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Les
gouvernements français successifs se gargarisent des chiffres de
création d’entreprises. Au lieu de faire une loi
démagogique sur la moralisation de la vie politique – une
politique qui n’est qu’une source de maux pour notre
économie -, il vaudrait mieux une loi de libération de
l’entreprise. Car si
l’on peut se passer des hommes politiques, on ne peut pas faire
l’économie des entrepreneurs. Or la France les a passés à
la trappe, notamment avec le statut d’auto-entrepreneur.
L’auto-entrepreneur :
l’expression en elle-même ne veut rien dire. Quant aux chiffres,
ils laissent perplexe. Pas moins de 550 000 entreprises ont
été créées en 2012 sous le régime de
l’auto-entrepreneur, la moitié des créations
d’entreprise en France. C’est impressionnant sur le papier, mais
rien n’indique un quelconque dynamisme de l’économie
française, encore moins une promotion de l’entrepreneuriat. En
effet, les chiffres rappellent la dure réalité.
En 2012, la
France comptait 834 000 personnes inscrites sous le statut d’auto-entrepreneurs.
Sur ce total dit « administrativement actifs »,
c’est-à-dire non rayés des listes de l’Ursaff, seulement 49 % sont
« économiquement actifs ». Autant dire que ce
premier constat est peu rassurant sur la suite. Entrons dans le détail
en décrivant les chiffres fournis par l’Acoss,
la caisse nationale du réseau des Ursaff.
La réalité des affaires
Au
quatrième trimestre 2012, ils sont 20 %, soit à peu près
167 550 auto-entrepreneurs, à réaliser un chiffre
d’affaire trimestriel de 1500 euros, soit 500 euros par mois. Environ
19,7 %, 164 160 individus, réussissent à atteindre un
chiffre d’affaire aux alentours de 3500 euros par trimestre, soit 1180
euros par mois. Ensuite les proportions chutent brutalement. Ils sont 6 %,
soit 51 000 auto-entrepreneurs à pouvoir faire un chiffre
d’affaire de 7 500 euros par trimestre, ce qui représente 2500
euros par mois. Ils ne sont plus que 3 %, environ 26 000 personnes,
à tenir le haut du pavé auto-entrepreneurial en
réalisant plus de 10 000 euros de chiffre d’affaires par
trimestre, une moyenne de 3 300 euros par mois.
Désolé
pour ces chiffres alignés comme une mauvaise liste à la
Prévert, mais l’exercice était nécessaire pour
bien se rendre compte de ce que les Français qui veulent tenter
l’aventure de l’entrepreneuriat endurent. Car la
réalité est, comme bien souvent en France, maquillée,
arrangée, travestie. En effet, l’Acoss
ne parle que de ce qui l’intéresse : le chiffre
d’affaire, ce résultat dont l’administration saisira
une partie sous prétexte de fournir une couverture sociale aux
cotisants. Parlons plutôt de ce qui reste réellement
après la ponction administrative, c’est-à-dire des
bénéfices réels après cotisations. Là,
l’histoire n’est plus la même.
Rappelons les
données fournies par le régime social des
indépendants (RSI) lui-même dans sa brochure sur
l’entreprise. Un auto-entrepreneur qui s’installe comme artisan
en 2012 et parviendrait à un chiffre d’affaire de 23 000 euros
en 2013 devrait payer 9 997 euros de cotisations sociales RSI, soit 43,4
% de prélèvements. Il ne lui reste que 13 003 euros, soit 1083
euros par mois. En 2014, ce sera pire : les 14 693 euros de
cotisations exigés par le RSI ne lui laisseront qu’à
peine 700 euros par mois, soit 63,8
% prélevés. De quoi relativiser les chiffres d’affaire.
La
réalité est donc la suivante : les 6 %
d’auto-entrepreneurs réalisant un chiffre de 7500 euros par
trimestre, soit une estimation annuelle de 30 000 euros, subiront un
prélèvement de l’ordre de 53 % en moyenne de leur chiffre
d’affaire. Ils finissent avec quelque chose comme 1300 euros dans les
mains. Quant aux 3 % d’auto-entrepreneurs qui arrivent à faire
un chiffre de l’ordre de 40 000 euros annuellement, ils se
retrouvent en fin d’exercice avec environ 20 000 euros de
bénéfices, soit réellement à peine 1 700
euros par mois. Pas de quoi faire rêver dans le contexte actuel,
surtout quand on pense que ce sont là ceux qui réussissent le
mieux ! Alors gardons un silence pudique sur les autres 40 %
d’auto-entrepreneurs réalisant un chiffre d’affaire :
ils sont au mieux au niveau de la
pauvreté, au pire au niveau du RSA. Espérons pour eux que ce ne
soit qu’un complément de salaire.
Et que penser
des 51 % d’entre eux, soit 425 340 individus, pour lesquels
l’aventure entrepreneuriale ne signifie rien puisqu’ils ne
gagnent rien. Que font-ils dans les statistiques officielles ? Que
penser alors du chiffre annoncé pour ce premier trimestre 2013 qui
affiche 895 000 auto-entrepreneurs ? Une augmentation par rapport
à 2012 certes, mais de quoi ?
Le statu quo pour préserver
l’illusion
Le
gouvernement actuel ne touchera pas au statut
d’auto-entrepreneur : il ne le chargera pas de plus de cotisations.
Car la question était de savoir si le statut serait aligné sur
celui des artisans notamment. La
réponse est non : on garde le statut tel quel, en franchise de
TVA comme il a été conçu en 2009. Il aurait mieux valu
un allègement des cotisations sociales RSI, mais le gouvernement est
tellement aux abois financièrement que cela n’a pas effleuré
Fleur Pellerin, la ministre déléguée en charge des
auto-entrepreneurs.
Son cabinet a
d’ailleurs indiqué à quoi servaient les
auto-entrepreneurs : à fournir de bonnes statistiques. « Dans le contexte actuel de
l’emploi, il n’est pas possible de toucher aux auto-entrepreneurs
qui représentent la moitié des créations
d’entreprises, ce serait se tirer une balle dans le pied »,
affirme-t-on chez Fleur Pellerin. Au moins c’est clair : à
défaut de booster leur revenu, les auto-entrepreneurs boostent les
chiffres du ministère. Quelle belle illusion !
Quand
cessera-t-on de voir petit dans ce pays ? L’entrepreneur
mérite mieux que cela. En tout cas, aucun gouvernement, pour
l’instant, de droite comme de gauche, ne mérite les
entrepreneurs.
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