« …
nous nous dirigeons peut-être vers un monde d’abondance de capital et de
pressions déflationnistes substantielles, où la demande pourrait venir à
manquer. »
—Lawrence
Summers, ancien secrétaire du Trésor
Le
professeur Summers lit très certainement le nouveau
blog de Bernanke. Ou peut-être le rédige-t-il pour
de l’argent. A 250.000 dollars le discours, Bernanke
peut bien évidemment se permettre de payer des défenseurs haut-perchés pour
venir polir ses tours d’économie. Mais laissons les railleries de côté. Les propos
de Summers soulèvent des questions fondamentales :
quel est réellement ce monde vers lequel nous nous dirigeons, et en quoi
consiste ce capital ?
Il
est avant tout un monde de globalisme en déclin. Des personnes qui devraient
être éduquées sur la question – des membres de la soi-disant classe de
penseurs qui ont suspendu leur capacité à réfléchir – ont adopté l’idée de
Tom Friedman selon laquelle le globalisme est fait pour durer, et est une
caractéristique permanente de la condition humaine. Envoyez cette idée au
bureau des lettres mortes, accompagné de The
End of History, par Francis Fukuyama.
Avec l’aide du racket compétitif mené par leurs banques centrales, les
nations désespérées se sont propulsées d’un désordre financier à une
tourmente géopolitique, et l’Histoire continue – sur fond de hululements joviaux
de coupeurs de têtes. Le monde plat de Friedman était basé sur une politique
américaine stable et dominante, et nous n’aurons rien de tout cela dans le
monde envisagé par Summers.
La
première condition a été confirmée par la seconde : les Etats-Unis ont
continué de dominer l’économie globale, en raison de leurs politiques
stables. Une condition qu’ils n’ont pas manqué de détruire en formant une troïka
de banques corrompues, de manipulateurs de marchés et de fonctionnaires
captifs qui a su élargir le secteur financier de l’économie de 5 à plus de
40%, notamment au travers du pillage de la classe moyenne et de la
destruction de ses revenus. Les Etats-Unis ont laissé place au XXIe siècle à
la magie de la finance, qui consiste en la « création » de « capital »
par la fraude comptable. Les effets de cette magie sont visibles au travers
de nos paysages suburbains délabrés et de nos villes décrépies.
On
pourrait penser que l’effet principal de l’orgie globaliste de Friedman, qui
a duré cinquante ans, a été l’adoption par d’autres nations de la fraude
financière à l’américaine. La Chine a très certainement surpassé les
Etats-Unis en termes de perversité de ses relations bancaires et
gouvernementales. Elle n’a de comptes à rendre à personne si ce n’est à
elle-même, et les chiffres qu’elle publie sont plus incroyables encore que
ceux concoctés par le Bureau américain des statistiques. L’Europe est l’élève
modèle qui, il y a quelques mois seulement, annonçait un programme de
quantitative easing aussi ambitieux que ceux des
Etats-Unis. Le Japon ne fait bien entendu que tenter de repousser le plus
possible son retour à l’ère médiévale.
La
désintégration globale continue d’avancer dans les régions les plus attachées
au pétrole. Les champs de bataille d’Afrique du Nord, du Proche-Orient et d’Asie
centrale poursuivent leur combustion, et rien ne laisse espérer que la
situation puisse bientôt s’améliorer. L’Arabie Saoudite est la pierre
angulaire de la région, mais la royauté sénile du pays se trouve en péril
face à un secteur militaire qui prétend maintenant soutenir le Yémen en
décomposition. Les autres princes arabes qui n’appartiennent pas aux clans
saoudiens observent certes la scène avec stupeur. Quand l’Arabie explosera,
ce pourrait être le début de la fin.
Voilà
qui nous mène à notre autre question : quel est ce « capital »
sur lequel nous comptons ? Je suppose qu’il n’existe pas. Il n’est qu’une
chimère gravée sur les disques durs du monde, un fantôme qui hante ceux qui
règnent sur l’économie globale en déclin. Il existe encore du capital à travers
le monde, mais il est bien moins abondant que ce que pourraient penser des
gens comme Larry Summers.