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L’actualité de la crise, des « cost-killers » à l’européenne

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Paul Jorion.
Published : March 25th, 2010
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Dans l’attente du sommet européen qui débutera demain jeudi, et qui sera éventuellement précédé par une réunion des 16 (l’eurozone) convoquée à la toute dernière minute à la demande des Espagnols et des Français, les négociations se poursuivent dans les couloirs à propos de l’aide financière à apporter à la Grèce.

Alors que la note du Portugal vient d’être abaissée par l’agence Fitch – signe précurseur d’une extension à d’autres pays de la crise européenne, que tout le monde craint en courbant les épaules – et que le chancelier Alistair Darling vient de rendre public un projet de budget britannique repoussant à 2011 les mesures de rigueur budgétaire, qui risque d’être plus mal accueilli par les marchés que par les électeurs. Dans le contexte d’un euro qui continue de s’enfoncer par rapport au dollar et d’une livre toujours malmenée.

Le sujet officiel initial de ce sommet – les perspectives économiques de l’Europe – est déjà totalement oublié, car une seule question est désormais présente dans tous les esprits : jusqu’où est prêt à aller le gouvernement allemand en manifestant une telle intransigeance vis à vis des Grecs ? Celle-ci est-elle principalement le reflet de ses préoccupantes échéances électorales immédiates ? Ou bien exprime-t-elle une vision construite de l’avenir ? Amenant à de plus en plus prêter à l’Allemagne, en dépit de ses dénégations, l’intention de vouloir faire cavalier seul afin de tirer son épingle du jeu, en vertu d’une sombre analyse des perspectives globales de l’économie occidentale.

De la discussion sur l’opportunité d’une aide financière à la Grèce, on est donc vite passé à une autre – longtemps sous-jacente et feutrée – à propos du rééquilibrage de l’économie européenne et de la nécessité d’engager une réflexion, non seulement sur sa gouvernance économique, mais aussi sur la politique générale à suivre. Mettant en avant la crainte que les pays de l’eurozone ne s’engagent dans une récession économique, si les mesures de rigueur préconisées par les Allemands devaient être suivies sans plus de souplesse. Proposant, au contraire, que ceux-ci réorientent leur stratégie de croissance afin de l’appuyer davantage sur leur marché intérieur et de jouer ainsi l’Europe.

Devant la réaction de Berlin, on a compris que les réserves que les Allemands avaient initialement manifestées à propos d’un approfondissement de la gouvernance économique européenne masquaient en réalité un désaccord profond sur la politique à suivre. Il est progressivement apparu qu’ils étaient sans doute prêts à tailler dans le vif, en vue si nécessaire d’aboutir à une reconfiguration restreinte de la zone euro, sous leur leadership et afin d’appliquer leurs orientations. Qu’ils n’envisageaient pas d’appuyer la croissance par des mesures en faveur de la demande, en Allemagne comme en dans la zone euro, mais qu’ils voyaient leur salut dans la reprise de leurs exportations assortie de la rigueur budgétaire pour tous.

Un compromis sera peut être in fine négocié en cette fin de semaine, ou bien dans quelques jours, mais il ne fera au mieux que masquer une fêlure qui a toutes les chances de s’approfondir rapidement. Car, dès demain, il risque d’être nécessaire d’apporter à nouveau un soutien financier à d’autres pays de la zone euro, à leur tour fortement malmenés par les marchés, et la question de la mise au point d’un dispositif financier général sera à nouveau posée, avec le risque qu’il soit alors constaté que celui-ci est définitivement hors de portée. Le résultat sera alors que les gouvernements des pays les plus faibles devront se refinancer dans des conditions de plus en plus onéreuses, rendant la perspective d’un retour dans les clous – le respect des critères de Maastricht – encore plus incertaine et douloureuse socialement. Car, ainsi que l’a fait remarquer à juste titre le premier ministre Grec, ce sont les marchés qui vont dans ces conditions se servir en premier et bénéficier des plans de rigueur budgétaire destinés à résorber le déficit et la dette. Ces pays n’auront d’autre choix que de sortir de la zone euro, afin de pratiquer une dévaluation compétitive, dont les effets seront ce qu’ils seront, en retrouvant l’usage de leur monnaie dans des conditions acrobatiques.

Après avoir engagé le mécanisme de la crise grecque, en annonçant qu’elle n’accepterait plus prochainement en garantie des obligations notées en dessous de ses critères d’acceptation habituels, la BCE vient de faire machine arrière en évoquant la possibilité que cette mesure soit modulée suivant les pays. Poursuivre dans ses intentions aurait en effet inévitablement amené l’effondrement du système bancaire grec, qui n’aurait plus eu la possibilité de se financer auprès de la BCE en lui apportant des obligations d’Etat, avec des conséquences en domino pour les banques Allemandes et Françaises. Cela n’augure nécessairement rien de bon du point de vue du sauvetage de l’Etat.

L’Europe a eu le privilège d’être en première ligne par rapport à la crise de la dette publique. Mais nous ne sommes qu’au tout début de la partie. Ayant abdiqué de toute velléité de régulation financière, et se préparant à continuer de le faire, les gouvernements occidentaux ne savent plus comment se dépêtrer de la situation dans laquelle ils se sont eux-mêmes fourrés en voulant sauver un système financier qui ne leur renvoie pas l’ascenseur et se révèle incapable de redonner un moteur à la croissance qu’ils attendaient. Pour ne donner qu’un seul exemple de la situation inextricable dans laquelle se trouve la première puissance mondiale (et la plus endettée), Tim Geithner, le secrétaire d’Etat au Trésor américain a déclaré hier que la réforme de Fannie Mae et Freddie Mac, qui tiennent à bout de bras le marché secondaire des titres hypothécaires (ils financent les organismes prêteurs) attendrait des jours meilleurs et qu’en attendant le gouvernement continuerait de les financer sans aucune limite. Ce qui augure mal, entre autre, de la réduction future du déficit américain.

On apprenait au sujet du financement de la dette publique, cette semaine, qu’une grande réunion avait été organisée entre les banques centrales et les fonds souverains, afin d’inciter ces derniers à acheter davantage d’obligations d’Etat et de soulager d’autant la pression sur les taux que les marchés exercent. Les rendements des T-bonds américains venant en ce début de semaine de faire des bonds remarqués, passant pour les bons à dix ans à 3,829% contre 3,680% et à 30 ans à 4,721% contre 4,598%. Les résultats de cette réunion n’ont pas été rendus publics, mais ils ne peuvent être qu’un maigre pis-aller, illustrant par contre la nécessité devant laquelle sont les gouvernements occidentaux de faire feu de tout bois afin se financer sur les marchés.

Telle qu’elle est désormais assez bien engagée sur ses rails, après que le vote de la commission bancaire du Sénat est enfin intervenu, la loi de régulation financière américaine – qui va faire internationalement largement autorité – ne laisse pas des trous dans la réglementation à venir, mais de véritables gouffres. En l’occurrence à propos de ces instruments magiques, mais qui devraient être maudits, que sont les produits dérivés quant ils sont détournés de leur objectif premiers et dédiés au seul service de la spéculation. Les autres grands dossiers étant soit ignorés (les paradis fiscaux) soit laissés encore de côté, car source de discordes (les hedge funds).

Plus que jamais, les projets de régulation s’inscrivent dans une perspective curative, après avoir abandonné, de fait, l’essentiel des mesures qui auraient du s’inscrire dans une logique préventive. L’idée est, à l’instar en leur temps et avec le succès que l’on sait de la ligne Maginot et du Mur de l’Atlantique, d’élever des obstacles à la nouvelle crise que l’on accepte déjà comme inévitable, ou de prévoir des réserves pour y faire face. Une perspective d’autant plus effarante que l’on est loin d’être sorti de la crise actuelle.

Le sujet du jour, en attendant le lent accouchement des nouvelles normes de capitalisation des établissements financiers par le Comité de Bâle (à propos desquelles les mégabanques bataillent ferme en coulisse afin d’en limiter les volumes et les contraintes), c’est la taxation de ces mêmes établissements par les Etats. Suite à la commande passée au FMI par le G20, qui doit en avril prochain faire à ce sujet des propositions. Les Allemands ont tiré les premiers, ils se préparent à adopter un projet de loi qui reste encore très flou. Car l’enjeu, au-delà d’un principe dont l’impact politique est recherché, est de déterminer l’ampleur de la taxation qui va être mise en pratique. Ainsi que son destinataire. Va-t-il s’agir d’une sorte de fonds d’assurance, dont les critiques font valoir qu’il va être un véritable appel au meurtre et inciter les banques à fauter puisqu’elles seront financièrement couvertes, ou bien d’un fonds géré par le gouvernement et dont l’utilisation sera laissé à sa discrétion, pénalités pour les actionnaires des banques fautives à l’appui ? Combien d’année va-t-il falloir pour que soient réunies, une fois décidés les taux et assiettes de cette taxe, les sommes qui, demain, permettront de faire face à des défaillances majeures d’établissements financiers too big too fail? Une véritable course de vitesse va être engagée à ce propos, un fonds va être abondé d’un côté, les banques vont continuer de jouer au casino de l’autre…

Les Britanniques – travaillistes et conservateurs – ont annoncé vouloir s’engager dans la même voie, les Américains ont en suspens un projet de même nature, les Français ne disent rien de très clair à ce propos (comme d’habitude) et ne sont pas à l’initiative. Mais on peut déjà remarquer que ce projet est en soi un formidable aveu d’impuissance, l’expression d’une parfaite soumission au fatum. Il va pourtant être présenté comme le nec le plus ultra de la régulation financière, au prétexte que les banques fourniront cette fois-ci les financements et que les contribuables n’auront pas à contribuer au prochain sauvetage. Cela tombe bien, car ils n’en auraient de toute façon plus les moyens, le sauvetage en cours les laissant, et avec eux les gouvernements, exsangues. C’est cependant ne pas compter avec la réaction des mégabanques, qui ne l’entendent pas ainsi, et ne sont prêtes à accepter une taxe que si celle-ci est avant tout politique, et donc symbolique.

Deux discussions parallèles sont donc engagées par leurs représentants, à propos de leur future taxation comme des nouvelles exigences en matière de fonds propres auxquels ils vont être assujétis. Dans les deux cas, ceux-ci font valoir avec force que de trop fortes ponctions ou exigences auraient comme effet de les empêcher d’apporter leur contribution au fonctionnement de l’économie…

En attendant le sommet européen de demain jeudi va illustrer l’incapacité des gouvernements à faire face à la crise. Présageant qu’ils ne vont être capables que de se conduire que comme ces cost-killers qui se font dans les entreprises des réputations d’excellent manager en licenciant à tour de bras.





Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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