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J'aimerais revenir sur le
commentaire d'Alan Greenspan qui, devant un comité de la Chambre des représentants à la fin du mois dernier, admettait avoir
découvert une faille dans ses croyances dans la capacité des
marchés de s'auto-réglementer, ce qui l'aurait plongé
dans un profond désarroi.
Greenspan se décrivant lui-même comme un libertarien et ayant
été un acteur central de la crise actuelle, en plus d'avoir
envouté le monde des affaires par ses tours de prestidigitation
monétaire pendant presque deux décennies, cet aveu a un poids
considérable. Et nos amis étatistes n'ont évidemment pas
manqué de l'interpréter comme une preuve supplémentaire
de la faillite d'un libéralisme économique trop
« débridé » et pas assez
réglementé.
Dans La Presse du 25 octobre dernier par exemple, l'éditorialiste Ariane Krol
écrit sur un ton sarcastique que « Pour cet adepte du
laisser-faire, fervent admirateur de la philosophe libertarienne Ayn Rand [Wow!
Ai-je bien lu? Le mot « libertarienne » correctement
écrit dans La Presse au lieu de
«libertaire »?!], c'est presque une
révélation existentielle. Il n'aura pas vécu
jusqu'à 82 ans en vain, pourrait-on dire, si la situation
n'était pas aussi tragique. Mais pour les millions d'Américains
qui ont perdu leurs économies, il aurait mieux valu qu'il voit [sic]
la lumière un peu plus tôt. »
La tactique
rhétorique n'est évidemment pas très nouvelle. On tient
pour acquis qu'un dirigeant est un libertarien, ou généralement
plutôt un « néolibéral »
dogmatique; sans mentionner que ses politiques vont en fait dans le sens
contraire de ce que préconise le libéralisme économique,
on l'accuse d'être responsable de tel ou tel problème survenu
sous sa gouverne; puis, suivant une logique infaillible, on conclut que le
« néolibéralisme » est donc la source du
problème et est une doctrine dépassée qui devrait
être mise à la poubelle. « L'idéologie qui le
guidait, écrit Krol, ils étaient nombreux à la partager
sous l'administration Bush. » Ah oui, Bush, ce grand libertarien
qui a bien dû réduire Washington de moitié et dont on a
fait l'éloge à maintes reprises sur ce site…
La
réalité est que même s'il faisait effectivement partie du
cercle d'Ayn Rand dans les années 1960, Greenspan a fait toute sa
carrière subséquente comme apparatchik de l'État et n'a
strictement rien accompli pour en réduire la taille. Il a au contraire
abusé de ses pouvoirs d'inflationniste en chef pendant les 18
années où il a occupé ce poste. Sa politique
monétaire, qui se résumait essentiellement à gonfler
constamment la masse monétaire et à inonder les marchés
financiers de liquidités dès qu'un ralentissement
économique se pointait le nez (le fameux « Greenspan
put »), n'avait rien à voir avec des principes
libertariens. D'ailleurs, les décisions de Greenspan le maestro de la Fed contredisaient tout à fait les principes professés par Greenspan le randien
des années 1960.
Aujourd'hui, Greenspan est un vieil homme probablement
réellement en désarroi, qui cherche à sauver sa
réputation pour la postérité après avoir vendu
son âme à l'État pendant la dernière partie de sa
vie. Son explication est, dans cette perspective, peut-être la
défense la plus appropriée, celle qui limite le plus les
dégâts.
Comme je l'ai
expliqué dans un
récent billet posté sur le Blogue du QL, il faut
distinguer les deux causes de la crise. L'expansion de la masse
monétaire a créé une bulle et de la spéculation
effrénée – c'est la première cause fondamentale.
La raison pour laquelle cette bulle a surtout émergé dans le
secteur immobilier est l'existence de lois comme le Community Reinvestment
Act et d'organismes comme Fannie et Freddie qui ont incité et
subventionné la distribution d'hypothèque à des millions
de personnes qui n'avaient pas les moyens de s'acheter une maison –
c'est la deuxième cause accessoire.
Greenspan a clairement
été responsable de la première cause. Mais il n'a pas du
tout fait cet aveu. Il continue au contraire de prétendre qu'il
était impossible de savoir si on était dans une bulle, et qu'il
y avait des circonstances internationales impossibles à
contrôler (une trop grande quantité d'épargne dans le
monde, a-t-il bizarrement affirmé à plusieurs reprises) qui
rendaient sa tâche difficile. Comme s'il était difficile de
prévoir ce qui va se passer si l'on baisse les taux d'intérêt
à 1% et on injecte des milliards de dollars de liquidités
à chaque occasion qui se présente!
Au lieu de cela,
Greenspan avoue avoir découvert une faille dans sa
compréhension de la seconde cause. Si les marchés immobilier et
hypothécaire avaient été très strictement
réglementés pour rendre impossibles les excès et la
spéculation qui ont eu lieu, il est en effet possible de croire que la
bulle ne se serait pas développée dans ce secteur. Mais
l'argent injecté n'aurait pas disparu: la bulle aurait simplement
gonflé ailleurs, comme elle l'a fait précédemment dans
le secteur de la haute technologie ou dans les marchés
émergents.
Bref, ce que nous dit
Greenspan, c'est que sa politique monétaire était, compte tenu
des circonstances, correcte; mais qu'il a eu tort de croire que les
marchés (totalement faussés par cette politique
monétaire) pourraient s'auto-réglementer pour éviter une
bulle. Si l'on accepte la première affirmation, la seconde est tout
à fait juste. Les marchés faussés ne pouvaient en effet
pas s'auto-réglementer dans un tel contexte. La solution à ce
problème n'était toutefois pas de réglementer
très strictement ces marchés pour empêcher
l'émergence de la bulle. Il aurait fallu alors réglementer toute
l'économie pour éviter que la bulle émerge ailleurs.
La solution était plutôt de mener une politique monétaire
plus responsable et prudente (en présumant qu'on reste dans la
même logique de planification centralisée de la politique
monétaire).
Greenspan croit-il
vraiment ce qu'il dit? A-t-il pu oublier complètement les principes
qu'il défendait il y a 40 ans, alors que Ron Paul les lui rappelait
constamment lors de ses comparutions devant le comité des finances de la Chambre des représentants? Je n'en sais rien. Mais chose certaine, son aveu est
beaucoup moins lourd de conséquence que s'il avait admis que la
politique monétaire qu'il avait menée pendant 18 ans
était elle-même un échec.
Ariane Krol termine
son article en constatant que « rares sont ceux qui, comme lui,
ont eu l'honnêteté intellectuelle de la [son idéologie
libertarienne] remettre en question ». Voilà, nous qui
pensons que la crise vient spectaculairement confirmer nos théories au
lieu de les remettre en question, nous sommes des malhonnêtes
intellectuels. De mon côté, je ne doute pas de
l'honnêteté intellectuelle de Krol, qui croit sans aucun doute
fermement tous les sophismes économiques et les poncifs
interventionnistes qu'elle nous sert presque quotidiennement dans ses
éditoriaux. Je doute surtout de sa capacité intellectuelle
à écrire autre chose que des insignifiances.
Martin
Masse
Le Quebecois
Libre
Martin
Masse est né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien Le
Québécois Libre en février 1998. Il a été
directeur des publications à l’Institut économique de
Montréal de 2000 à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller
international de Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste,
publié au Québec par l'Institut économique de
Montréal avec les Éditions St-Martin et chez Plon en France.
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