La Banque Centrale Européenne (BCE) a amené son taux directeur à zéro depuis longtemps, mais le QE (Quantitative Easing) qu’elle a décidé de mettre en place (60 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre 2016) va contribuer à aplatir encore plus l’ensemble de la courbe des taux. Les taux à moyen et long terme vont, eux aussi, tendre vers zéro. Or le taux d’intérêt constitue une information cruciale : le coût de l’argent mesure le risque, l’avenir étant incertain, il est normal qu’emprunter à 10 ans soit plus coûteux qu’à 5 ans, et plus qu’à 2 ans. Désormais ce sera quasiment pareil.
Cet aplatissement de la courbe des taux pose un problème, on peut le dire, existentiel au secteur financier. Les banques ont pour fonction de collecter l’épargne et de prêter aux entreprises et aux particuliers, elles récupèrent de l’argent à court ou moyen terme (les épargnants peuvent récupérer leur argent quand ils le souhaitent) et le prêtent à moyen ou long terme (crédit immobilier et aux entreprises). Elles se rémunèrent en prêtant à un taux plus élevé qu’elles ne rémunèrent l’épargne, c’est leur fonction d’intermédiation. Avec une courbe des taux plate, il devient compliquer de rémunérer l’épargne ainsi que de prêter aux entreprises à des taux significatifs (d’autant que les grandes entreprises peuvent emprunter directement sur les marchés, en émettant leurs propres obligations).
Pour les sociétés d’assurance, à travers leurs produits d’assurance-vie, elles collectent l’épargne puis l’investissent dans des obligations souveraines pour une grande partie, et rémunèrent les particuliers avec les intérêts servis (moins leur commission). Avec l’aplatissement de la courbe des taux, les rendements offerts aux particuliers vont chuter (pour l’instant ils restent positifs grâce à leur stocks d’obligations, acquis à une époque où les taux étaient plus élevés, mais ça ne va pas durer).
La notion même d’intermédiaire financier, telle qu’on la conçoit depuis des décennies, est remise en cause par cet aplatissement de la courbe des taux. Pour l’instant les banques maintiennent leur rentabilité, notamment grâce à leurs activités spéculatives sur les marchés, et les assureurs maintiennent la leur grâce au stock d’obligations plus anciennes offrant des taux d’intérêts suffisants. Mais cela ne durera pas, les marchés (actions, surtout) sont orientés à la hausse, mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, et les assureurs sont obligés de renouveler leur stock d’obligations… Le Japon, qui connaît depuis puis longtemps que l’Europe cet environnement de taux zéro, a du faire face à plusieurs faillites de sociétés d’assurance-vie ; voici une menace à prendre en compte désormais.
L’intermédiation qu’assurent les banques et les assureurs perd une grande partie de son sens lorsque la courbe des taux s’aplatit, en espérant relancer le crédit par de l’argent facile, la BCE entame en profondeur la rentabilité du système financier. Le seul qui profite à plein de cette situation c’est l’Etat bien sûr, qui emprunte à des taux ridicules et finance ainsi son déficit budgétaire quasiment sans effort. Et si la relance du crédit n’était qu’un prétexte affiché par la BCE, l’objectif véritable étant d’éviter un éclatement de l’euro à cause des dettes publiques démesurées des pays européens ?