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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
A
en croire Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, nous
étions « en chute libre » et nous n’y sommes plus,
notable progrès, il faut en convenir. Tout en remarquant que ce
n’était pas ce qu’il nous assurait hier, alors que nous
tombions. Comment alors le croire, aujourd’hui, quand bien même
il affiche désormais plus sa prudence que ses certitudes ? A
l’écoute du monde de la politique, les exhortations des uns, ou
bien les silences des autres, ne nous sont toujours d’aucune aide pour
comprendre où nous allons. Non pas qu’ils nous le cachent,
d’ailleurs, car il faudrait pour cela qu’eux-mêmes le
sachent. Leur déni reste tout simplement un refuge commode. Mais
jusqu’à quand pourra-t-il tenir lieu de politique ?
Les
banques centrales font avec beaucoup d’opiniâtreté du sur
place, ayant utilisé tous leurs instruments. La Banque
d’Angleterre fait exception, pour s’engager dans de nouveaux
achats massifs d’actifs (douteux), n’ayant pas d’autre
solution pour tenir hors de l’eau la finance britannique. Sinon, la
seule initiative notable à remarquer provient de dix-neuf ces grands
argentiers européens, qui viennent de se mettre ensemble
d’accord pour ne pas vendre dans la précipitation les bijoux de
famille, c’est à dire leur stock d’or. Au risque alors
d’en faire chuter le cours et de déséquilibrer encore
plus leur bilan. Permettant de penser que certains parmi eux étaient
bien tentés de le faire, même si cet accord est la reconduction
d’un précédent du même type. Donc, pas plus de 2.000
tonnes d’or dans les cinq ans à venir, c’est promis !
« L’or reste un élément important des
réserves monétaires globales » est-il affirmé
à l’occasion de ce communiqué ; cela fait longtemps
qu’il n’avait pas été nécessaire de le
rappeler.
L’heure
est en effet aux expédients plus ou moins discrets. Le gouvernement
italien ne vient-il pas d’envisager de taxer l’or de la Banque
d’Italie, afin de se procurer des ressources financières ? Il a
fallu que la BCE le rappelle à l’ordre, au nom du respect de
l’indépendance des banques centrales, qui aurait
été par trop malmené (peut-on en effet taxer une banque
centrale comme un vulgaire contribuable ?). Confronté au même
problème, mais à une toute autre échelle, le
Trésor américain a décidé d’accroître
dès l’année prochaine l’utilisation des TIPS (des
obligations indexées sur l’inflation) pour ses adjudications de
T-bonds, toutes maturités confondues. Afin de répondre, a-t-il
reconnu, à la demande des investisseurs qui cherchent ainsi à
se prémunir contre ce qu’ils considèrent
inévitable à terme : le retour d’une inflation puissante.
Le Wall Street Journal précise à ce propos que le grand sommet
stratégique américano-chinois des 27 et 28 juillet dernier,
dont il avait été relevé qu’il n’avait
abouti strictement à rien, aurait en réalité
été à l’origine de cette décision, dont on
devine le coût potentiel pour les finances américaines, si
l’inflation devait en effet se déclencher. Mais le Trésor
n’a visiblement pas le choix.
Fort
opportunément, le FMI vient de calculer, pour le publier dans son
« Rapport de surveillance budgétaire multinational », que
la dette publique des pays développés devrait atteindre en
moyenne 120% de leur produit intérieur brut dans cinq ans, soit 40 points
de plus qu’avant le démarrage de la crise. « Même si
la politique budgétaire doit continuer à soutenir
l’activité jusqu’à ce qu’une reprise ait
lieu, des stratégies claires sont nécessaires pour
rétablir les équilibres budgétaires à moyen
terme, au moment où la conjoncture s’améliorera, et assurer
que la solvabilité est maintenue », telle est la
conséquence qu’en tire le FMI. Nous voilà bien
prévenus, puisque les gouvernements ne le font pas.
L’économie,
en attendant, fonctionne toujours en crabe. Le secteur financier affiche ses
résultats, tandis que le reste de l’économie subit une
récession persistante. A y regarder de plus près, toutefois,
les banques elles-mêmes ne sont pas toutes logées à la
même enseigne. Leurs activités financières de
marché tirent leurs résultats, alors que se développe un
fort « coût du risque », dont elles pâtissent par
ailleurs. Entendez une augmentation du taux de défaut dans leurs
activités de crédit bancaire, inévitable résultat
de la crise économique et de la poursuite de la crise rampante du
crédit immobilier. Certaines banques absorbent donc mieux que
d’autres cette situation, grâce à leurs activités
de marché prédominantes. Dès que l’on quitte le
petit groupe des méga-banques, américaines et européennes,
cela ne va généralement pas fort, d’autant moins que
l’exposition aux produits financiers résultant des dettes
hypothécaires est forte. Et, pour les banques européennes, que
les engagements en Europe de l’Est sont élevés. Rien
n’y fera, il n’y aura aucune relance du crédit, et donc de
l’économie, tant que le secteur bancaire restera dans cet
état. En espérant que les choses n’empirent pas, comme
c’est pourtant probable.
L’actualité
est faite au jour le jour, non seulement de l’annonce des pertes
renouvelées de nombreuses banques, mais d’une litanie
d’indices et de signaux qui pourraient laisser supposer que les choses
vont moins mal qu’avant, qu’il serait « très
probable que nous soyons en train d’assister au tout début de la
fin de la récession », comme vient de la déclarer avec un
sens consommé de la formule Barack Obama, à l’occasion d’un discours dans
la banlieue de Washington. Quelques exemples pour nous éclairer. En
Espagne, le chômage a reculé depuis trois mois, mais c’est
le résultat de la saison estivale et de ses contrats saisonniers ainsi
que d’un plan de grands travaux gouvernemental. Son taux était
tout de même de 18% à la fin juin. En Allemagne, les
exportations ont connu en juin leur plus forte hausse mensuelle depuis trois
ans, mais les analystes s’interrogent sur les raisons de cette heureuse
surprise : effet de la demande chinoise ou plus prosaïquement des primes
à la casse qui se sont multipliées dans le secteur automobile ?
A propos de la Chine, précisément, certains analystes font
grand cas de l’augmentation de sa production
d’électricité, selon les chiffres officiels
communiqués par State Grid Corporation,
principal producteur national. D’autres s’interrogent sur la
bonne opportunité que représente la publication de ces
chiffres, tout le monde considérant cet indicateur (autorités
chinoises comprises), comme reflétant la réalité de
l’activité économique, faute de statistiques fiables par
ailleurs. En Grande-Bretagne, la production industrielle a augmenté de
0,5% en juin (mais elle a régressé de 11,1 % sur un an),
résultat du bas cours de la livre anglaise mais surtout de la
reconstitution des stocks des entreprises, qui risque d’être sans
lendemain, la consommation ne repartant pas. Dans le secteur immobilier
américain, enfin, on note une progression du nombre de promesses de vente,
mais combien se réaliseront-elles effectivement, une fois les banques
ayant ou non accepté de s’engager auprès des acheteurs ?
L’immobilier
américain, en l’occurrence, va toujours très mal. Le
Trésor vient de publier un bilan d’étape de l’aide
publique aux propriétaires en difficulté, qui reconnaît
que le plan gouvernemental d’un montant de 75 milliards de dollars est
loin de répondre à ses attentes. Conçu pour
empêcher la saisie de 3 à 4 millions de ménages sur trois
ans, il a bénéficié pour l’instant à
uniquement 230.000 d’entre eux. Fannie Mae, l’organisme de
refinancement immobilier sous tutelle de l’Etat, vient pour sa part de
subir une nouvelle perte nette de 14,8 milliards de dollars au
deuxième trimestre, le conduisant à demander à
l’Etat une aide supplémentaire de 10,7 milliards de dollars,
face à la montée des impayés parmi les emprunteurs
hypothécaires. Dans l’immédiat, ce sont donc 45,9
milliards de dollars qui seront consacrés au sauvetage de Fannie Mae,
soit plus que pour chacune des deux grandes banques commerciales Citigroup et Bank of America.
Et ce n’est pas fini : « En raison des tendances actuelles dans
les marchés financiers et immobiliers, nous nous attendons à
avoir une situation nette déficitaire à l’avenir et nous
serons donc amenés à obtenir des fonds additionnels de la part
du Trésor », a annoncé l’organisme. Devant cette
perspective, selon le Washington Post, le gouvernement
réfléchirait à une scission de Fannie Mae, ainsi que de
sa consoeur Freddie Mac, en deux
établissements distincts, suivant la formule good bank
et bad bank.
En
réalité, rien dans ce qui est mis en avant et pourrait
être considéré comme annonciateur d’un commencement
de reprise économique, ne vient donc pour l’instant conforter
sérieusement cette prédiction. Un autre dossier est par contre
objet de fortes inquiétudes, il s’agit de celui du cours
élevé du pétrole. Comment, en effet, comprendre que son
cours ait augmenté, alors que la demande reste faible et que les
stocks de brut s’accroissent plus que prévu aux Etats-Unis, si
ce n’est à la faveur de spéculations financières ?
Celles-ci, et ceux qui en sont à l’origine, jouent frontalement
contre la reprise économique, contribuant au surenchérissement
du coût de l’énergie. Réponse parfaitement
dérisoire à cette situation, la Federal
Trade Commission (la FTC, l’autorité américaines de la
concurrence) a annoncé une mesure drastique : l’interdiction de
la diffusion de fausses nouvelles, afin d’empêcher les manipulations
de cours sur le marché du pétrole. Elle devrait intervenir le 4
novembre prochain, si toutefois elle n’est pas entre temps
annulée ! On mesure le fossé qui sépare
l’activité financière des méga-banques des moyens
de base dont dispose l’administration américaine.
Sur
un autre front plus lointain, celui du système monétaire
international, Yukio Hatoyama, chef du Parti
Démocrate du Japon et favori au poste de Premier ministre lors des
prochaines élections de la fin août, vient de se prononcer pour
la création d’une monnaie unique asiatique, quand bien
même dix ans seraient nécessaires pour y parvenir, a-t-il tenu
à préciser pour ne pas parler en l’air.
L’idée n’est certes pas nouvelle, datant déjà
d’une vingtaine d’années depuis qu’elle a
été agitée pour la première fois dans la
région, rebondissant à l’occasion de la crise
financière asiatique de 1997, mais elle prend aujourd’hui une
nouvelle force dans le contexte actuel de faiblesse du dollar et
d’interrogation sur la poursuite de son rôle comme monnaie de
réserve. Il ne s’agit plus, cette fois-ci, de
déclarations très politiques mais sans grande portée,
comme on a pu les entendre dans la bouche des présidents russe ou
même français, mais d’une stratégie
énoncée par le futur Premier ministre du pays second
détenteur de T-bonds américains après la Chine, qui
préconise elle aussi la substitution au dollar d’une autre
monnaie de réserve.
*Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
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