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L’économie Coca Zéro. Myret Zaki/Bilan

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Published : January 10th, 2018
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Category : Editorials

Myret Zaki, Rédactrice en chef de Bilan

Avez-vous déjà bu un Coca Zéro? Il a presque tout d’un Coca, le goût, la couleur, l’odeur. Mais il est 0 calorie, 0 sucre, on peut l’avoir avec 0 caféine. Bref, c’est 0 culpabilité. Ce qui est évidemment trop beau pour être vrai. Certaines substances comme les édulcorants artificiels ne sont pas sans effets secondaires potentiellement dangereux.

De même, les statistiques économiques des grands pays, elles aussi, deviennent un peu Coca Zéro: beaucoup de marketing, une croissance sans conséquences, et on ne met pas l’accent sur les aspects moins reluisants.

Depuis la sortie de crise de 2008, on nous annonce des chiffres mirobolants: il n’y a plus d’inflation, ni de chômage, les récessions sont craintes mais toujours évitées. Sur les marchés financiers, il n’y a plus de krachs boursiers, et la volatilité a disparu. Coca Zéro, donc.

Le concept Zéro, tout marketing qu’il est, masque nombre de réalités économiques plus préoccupantes que jamais. Tout d’abord, l’inflation, donnée pour négative ou à peine positive dans les pays développés, est en réalité bien présente, sauf qu’elle n’est pas mesurée dans son entier par les indicateurs officiels. Les méthodologies récentes ne prennent pas en compte le renchérissement des denrées par rapport à elles-mêmes d’une année à l’autre, mais préfèrent postuler que le consommateur se reportera sur une denrée équivalente à un prix plus modique. Elles ne prennent pas en compte les hausses des prix de l’immobilier, se contentant des prix des loyers. Elles sous-pondèrent le poids des assurances maladies, s’expriment volontiers hors énergie, et ne tiennent aucun compte de l’inflation boursière lors des cycles spéculatifs, comme si le prix des actions n’était pas un prix d’actif comme un autre, qui atteste d’une cherté accrue des parts de sociétés cotées. Or l’inflation est un chiffre clé, affectant directement l’évolution des salaires moyens réels, qui, faute de pouvoir justifier un ajustement à la hausse, sont voués à stagner longtemps.

Les taux de chômage sont annoncés, partout, en très forte baisse. Aux Etats-Unis, on est au plus bas niveau depuis 2000. Au Japon, on parle de plein-emploi, avec un taux de 2,7%, le plus bas depuis 1993. Mais on ne dit pas que sur une population nippone vieillissante, la population active est proportionnellement au plus bas elle aussi, sans compter le nombre toujours élevé de femmes au foyer. Et comme en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis, on ne s’attarde pas sur la qualité des emplois. Ce chômage quasi inexistant masque un peu partout dans les pays développés une précarisation des nouveaux emplois, flexibilisés et faiblement rémunérés. C’est ainsi que les taux de chômage sont mesurés sur des créations d’emplois de qualité moindre, ou encore sur des populations qui excluent de plus en plus de monde. Aux Etats-Unis, le taux de participation au marché de l’emploi est ainsi au plus bas depuis 1967, et c’est sur la base de cette population étriquée que l’on arrive à un taux de chômage de 4,1%. Ce phénomène préoccupe même la Fed; même elle ne prend plus pour acquis le taux de chômage officiel. En effet, si on prend le taux de participation de la population masculine dans la force de l’âge, soit entre 25 et 54 ans, on observe une chute marquée de leur participation au marché du travail. Cette population qui, en 1950, était à 97% active sur le marché, ne participe plus qu’à hauteur de 88,5% aujourd’hui. Ainsi, 1 travailleur sur 9 n’est plus dans le statistiques du chômage, mais a cessé de chercher du travail. Comme le taux de chômage ne prend en compte que les personnes engagées dans la force de travail ou active dans la recherche de travail, la statistique ne compte pas tous les chômeurs découragés. Une population appelée à augmenter aux Etats-Unis, estime le Congressional Budget Office. C’est ainsi qu’on peut obtenir un taux de chômage de 3,3% pour les hommes de 25-54 ans, alors qu’en réalité 11,5% de ce groupe n’est plus dans la population active.

On annonce, aussi, des PIB constamment en hausse, mais c’est dans les pays développés où il croît le plus que la dette enfle le plus, et que les réalités sociales sont les plus cruelles. Ainsi, les Etats-Unis battent systématiquement l’Union européenne sur le front de la croissance du PIB, dépassant les 2% par an depuis plusieurs années et faisant sans cesse pâlir les pays du Vieux Continent. Mais à quel prix ? La croissance agrégée ne dit en effet plus rien des améliorations du bien-être économique d’une population dans son ensemble. Dans les colonnes du Financial Times, le chroniqueur Martin Wolf s’en inquiète, évoquant la menace de la « ploutocratie populiste » incarnée par Donald Trump.

En effet, entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont accumulé 28% de la croissance agrégée des revenus réels aux Etats-Unis, en Europe occidentale et au Canada, tandis que les 50% les moins riches en ont eu seulement 9%. Mais c’est bien aux Etats-Unis que le phénomène est le plus préoccupant. Là bas, les 1% ont accaparé 88% de la croissance, alors qu’en Europe, ils ont gagné autant que les 51% les moins riches. Pour relativiser encore plus les chiffres de PIB, il suffit de lire le compte-rendu du Guardian du 15 décembre sur la pauvreté en Amérique. Les journalistes ont accompagné le rapporteur spécial de l’Onu sur la pauvreté extrême et les droits humains, Philip Alston, lors de son enquête sur les 41 millions de pauvres aux Etats-Unis, dont 15 millions d’enfants. 27 millions des pauvres sont blancs (majoritaires). 9 millions ont zéro revenu en cash. Dans ce pays où Bill Gates, Jeff Bezos et Warren Buffet possèdent autant que la moitié de la population américaine, et où les baisses d’impôts votées en décembre 2017 par les Républicains profiteront probablement pour plus de 80% aux ultra-riches, l’absence de logements à prix abordables a fait exploser le nombre de SDF. Dans son enquête sur le terrain, Philip Alson observe que le manque de toilettes publiques dans certaines zones en Californie peuplées de SDF force les gens à se soulager dans les rues. A Los Angeles, le nombre de sans domicile fixe a bondi de 25% sur l’année écoulée, pour atteindre 55’000 personnes, selon le Guardian. Dans les campements où vivent les SDF, une épidémie d’hépatite A s’est déclarée en raison des conditions sanitaires, et se propage sur la côte ouest. Cette détérioration des conditions de vie se retrouve de l’autre côté, en Virginie occidentale, autre Etat pauvre, où le taux de participation des hommes de 25-54 ans à la population active est tombé à 80%. Là bas, les travailleurs blancs mis au chômage par la désindustrialisation et les délocalisations trouvent des emplois chez Walmart à un salaire horaire inférieur à ce qu’ils gagnaient en 1979.

On l’aura compris, les beaux chiffres masquant des réalités économiques plus sombres requièrent des recherches plus poussées de la part des observateurs. Signe des temps, les rapports annuels des entreprises se sont eux aussi mués, au fil des années, en vecteurs de marketing autant que de reporting. Les illustrations prennent toujours plus de place, le texte fait la part belle aux réussites, et les tableaux de chiffres viennent ensuite. Les exigences de divulgation financière se sont certes accrues, mais au même moment, leur poids dans les rapport est devenu très relatif. Tout comme les sodas diététiques et leurs sucres artificiels, une économie aux chiffres édulcorés oblitère nombre de risques et ne permet pas de prendre des décisions de politique économique correctement informées. Si l’on veut éviter la menace de ploutocratie populiste qu’évoque Martin Wolf, il est temps de rétablir une présentation équilibrée et réaliste des statistiques économiques des pays.

Myret Zaki,

En 1997, Myret Zaki fait ses débuts dans la banque privée genevoise Lombard Odier Darier Hentsch & Cie. Puis, dès 2001, elle dirige les pages et suppléments financiers du quotidien Le Temps. En octobre 2008, elle publie son premier ouvrage, « UBS, les dessous d’un scandale », qui raconte comment la banque suisse est mise en difficulté par les autorités américaines dans plusieurs affaires d’évasion fiscale aux États-Unis et surtout par la crise des subprimes. Elle obtient le prix de Journaliste Suisse 2008 de Schweizer Journalist. En janvier 2010, Myret devient rédactrice en chef adjointe du magazine Bilan. Cette année-là, elle publie « Le Secret bancaire est mort, vive l’évasion fiscale » où elle expose la guerre économique qui a mené la Suisse à abandonner son secret bancaire. En 2011, elle publie « La fin du dollar » qui prédit la fin de la monnaie américaine à cause de sa dévaluation prolongée et de la dérive monétaire de la Réserve fédérale. En 2014, Myret est nommée rédactrice en chef de Bilan. 

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