faire face. Une perspective
d’autant plus effarante que l’on est loin d’être
sorti de la crise actuelle.
Le
sujet du jour, en attendant le lent accouchement des nouvelles normes de
capitalisation des établissements financiers par le Comité de
Bâle (à propos desquelles les mégabanques
bataillent ferme en coulisse afin d’en limiter les volumes et les
contraintes), c’est la taxation de ces mêmes
établissements par les Etats. Suite à la commande passée
au FMI par le G20, qui doit en avril prochain faire à ce sujet des
propositions. Les Allemands ont tiré les premiers, ils se
préparent à adopter un projet de loi qui reste encore
très flou. Car l’enjeu, au-delà d’un principe dont
l’impact politique est recherché, est de déterminer
l’ampleur de la taxation qui va être mise en pratique. Ainsi que
son destinataire. Va-t-il s’agir d’une sorte de fonds
d’assurance, dont les critiques font valoir qu’il va être
un véritable appel au meurtre et inciter les banques à fauter
puisqu’elles seront financièrement couvertes, ou bien d’un
fonds géré par le gouvernement et dont l’utilisation sera
laissé à sa discrétion, pénalités pour les
actionnaires des banques fautives à l’appui ? Combien
d’année va-t-il falloir pour que soient réunies, une fois
décidés les taux et assiettes de cette taxe, les sommes qui, demain,
permettront de faire face à des défaillances majeures
d’établissements financiers too
big too fail? Une véritable course de vitesse va
être engagée à ce propos, un fonds va être
abondé d’un côté, les banques vont continuer de
jouer au casino de l’autre…
Les
Britanniques – travaillistes et conservateurs – ont
annoncé vouloir s’engager dans la même voie, les
Américains ont en suspens un projet de même nature, les
Français ne disent rien de très clair à ce propos (comme
d’habitude) et ne sont pas à l’initiative. Mais on peut
déjà remarquer que ce projet est en soi un formidable aveu
d’impuissance, l’expression d’une parfaite soumission au
fatum. Il va pourtant être présenté comme le nec le plus
ultra de la régulation financière, au prétexte que les
banques fourniront cette fois-ci les financements et que les contribuables
n’auront pas à contribuer au prochain sauvetage. Cela tombe
bien, car ils n’en auraient de toute façon plus les moyens, le
sauvetage en cours les laissant, et avec eux les gouvernements, exsangues.
C’est cependant ne pas compter avec la réaction des mégabanques, qui ne l’entendent pas ainsi,
et ne sont prêtes à accepter une taxe que si celle-ci est avant
tout politique, et donc symbolique.
Deux
discussions parallèles sont donc engagées par leurs
représentants, à propos de leur future taxation comme des
nouvelles exigences en matière de fonds propres auxquels ils vont
être assujétis. Dans les deux cas,
ceux-ci font valoir avec force que de trop fortes ponctions ou exigences
auraient comme effet de les empêcher d’apporter leur contribution
au fonctionnement de l’économie…
En
attendant le sommet européen de demain jeudi va illustrer
l’incapacité des gouvernements à faire face à la
crise. Présageant qu’ils ne vont être capables que de se
conduire que comme ces cost-killers
qui se font dans les entreprises des réputations d’excellent
manager en licenciant à tour de bras.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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