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L’austérité comme unique stratégie

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Paul Jorion.
Published : February 19th, 2010
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Dans l’attente de la réouverture lundi des marchés, afin de savoir s’ils vont ou non continuer de chatouiller la queue du diable, et de la tenue de la réunion de l’Eurogroup, dont on ne sait plus si elle va être ou non l’occasion d’annoncer des mesures effectives de soutien financier à la Grèce, réflexions et commentaires abondent et s’efforcent de prédire une suite aux événements.

Les incertitudes sont telles qu’il n’est cependant possible que de se raccrocher à une seule certitude: nous ne sommes qu’aux prémices de la crise de la dette publique, qui va être longue et sujette à de nombreux rebondissements (à la mesure de son ampleur et de ses enjeux). Que ce soit en Europe – où elle démarre – ou bien au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, qui ne seront touchés que plus tard, car ils disposent de l’arme de la création monétaire, qui atténue les effets des déficits publics. Mais qui ne perdent rien pour attendre.

Qu’il soit permis, toutefois, de faire une autocritique à propos d’un récent billet, intitulé à tort « la confusion comme unique stratégie », faisant croire qu’il n’y avait que bouillonnement là où, en réalité, il y a un projet politique, qui se confirme et se déroule pour l’instant implacablement. Non sans contradictions et ajustements au sein de la zone euro, qui sont secondaires. D’où, tel un correctif, le titre de ce présent billet.

Les marchés – sur le sort desquels on ne pleurera pas – ont dans la crise actuelle en réalité le dos un peu large. C’est un paradoxe de la situation : on dénonce de plus en plus ouvertement et à juste titre leurs méfaits, alors qu’ils ne sont pas les seuls coupables. On ne prête, il est vrai, qu’aux riches. Certes, les spéculateurs ont sauté sur l’occasion de se faire de l’argent de poche, mais ils ont été à bien y regarder surtout des exécutants. Il est en effet possible de reconstituer la séquence des événements qui se sont déroulés : elle ne leur accorde pas l’initiative.

En l’occurrence, c’est la BCE qui l’a prise, en laissant à penser que les obligations de l’Etat grec ne seraient prochainement plus prises en pension (en raison de leur note dégradée et de l’arrêt de certaines mesures d’assouplissement provisoires). Une décision beaucoup plus politique que financière a donc été prise, qui avait pour objectif de donner la main aux marchés, afin qu’ils fassent ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux (si l’on peut dire). Qu’ils engagent une spéculation amenant le gouvernement grec à capituler et à prendre à son compte une politique d’austérité. En vue de non seulement rétablir les comptes grecs, mais surtout de montrer l’exemple à toute l’Europe. Ce coup de billard avait pour objectif de susciter une pression imparable, si la zone euro tardait à intervenir (ce qu’elle a fait), et à faire jouer un mécanisme pour s’appuyer dessus comme d’un levier.

L’acte II de cette tragédie, bien plus européenne que grecque, aura été la tenue dans l’improvisation de dernière minute du sommet de Bruxelles, qui s’est conclu par un soutien que le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, a caractérisé comme étant politique, pour mieux signifier ses limites immédiates. Non sans un peu de précipitation, en raison de la tournure que prenaient les événements et de l’extension de la crise à des marches plus importantes de l’Europe. A commencer par celle sur laquelle se trouve placée l’Espagne, et qui s’enfonce sous son poids, avec des conséquences trop lourdes pour être assumées, impliquant de calmer le jeu.

Nous assisterons à l’acte III la semaine prochaine, lorsque le rideau sera levé. Afin de vérifier si les marchés seront oui ou non rentrés dans leur boîte, comme de mauvais génies, ou si au contraire ils poursuivront leur tentative de déstabilisation de l’euro, amenant les Allemands et les Français à dévoiler leur batteries et à faire avancer en première ligne leurs réserves. Stopperont-ils alors le dérapage difficilement contrôlé qu’ils ont enclenché  ?

Telle une campagne de communication, une stratégie d’enfermement des gouvernements de la zone euro et de l’opinion publique a donc été mise en place à l’instigation du gouvernement allemand, suivi par les autorités françaises. L’objectif est d’inscrire la problématique de la dette publique – sans s’appesantir sur son origine – dans l’obligation de l’endiguer dans l’urgence par des plans nationaux d’austérité, pesant prioritairement sur la dépense publique (et plus spécialement sur le bouclier social). A l’exclusion de toute autre solution.

L’appel de Barack Obama à constituer une commission bipartisane, avec pour mission d’étudier un plan d’action afin de lutter contre le déficit budgétaire, est l’équivalent de cette politique dans le contexte américain. A chaque région du monde et pays sa tactique, afin de parvenir au même objectif.

Un nouveau décor est en train d’être dressé, devant servir de cadre à la politique d’austérité dont une première application se profile en Grèce, mais dont les éléments s’assemblent progressivement dans tous les autres pays européens, au gré de leur situation nationale. Chacun joue sa partie, la Commission, l’Eurogroup et le gouvernement allemand (dans le rôle de composition du seul pays bien portant de la bande). Les pères fouettards ne manquent soudainement pas.

Olli Rehn, le nouveau commissaire aux affaires économiques, a déclaré à Bruxelles que « La leçon centrale de cette crise est que nous avons besoin de manière urgente d’une surveillance plus stricte et plus large des politiques économiques … (afin de) mieux préserver la stabilité macro-financière de la zone euro ». Ajoutant que « La Commission va prochainement présenter des propositions pour renforcer encore la coordination et la surveillance des politiques économiques nationales au sein de la zone euro ».

Jean-Claude Junker, à la tête de l’Eurogroup, a déclaré à Libération « A l’avenir chaque gouvernement devra dévoiler les mesures de politique économique qu’il compte prendre d’abord au sein de l’Eurogroupe (…) avant de les annoncer dans son propre pays ». Et aussi que « Si un Etat diverge, nous aurons avec lui un débat viril (…) Je n’accepterai plus aucun manquement aux obligations inhérentes à l’appartenance à la zone euro. Il faudra que nous soyons plus sévères entre nous ».

Günther Oettinger, le commissaire européen à l’énergie, a parachevé le dispositif en expliquant dans Welt am Sonntag que « Les Etats de l’UE doivent commencer à réduire leur déficit en 2011. S’ils refusent, le pacte de stabilité doit être modifié de sorte que les instances européennes puissent mieux intervenir à l’égard des politiques nationales. La stabilité de l’euro doit être garantie ». La messe est dite.

L’avenir de cette politique, qui a le mérite de la clarté mais dont la traduction dans chaque pays va être plus compliquée à mettre en oeuvre que de tenir un discours à Bruxelles, risque de se heurter à de sévères obstacles. Le sauvetage financier de la Grèce, s’il se révèle nécessaire – la spéculation se poursuivant ou reprenant prochainement – est aujourd’hui dans les mains des Allemands et des Français, suivant des modalités qui n’ont pas été dévoilées, si tant est qu’elles aient été décidées. Les moyens de ces deux pays se révéleront-ils suffisants, la poursuite de la crise aidant ?

Un scénario peut en effet être envisagé, suivant lequel les capacités financières de ces deux pays seraient mises à l’épreuve, à l’occasion d’un ou de plusieurs rebondissements de la spéculation financière, avec la Grèce ou d’autres pays comme cibles. L’Allemagne et la France finançant leur sauvetage par l’emprunt, alourdissant ainsi leur dette, créant par là même la nécessité de faire appel, à un moment donné, à des financements complémentaires. En frappant à la porte du FMI. Ou bien en demandant à la BCE d’ajuster son tir, de diminuer encore ses taux et de revoir ses objectifs d’inflation, pourtant gravés dans le marbre à 2%, afin de soulager leur peine.

Ce scénario, c’est celui de la poursuite du dérapage entamé, dans le cadre de l’approfondissement de la crise de la dette publique – les plans d’austérité tardant à être mis en place en raison de l’hostilité qu’ils suscitent – les crises se développant également au Royaume-Uni, le cap des élections passées, et atteignant finalement les Etats-Unis. Rien que de plus crédible.

Il n’est sans doute pas étranger à la publication d’une note de recherche intitulée « Repenser la politique macroéconomique », signée notamment par l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard. « La leçon de la crise est clairement que les objectifs en matière de niveau de la dette doivent être plus exigeants que ceux observés avant la crise » est-il en premier lieu expliqué dans celle-ci. En tirant comme conséquence que « …n ous devons réexaminer les objectifs de dette par rapport au PIB. Peut-être devrions-nous viser des niveaux beaucoup plus bas qu’avant la crise ». Mais la note rompt ensuite avec la réaffirmation de cette orthodoxie, qui plus est renforcée, pour s’aventurer sur des sentiers plus escarpés et plein de dangers. « Peut-être les responsables politiques devraient-ils viser un taux d’inflation plus élevé en temps normal, afin d’accroître la marge de manoeuvre de la politique monétaire pour réagir », est-il avancé. Avec comme précision : « Pour être concret, les coûts nets de l’inflation sont-ils plus élevés à 4% plutôt que 2%, autour desquels se situe l’objectif actuel ? ». C’est un véritable coup de Trafalgar dans le Landerneau de la pensée économique comme il faut  !

Il n’est pas certain que l’assurance avec laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement se sont lancés dans l’aventure grecque puisse être longtemps conservée. La ligne de conduite préconisée par le gouvernement allemand pourrait devenir intenable, nécessitant le recours à des solutions considérées aujourd’hui comme impensables. Cette crise, depuis le début, à témoigné d’une très forte dynamique, rien n’indique que celle-ci est épuisée.

Ce ne seront certainement pas, en tout cas, les derniers chiffres de la croissance de la zone euro qui pourront le faire penser. Elle est gratifiée au quatrième trimestre d’un très humble +0,1%, en baisse après avoir obtenu +0,4% au 3éme trimestre. A ce prix-là, ce n’est pas une relance, c’est la stagnation ! L’Allemagne, la première puissance économique de la zone, passant de +0,7% de croissance au 3éme trimestre à une croissance nulle au quatrième. Ce qui est loin de lui donner les marges de manoeuvre ont elle a besoin pour affirmer sa politique, et pour régler ses propres problèmes.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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