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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Dans
l’attente de la réouverture lundi des marchés, afin de
savoir s’ils vont ou non continuer de chatouiller la queue du diable,
et de la tenue de la réunion de l’Eurogroup,
dont on ne sait plus si elle va être ou non l’occasion d’annoncer
des mesures effectives de soutien financier à la Grèce,
réflexions et commentaires abondent et s’efforcent de
prédire une suite aux événements.
Les
incertitudes sont telles qu’il n’est cependant possible que de se
raccrocher à une seule certitude: nous ne sommes qu’aux
prémices de la crise de la dette publique, qui va être longue et
sujette à de nombreux rebondissements (à la mesure de son
ampleur et de ses enjeux). Que ce soit en Europe – où elle démarre
– ou bien au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, qui ne seront
touchés que plus tard, car ils disposent de l’arme de la
création monétaire, qui atténue les effets des
déficits publics. Mais qui ne perdent rien pour attendre.
Qu’il
soit permis, toutefois, de faire une autocritique à propos d’un
récent billet, intitulé à tort « la confusion
comme unique stratégie », faisant croire qu’il
n’y avait que bouillonnement là où, en
réalité, il y a un projet politique, qui se confirme et se
déroule pour l’instant implacablement. Non sans contradictions
et ajustements au sein de la zone euro, qui sont
secondaires. D’où, tel un correctif, le titre de ce
présent billet.
Les
marchés
– sur le sort desquels on ne pleurera pas – ont dans la crise
actuelle en réalité le dos un peu large. C’est un
paradoxe de la situation : on dénonce de plus en plus ouvertement et
à juste titre leurs méfaits, alors qu’ils ne sont pas les
seuls coupables. On ne prête, il est vrai, qu’aux riches. Certes,
les spéculateurs ont sauté sur l’occasion de se faire de
l’argent de poche, mais ils ont été à bien y
regarder surtout des exécutants. Il est en effet possible de
reconstituer la séquence des événements qui se sont
déroulés : elle ne leur accorde pas l’initiative.
En
l’occurrence, c’est la BCE qui l’a prise, en laissant
à penser que les obligations de l’Etat grec ne seraient
prochainement plus prises en pension (en raison de leur note
dégradée et de l’arrêt de certaines mesures
d’assouplissement provisoires). Une décision beaucoup plus
politique que financière a donc été prise, qui avait pour
objectif de donner la main aux marchés, afin qu’ils fassent ce
que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux (si l’on
peut dire). Qu’ils engagent une spéculation amenant le
gouvernement grec à capituler et à prendre à son compte
une politique d’austérité. En vue de non seulement
rétablir les comptes grecs, mais surtout de montrer l’exemple
à toute l’Europe. Ce coup de billard avait pour objectif de
susciter une pression imparable, si la zone euro tardait à intervenir
(ce qu’elle a fait), et à faire jouer un mécanisme pour
s’appuyer dessus comme d’un levier.
L’acte
II de cette tragédie, bien plus européenne que grecque, aura
été la tenue dans l’improvisation de dernière
minute du sommet de Bruxelles, qui s’est conclu par un soutien que le
président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, a caractérisé comme étant politique,
pour mieux signifier ses limites immédiates. Non sans un peu de
précipitation, en raison de la tournure que prenaient les
événements et de l’extension de la crise à des
marches plus importantes de l’Europe. A commencer par celle sur
laquelle se trouve placée l’Espagne, et qui s’enfonce sous
son poids, avec des conséquences trop lourdes pour être
assumées, impliquant de calmer le jeu.
Nous
assisterons à l’acte III la semaine prochaine, lorsque le rideau
sera levé. Afin de vérifier si les marchés seront
oui ou non rentrés dans leur boîte, comme de mauvais
génies, ou si au contraire ils poursuivront leur tentative de
déstabilisation de l’euro, amenant les Allemands et les
Français à dévoiler leur batteries
et à faire avancer en première ligne leurs réserves.
Stopperont-ils alors le dérapage difficilement contrôlé
qu’ils ont enclenché ?
Telle
une campagne de communication, une stratégie d’enfermement des
gouvernements de la zone euro et de l’opinion publique a donc
été mise en place à l’instigation du gouvernement
allemand, suivi par les autorités françaises. L’objectif
est d’inscrire la problématique de la dette publique –
sans s’appesantir sur son origine – dans l’obligation de
l’endiguer dans l’urgence par des plans nationaux
d’austérité, pesant prioritairement sur la dépense
publique (et plus spécialement sur le bouclier social). A
l’exclusion de toute autre solution.
L’appel
de Barack Obama à
constituer une commission bipartisane, avec pour mission
d’étudier un plan d’action afin de lutter contre le
déficit budgétaire, est l’équivalent de cette
politique dans le contexte américain. A chaque région du monde
et pays sa tactique, afin de parvenir au même objectif.
Un
nouveau décor est en train d’être dressé, devant
servir de cadre à la politique d’austérité dont
une première application se profile en Grèce, mais dont les
éléments s’assemblent progressivement dans tous les
autres pays européens, au gré de leur situation nationale.
Chacun joue sa partie, la Commission, l’Eurogroup
et le gouvernement allemand (dans le rôle de composition du seul pays
bien portant de la bande). Les pères fouettards ne manquent
soudainement pas.
Olli Rehn,
le nouveau commissaire aux affaires économiques, a
déclaré à Bruxelles que « La leçon
centrale de cette crise est que nous avons besoin de manière urgente
d’une surveillance plus stricte et plus large des politiques
économiques … (afin de) mieux préserver la stabilité
macro-financière de la zone euro ». Ajoutant que
« La Commission va prochainement présenter des propositions
pour renforcer encore la coordination et la surveillance des politiques
économiques nationales au sein de la zone euro ».
Jean-Claude
Junker, à la tête de l’Eurogroup,
a déclaré à Libération « A l’avenir chaque gouvernement devra dévoiler
les mesures de politique économique qu’il compte prendre
d’abord au sein de l’Eurogroupe
(…) avant de les annoncer dans son propre pays ». Et aussi
que « Si un Etat diverge, nous aurons avec lui un débat
viril (…) Je n’accepterai plus aucun manquement aux obligations
inhérentes à l’appartenance à la zone euro. Il
faudra que nous soyons plus sévères entre nous ».
Günther
Oettinger, le commissaire européen à
l’énergie, a parachevé le dispositif en expliquant dans Welt am Sonntag
que « Les Etats de l’UE doivent commencer à
réduire leur déficit en 2011. S’ils refusent, le pacte de
stabilité doit être modifié de sorte que les instances
européennes puissent mieux intervenir à l’égard
des politiques nationales. La stabilité de l’euro doit
être garantie ». La messe est dite.
L’avenir
de cette politique, qui a le mérite de la clarté mais dont la
traduction dans chaque pays va être plus compliquée à
mettre en oeuvre que de tenir un discours à
Bruxelles, risque de se heurter à de sévères obstacles.
Le sauvetage financier de la Grèce, s’il se révèle
nécessaire – la spéculation se poursuivant ou reprenant
prochainement – est aujourd’hui dans les mains des Allemands et
des Français, suivant des modalités qui n’ont pas
été dévoilées, si tant est qu’elles aient
été décidées. Les moyens de ces deux pays se
révéleront-ils suffisants, la poursuite de la crise aidant ?
Un
scénario peut en effet être envisagé, suivant lequel les
capacités financières de ces deux pays seraient mises à
l’épreuve, à l’occasion d’un ou de plusieurs
rebondissements de la spéculation financière, avec la
Grèce ou d’autres pays comme cibles. L’Allemagne et la
France finançant leur sauvetage par l’emprunt, alourdissant
ainsi leur dette, créant par là même la
nécessité de faire appel, à un moment donné,
à des financements complémentaires. En frappant à la
porte du FMI. Ou bien en demandant à la BCE d’ajuster son tir,
de diminuer encore ses taux et de revoir ses objectifs d’inflation,
pourtant gravés dans le marbre à 2%, afin de soulager leur
peine.
Ce
scénario, c’est celui de la poursuite du dérapage
entamé, dans le cadre de l’approfondissement de la crise de la
dette publique – les plans d’austérité tardant
à être mis en place en raison de l’hostilité
qu’ils suscitent – les crises se développant
également au Royaume-Uni, le cap des élections passées,
et atteignant finalement les Etats-Unis. Rien que de plus crédible.
Il
n’est sans doute pas étranger à la publication
d’une note de recherche intitulée « Repenser la
politique macroéconomique », signée notamment par
l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard. « La
leçon de la crise est clairement que les objectifs en matière
de niveau de la dette doivent être plus exigeants que ceux
observés avant la crise » est-il en premier lieu
expliqué dans celle-ci. En tirant comme conséquence que «
…n ous devons réexaminer les objectifs
de dette par rapport au PIB. Peut-être devrions-nous viser des niveaux
beaucoup plus bas qu’avant la crise ». Mais la note rompt
ensuite avec la réaffirmation de cette orthodoxie, qui plus est
renforcée, pour s’aventurer sur des sentiers plus
escarpés et plein de dangers. « Peut-être les
responsables politiques devraient-ils viser un taux d’inflation plus
élevé en temps normal, afin d’accroître la marge de
manoeuvre de la politique monétaire pour
réagir », est-il avancé. Avec comme
précision : « Pour être concret, les coûts
nets de l’inflation sont-ils plus élevés à 4% plutôt
que 2%, autour desquels se situe l’objectif actuel ? ».
C’est un véritable coup de Trafalgar dans le Landerneau de la
pensée économique comme il faut !
Il
n’est pas certain que l’assurance avec laquelle les chefs
d’Etat et de gouvernement se sont lancés dans l’aventure
grecque puisse être longtemps conservée. La ligne de conduite
préconisée par le gouvernement allemand pourrait devenir
intenable, nécessitant le recours à des solutions
considérées aujourd’hui comme impensables. Cette crise,
depuis le début, à témoigné d’une
très forte dynamique, rien n’indique que celle-ci est
épuisée.
Ce
ne seront certainement pas, en tout cas, les derniers chiffres de la croissance
de la zone euro qui pourront le faire penser. Elle est gratifiée au
quatrième trimestre d’un très humble +0,1%, en baisse
après avoir obtenu +0,4% au 3éme trimestre. A ce prix-là, ce n’est pas une relance,
c’est la stagnation ! L’Allemagne, la première puissance
économique de la zone, passant de +0,7% de croissance au 3éme
trimestre à une croissance nulle au quatrième. Ce qui est loin
de lui donner les marges de manoeuvre ont elle a besoin pour affirmer sa politique, et pour régler
ses propres problèmes.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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