Dans
une ambiance qui ne s’y prêtait pas, les regards tournés
vers un commissariat de Manhattan, puis un tribunal, les ministres des
finances européens ont sans surprise donné leur feu vert au plan
de sauvetage du Portugal, l’obstacle des Finlandais levé,
leurs conditions acceptées. Les banques portugaises sont instamment
priées de ne pas se délester en douce de la dette de leur pays
! Le FMI devrait suivre d’ici vendredi.
78
milliards d’euros seront prêtés dans le cadre d’un
programme de trois ans, en contrepartie d’un ensemble de mesures
budgétaires et de privatisations. Le communiqué commun ne
mentionne toutefois pas le taux auquel le prêt est consenti, une
question qui faisait débat et a une forte résonance en Irlande
et en Grèce, les deux pays demandant une révision à la
baisse du leur. Selon le ministre portugais des Finances, Fernando Teixeira
dos Santos, un taux d’intérêt moyen d’environ 5,1%
devrait être appliqué.
Pour
la Grèce, il a été décidé de reporter la
décision, après un échange montrant
l’étendue des désaccords. Au final, le si
déterminant signal envoyé aux marchés est
d’une grande confusion. Tout est donc loin d’être
bouclé, tant en raison de la demande allemande d’attendre le
rapport de la Troïka, pour gagner du temps, que des fortes divergences
persistantes qui ont tourné à la foire d’empoigne ces
derniers jours. Chacun y allant de sa formule selon un large éventail
allant d’une restructuration de la dette – les variantes ne
manquant pas – à la réalisation prioritaire d’un
programme massif de privatisations en Grèce. Le tout dans une
cacophonie que le défaut subit du directeur général du
FMI n’a pas contribué à résorber. La BCE reste
intransigeante et les Allemands louvoient, tout le monde y va de sa recette
ou préfère se taire. Aux dernières nouvelles Angela Merkel et son ministre des finances, Wolfgang Schaüble, ne seraient pas d’accord.
Le
dénominateur commun vers lequel les 27 semblaient s’acheminer
– mais qui s’éloigne – serait de procéder non
pas à une restructuration de la dette privée, mais à un reprofilage
des emprunts réalisés dans le cadre du premier plan de
sauvetage, qui pourrait être accompagné d’une baisse
des taux d’intérêt. Une subtilité linguistique qui
signifie rééchelonnement.
En
réalité, toutes les options étaient sur le tapis, mais
la décence voulait que celle de la restructuration dure de la
dette que représenterait une décote ne soit pas
évoquée ouvertement. Car ce n’est pas ainsi que
l’on discute de ces choses-là : « En public, nous
sommes très réticents à débattre de
restructuration » a fait savoir Mark Rutte,
le ministre néerlandais.
Ce
nouveau plan n’est qu’à l’état
d’ébauche, car il devra être accompagné –
pour être présentable – d’un programme grec
de privatisations, et peut être aussi d’un nouveau prêt,
difficile à éviter. L’anticipant, Maria Fekter, la ministre autrichienne des finances, a
déclaré que « Les Grecs doivent s’aider
eux-mêmes », faisant valoir que le pays avait
« un très haut potentiel de privatisations ». Jean-Claude
Junker, en fin de réunion, a confirmé que le gouvernement grec
s’était engagé en ce sens. Le plus facile a
été déblayé, reste ce qui divise…
Outre
la composition de ce cocktail, il faudra aussi déterminer
jusqu’à quelle date ce nouveau plan permettra à la
Grèce de ne pas revenir sur le marché obligataire. Fin 2013 est
dans la ligne de mire, afin de gagner deux ans. Enfin, la participation des
créancier privés devra être ou non intégrée
et calibrée. Selon l’Allemagne qui semble y tenir, le reprofilage
ne devrait pas uniquement concerner les détenteurs publics de la
dette. Cela sera le gros morceau.
« Tout
le monde est le bienvenu » a dans l’immédiat
clamé Maria Fekter, comme si elle dressait
la liste des invitations à une garden-party. On croit
déjà entendre les ricanements des marchés,
persuadés que les auteurs de ce plan ne font que reculer pour mieux
sauter.
Réunis
symboliquement à Athènes en congrès, les syndicats
européens sont plus saumâtres, se préparant faute de
mieux à « réinterroger l’avenir de
l’Europe », tout en mettant en cause
l’hégémonie des marchés financiers ainsi que la
montée de la xénophobie et de la tentation du chacun pour soi.
« Les travailleurs paient pour une crise dont ils ne sont pas
responsables » est la phrase qui revient dans toutes les
interventions.
Parlant
de la Grèce à Berlin, Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques, ne
leur a pas donné tort en y expliquant « qu’il est
illusoire de penser qu’il y a une alternative à un programme de
réformes » ; celui-ci doit être
accéléré et accompagné de la mise en œuvre
« d’un programme de privatisation complet ».
Voix
discordante dans le concert, Günther Oettinger
– le commissaire à l’énergie qui vient de faire
parler de lui pour son intransigeance à propos des tests de
résistance des centrales nucléaires européennes –
s’est pour sa part déclaré en faveur d’un
« programme de conjoncture européen »
destiné aux pays « qui ne sont pas pour le moment
compétitifs » : « Nous devons –
a-t-il proposé – construire de la création de la valeur
: dans l’artisanat, dans les services, dans
l’industrie ». Une sorte de plan Marshall sans le nom, tel
que des députés allemands de l’opposition l’ont
évoqué à propos de la Grèce. Ayant le
mérite de poser implicitement une question esquivée par ceux
qui n’ont comme seul credo que « le retour à la
compétitivité » : comment y parvenir, dans quel
domaine et avec quels moyens ?
Pendant
que les Européens piétinent et s’enferrent, les
Américains sont poussés dans leurs derniers retranchements. Non
seulement à cause de la nouvelle date couperet du 16 mai – que
le Trésor a annoncé pouvoir reculer jusqu’au 2 août
en n’effectuant pas certains payements – qui concerne une fois de
plus le plafonnement de la dette par la loi ; mais aussi avec la fin du
programme d’achat des obligations américaines par la Fed, en
juin prochain.
Tout
en faisant la part de la dramatisation propre aux négociations de
relèvement du plafond de la dette, car c’est la loi du genre,
les propos tenus par Barack Obama ont été très
alarmistes. La perspective que le Congrès ne parvienne pas à un
accord, devant l’intransigeance des républicains, risquerait
selon lui et cette fois-ci de faire réellement redouter aux
marchés financiers que les Etats-Unis n’honorent pas leur dette.
Même s’ils n’en donnent pas signe pour l’instant.
« Cela pourrait défaire le système financier tout
entier » a mis en garde Barack Obama. « Nous pourrions
subir une récession encore plus grave que celle que nous venons de
traverser. Une crise financière mondiale plus grave
encore. »
Les
termes du débat entre républicains et démocrates peuvent
se résumer dans toute leur simplicité : les premiers veulent
prioritairement réduire les dépenses de protection
médicale des pauvres et des personnes âgées, ainsi que
les impôts des entreprises, les seconds voudraient augmenter les
impôts sur les plus hauts revenus, ce que les premiers refusent.
Une
étude du cabinet Hay Group est venue à point nommé
éclairer symboliquement ce débat. Selon ses conclusions, la
rémunération des directeurs généraux des grandes
entreprises américaines a progressé de 11% sur les douze
derniers mois, après une année précédente
où elle était restée stable. Ce que les conseils d’administration
ont voulu récompenser, est-il mis en valeur, ce ne sont pas les
résultats économiques de ces entreprises, mais la hausse du
cours de leur action en bourse. Une progression qui n’est pas sans
relation avec le programme de Quantitative Easing
(création monétaire) de la Fed…
Interrogé
début avril dernier par la commission des finances du Sénat,
Tim Geithner – le secrétaire
d’Etat au Trésor – avait répondu « Bien
sûr ! » à la question d’un sénateur lui
demandant : « Si vous étiez les Chinois, nous prêteriez-vous
mille milliards supplémentaires ». « Le monde
– affirma-t-il à l’occasion – perçoit
toujours les Etats-Unis et le système politique américain comme
étant à la hauteur pour faire aboutir des réformes,
renforcer l’économie et revenir à une situation budgétaire
plus viable. » La suite de l’audition illustre comment
l’honorable secrétaire d’Etat et son gouvernement sont le
dos au mur : « Si vous regardez le coût auquel nous
empruntons aujourd’hui ; vous voyez qu’il y a toujours une
confiance énorme dans le monde dans la capacité de
système politique ». Il aurait pu ajouter et dans la
profondeur des coffres de la Fed.
Précisément,
que va-t-il se passer lorsque le programme actuel de la Fed prendra fin en
juin prochain ? Le Trésor sera clairement le grand perdant de
l’affaire, si un QE3 (Quantitative Easing) ne
prend pas la succession du QE2. Pour leur part, les analystes financiers
considèrent dans leur majorité qu’une grande tension
affecterait les marchés des actions, des matières
premières et du crédit, avec comme conséquence une chute
potentielle de la croissance américaine et une récession
à la clé. Tous les marchés financiers ont en effet
été portés ces deux dernières années par
la distribution abondante des liquidités de la Fed, occasionnant des bénéfices
très importants pour tous les intervenants sur les
marchés ; le tapis leur serait brutalement retiré de
dessous les pieds, au risque de tout déséquilibrer.
Mais
le tableau pourrait être plus sombre encore, si les acheteurs
américains de la dette se mettaient à la bouder, comme le
principal d’entre eux, Pimco, l’a
déjà publiquement préconisé. Car ils craignent
qu’une augmentation des taux obligataires sera
inévitable dans ce contexte maintenu de poursuite des déficits,
ayant comme corollaire la baisse de la valeur des obligations d’Etat
qui les atteindrait.
La
décision de la Fed – croient ceux qui pensent qu’elle en
restera là dans l’immédiat – pourrait reposer sur
la publication de bons indicateurs économiques, mais ceux-ci sont pour
le moins très hypothétiques. D’autres estiment, que les
signes d’inflation aidant, la Fed ne pourra pas se permettre de
remettre au pot au risque de l’alimenter à nouveau.
D’autres enfin s’attendent à ce que le baril de
pétrole connaisse à nouveau une fulgurante montée de son
prix, ce que l’économie pourrait très mal le supporter,
incitant au contraire la Fed à lancer un nouveau programme. Bref, nul
ne sait, les impératifs sont éminemment contradictoires, et
c’est bien là le problème.
Intervenant
après que Standard & Poor’s a fait
savoir que la note AAA de la dette américaine n’était pas
nécessairement éternelle, lançant ainsi un sacré
pavé dans la mare, Olivier Blanchard, économiste en chef du
FMI, a estimé que les Etats-Unis manquaient d’un
« plan crédible, à moyen terme, pour réduire
leurs déficits budgétaires ». « Il y a
des raisons d’être inquiet », a-t-il reconnu,
« le fossé idéologique est énorme entre
démocrates et républicains sur la façon de traiter le
problème ». Il aurait aussi pu dire que ni les uns ni les
autres ne pouvaient se résoudre à sanctionner le déclin
américain, se reposant sur un fond idéologique commun qui, au
train où vont les choses, ne va bientôt plus reposer que sur des
souvenirs.
On
devine pourtant d’où va venir l’impulsion. Le
Comité consultatif du Trésor pour les questions d’emprunt
(TBAC), qui regroupe les dirigeants des principales mégabanques
et fonds d’investissement intervenant sur le marché de la dette,
a pris sa plume pour écrire à Tim Geithner.
« Les risques qu’un défaut de paiement ferait peser
à long terme sont si élevés que tout retard dans le
relèvement du plafond de la dette est susceptible d’avoir des
conséquences négatives sur les marchés, bien avant que
le dit défaut ne se produise réellement ». On ne pouvait
signifier plus clairement que le petit jeu habituel du relèvement de
ce plafond à l’arraché au dernier moment, pour le
recommencer trois mois plus tard, n’est plus possible.
En
référence à l’avertissement sans frais
donné par Standard & Poor’s, le
même courrier comminatoire avertissait qu’une baisse de chaque cran
de la note ferait monter d’un point les taux obligataires, pouvant
déclencher « une autre crise financière
catastrophique, après celle de 2007-2009 dont le monde ne s’est
pas encore remis ».
L’aveugle
américain soutien le paralytique européen; quel autre
diagnostic pourrait être tiré de l’examen de la situation
des grands pays occidentaux ? Le Japon fait quant à lui face à
une catastrophe qui va certes relancer l’activité, à la
faveur de sa reconstruction, mais accroître encore l’endettement
du pays. Ce n’est pas ainsi qu’il parviendra à sortir de sa
trappe à liquidité, après avoir déjà
essayé de le faire avec une politique de grands travaux.
Les
investisseurs japonais, sollicités pour la financer, vont-ils
réellement pouvoir continuer à acheter comme ils l’ont
fait jusqu’à maintenant la dette américaine et ne
vont-ils pas rapatrier leurs capitaux ? La boucle est bouclée, mais
dans le mauvais sens.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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