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L’économie mondiale marche en crabe

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Paul Jorion.
Published : August 12th, 2009
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)



A en croire Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, nous étions « en chute libre » et nous n’y sommes plus, notable progrès, il faut en convenir. Tout en remarquant que ce n’était pas ce qu’il nous assurait hier, alors que nous tombions. Comment alors le croire, aujourd’hui, quand bien même il affiche désormais plus sa prudence que ses certitudes ? A l’écoute du monde de la politique, les exhortations des uns, ou bien les silences des autres, ne nous sont toujours d’aucune aide pour comprendre où nous allons. Non pas qu’ils nous le cachent, d’ailleurs, car il faudrait pour cela qu’eux-mêmes le sachent. Leur déni reste tout simplement un refuge commode. Mais jusqu’à quand pourra-t-il tenir lieu de politique ?

Les banques centrales font avec beaucoup d’opiniâtreté du sur place, ayant utilisé tous leurs instruments. La Banque d’Angleterre fait exception, pour s’engager dans de nouveaux achats massifs d’actifs (douteux), n’ayant pas d’autre solution pour tenir hors de l’eau la finance britannique. Sinon, la seule initiative notable à remarquer provient de dix-neuf ces grands argentiers européens, qui viennent de se mettre ensemble d’accord pour ne pas vendre dans la précipitation les bijoux de famille, c’est à dire leur stock d’or. Au risque alors d’en faire chuter le cours et de déséquilibrer encore plus leur bilan. Permettant de penser que certains parmi eux étaient bien tentés de le faire, même si cet accord est la reconduction d’un précédent du même type. Donc, pas plus de 2.000 tonnes d’or dans les cinq ans à venir, c’est promis ! « L’or reste un élément important des réserves monétaires globales » est-il affirmé à l’occasion de ce communiqué ; cela fait longtemps qu’il n’avait pas été nécessaire de le rappeler.

L’heure est en effet aux expédients plus ou moins discrets. Le gouvernement italien ne vient-il pas d’envisager de taxer l’or de la Banque d’Italie, afin de se procurer des ressources financières ? Il a fallu que la BCE le rappelle à l’ordre, au nom du respect de l’indépendance des banques centrales, qui aurait été par trop malmené (peut-on en effet taxer une banque centrale comme un vulgaire contribuable ?). Confronté au même problème, mais à une toute autre échelle, le Trésor américain a décidé d’accroître dès l’année prochaine l’utilisation des TIPS (des obligations indexées sur l’inflation) pour ses adjudications de T-bonds, toutes maturités confondues. Afin de répondre, a-t-il reconnu, à la demande des investisseurs qui cherchent ainsi à se prémunir contre ce qu’ils considèrent inévitable à terme : le retour d’une inflation puissante. Le Wall Street Journal précise à ce propos que le grand sommet stratégique américano-chinois des 27 et 28 juillet dernier, dont il avait été relevé qu’il n’avait abouti strictement à rien, aurait en réalité été à l’origine de cette décision, dont on devine le coût potentiel pour les finances américaines, si l’inflation devait en effet se déclencher. Mais le Trésor n’a visiblement pas le choix.

Fort opportunément, le FMI vient de calculer, pour le publier dans son « Rapport de surveillance budgétaire multinational », que la dette publique des pays développés devrait atteindre en moyenne 120% de leur produit intérieur brut dans cinq ans, soit 40 points de plus qu’avant le démarrage de la crise. « Même si la politique budgétaire doit continuer à soutenir l’activité jusqu’à ce qu’une reprise ait lieu, des stratégies claires sont nécessaires pour rétablir les équilibres budgétaires à moyen terme, au moment où la conjoncture s’améliorera, et assurer que la solvabilité est maintenue », telle est la conséquence qu’en tire le FMI. Nous voilà bien prévenus, puisque les gouvernements ne le font pas.

L’économie, en attendant, fonctionne toujours en crabe. Le secteur financier affiche ses résultats, tandis que le reste de l’économie subit une récession persistante. A y regarder de plus près, toutefois, les banques elles-mêmes ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Leurs activités financières de marché tirent leurs résultats, alors que se développe un fort « coût du risque », dont elles pâtissent par ailleurs. Entendez une augmentation du taux de défaut dans leurs activités de crédit bancaire, inévitable résultat de la crise économique et de la poursuite de la crise rampante du crédit immobilier. Certaines banques absorbent donc mieux que d’autres cette situation, grâce à leurs activités de marché prédominantes. Dès que l’on quitte le petit groupe des méga-banques, américaines et européennes, cela ne va généralement pas fort, d’autant moins que l’exposition aux produits financiers résultant des dettes hypothécaires est forte. Et, pour les banques européennes, que les engagements en Europe de l’Est sont élevés. Rien n’y fera, il n’y aura aucune relance du crédit, et donc de l’économie, tant que le secteur bancaire restera dans cet état. En espérant que les choses n’empirent pas, comme c’est pourtant probable.

L’actualité est faite au jour le jour, non seulement de l’annonce des pertes renouvelées de nombreuses banques, mais d’une litanie d’indices et de signaux qui pourraient laisser supposer que les choses vont moins mal qu’avant, qu’il serait « très probable que nous soyons en train d’assister au tout début de la fin de la récession », comme vient de la déclarer avec un sens consommé de la formule Barack Obama, à l’occasion d’un discours dans la banlieue de Washington. Quelques exemples pour nous éclairer. En Espagne, le chômage a reculé depuis trois mois, mais c’est le résultat de la saison estivale et de ses contrats saisonniers ainsi que d’un plan de grands travaux gouvernemental. Son taux était tout de même de 18% à la fin juin. En Allemagne, les exportations ont connu en juin leur plus forte hausse mensuelle depuis trois ans, mais les analystes s’interrogent sur les raisons de cette heureuse surprise : effet de la demande chinoise ou plus prosaïquement des primes à la casse qui se sont multipliées dans le secteur automobile ? A propos de la Chine, précisément, certains analystes font grand cas de l’augmentation de sa production d’électricité, selon les chiffres officiels communiqués par State Grid Corporation, principal producteur national. D’autres s’interrogent sur la bonne opportunité que représente la publication de ces chiffres, tout le monde considérant cet indicateur (autorités chinoises comprises), comme reflétant la réalité de l’activité économique, faute de statistiques fiables par ailleurs. En Grande-Bretagne, la production industrielle a augmenté de 0,5% en juin (mais elle a régressé de 11,1 % sur un an), résultat du bas cours de la livre anglaise mais surtout de la reconstitution des stocks des entreprises, qui risque d’être sans lendemain, la consommation ne repartant pas. Dans le secteur immobilier américain, enfin, on note une progression du nombre de promesses de vente, mais combien se réaliseront-elles effectivement, une fois les banques ayant ou non accepté de s’engager auprès des acheteurs ?

L’immobilier américain, en l’occurrence, va toujours très mal. Le Trésor vient de publier un bilan d’étape de l’aide publique aux propriétaires en difficulté, qui reconnaît que le plan gouvernemental d’un montant de 75 milliards de dollars est loin de répondre à ses attentes. Conçu pour empêcher la saisie de 3 à 4 millions de ménages sur trois ans, il a bénéficié pour l’instant à uniquement 230.000 d’entre eux. Fannie Mae, l’organisme de refinancement immobilier sous tutelle de l’Etat, vient pour sa part de subir une nouvelle perte nette de 14,8 milliards de dollars au deuxième trimestre, le conduisant à demander à l’Etat une aide supplémentaire de 10,7 milliards de dollars, face à la montée des impayés parmi les emprunteurs hypothécaires. Dans l’immédiat, ce sont donc 45,9 milliards de dollars qui seront consacrés au sauvetage de Fannie Mae, soit plus que pour chacune des deux grandes banques commerciales Citigroup et Bank of America. Et ce n’est pas fini : « En raison des tendances actuelles dans les marchés financiers et immobiliers, nous nous attendons à avoir une situation nette déficitaire à l’avenir et nous serons donc amenés à obtenir des fonds additionnels de la part du Trésor », a annoncé l’organisme. Devant cette perspective, selon le Washington Post, le gouvernement réfléchirait à une scission de Fannie Mae, ainsi que de sa consoeur Freddie Mac, en deux établissements distincts, suivant la formule good bank et bad bank.

En réalité, rien dans ce qui est mis en avant et pourrait être considéré comme annonciateur d’un commencement de reprise économique, ne vient donc pour l’instant conforter sérieusement cette prédiction. Un autre dossier est par contre objet de fortes inquiétudes, il s’agit de celui du cours élevé du pétrole. Comment, en effet, comprendre que son cours ait augmenté, alors que la demande reste faible et que les stocks de brut s’accroissent plus que prévu aux Etats-Unis, si ce n’est à la faveur de spéculations financières ? Celles-ci, et ceux qui en sont à l’origine, jouent frontalement contre la reprise économique, contribuant au surenchérissement du coût de l’énergie. Réponse parfaitement dérisoire à cette situation, la Federal Trade Commission (la FTC, l’autorité américaines de la concurrence) a annoncé une mesure drastique : l’interdiction de la diffusion de fausses nouvelles, afin d’empêcher les manipulations de cours sur le marché du pétrole. Elle devrait intervenir le 4 novembre prochain, si toutefois elle n’est pas entre temps annulée ! On mesure le fossé qui sépare l’activité financière des méga-banques des moyens de base dont dispose l’administration américaine.

Sur un autre front plus lointain, celui du système monétaire international, Yukio Hatoyama, chef du Parti Démocrate du Japon et favori au poste de Premier ministre lors des prochaines élections de la fin août, vient de se prononcer pour la création d’une monnaie unique asiatique, quand bien même dix ans seraient nécessaires pour y parvenir, a-t-il tenu à préciser pour ne pas parler en l’air. L’idée n’est certes pas nouvelle, datant déjà d’une vingtaine d’années depuis qu’elle a été agitée pour la première fois dans la région, rebondissant à l’occasion de la crise financière asiatique de 1997, mais elle prend aujourd’hui une nouvelle force dans le contexte actuel de faiblesse du dollar et d’interrogation sur la poursuite de son rôle comme monnaie de réserve. Il ne s’agit plus, cette fois-ci, de déclarations très politiques mais sans grande portée, comme on a pu les entendre dans la bouche des présidents russe ou même français, mais d’une stratégie énoncée par le futur Premier ministre du pays second détenteur de T-bonds américains après la Chine, qui préconise elle aussi la substitution au dollar d’une autre monnaie de réserve.


*Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com


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(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).



Les vues présentées par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  . Tous droits réservés.




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