1. Monnaie et prix en monnaie.
Pourquoi s'intéresser à la monnaie plutôt qu'à des épingles ?
"Parce que les prix des marchandises sont en monnaie..." répondait
Milton Friedman dans la décennie 1960, en introduction de certaines de ses
conférences (cf. ce texte d'août 2013).
Mais les prix en monnaie des marchandises, c'est quoi ?
Une première réponse consiste à dire que c'est le nom donné à un fait ou à
un phénomène économique, à savoir l'échange abouti, le "marché
conclu".
Mais deux autres réponses synonymes, plus explicatives, peuvent être
données à la question quoiqu'elles soient en général laissées de côté.
Ces réponses s'articulent sur les échanges de choses en propriété des
gens, sur des échanges désirés par ceux-ci et sur des taux ou rapports
d'échange dont ils conviennent spontanément.
2. Le taux ou rapport de marchandises en monnaie.
Une première réponse consiste donc à dire que, dans les marchandises
échangées satisfaites, on peut distinguer des taux ou des rapports convenus
entre les gens qui sont parties dans l'échange.
Comme y a insisté Vilfredo Pareto à la fin du XIXème siècle, et si on l'en
croît, le premier économiste à avoir mis l'accent sur la notion de taux ou
rapport de marchandise en monnaie a été Stanley
Jevons (1835-82).
Et Pareto de nous avertir qu'il préfère néanmoins parler de
"prix" dans ce qu'il écrit plutôt que de rapport ou de taux, mais
sans justifier le choix ...
2.a. Des taux ou rapports convenus.
Reste que l'important est pour l'économiste que le taux ou rapport en
question soit convenu par les gens, il n'est pas imaginé , il est une réalité
économique, l 'accord étant lui-même fondé sur le respect des règles de droit
par chacun.
Et autant Jevons que Pareto n'ont pas insisté sur la convention, sur
l'accord des parties.
Il faut le regretter.
2.b. Des taux ou rapports passés.
Reste aussi que les taux ou rapports ont nécessairement trait à des
échanges de marchandises passés entre les gens.
Ils font référence au passé, ce ne sont pas des prévisions
2.c. Le marché.
Au lieu de mettre l'accent sur les taux ou rapports des échanges de
marchandises entre deux personnes, on peut le mettre sur les taux ou rapports
des offres et demandes de marchandises, deuxconcepts de la théorie
économique qui donnent lieu au concept de "marché".
Soit dit en passant, il faut savoir que :
"Sans
doute l'outil le plus simple et le plus souvent utilisé de l'analyse
microéconomique est le diagramme classique de l'équilibre partiel des courbes
de demande et d'offre des manuels.
Les professeurs d'économie et leurs élèves emploient le diagramme pour au
moins six utilisations principales.
[1] Ils l'utilisent pour décrire l'équilibre et l'ajustement du prix et de
la quantité de tout bien particulier ou de facteur de production au marché.
[2] Ils l'emploient pour montrer comment les ajustements (walrasiens) du
prix ou (marshalliens) de la quantité assure l'équilibre: le premier en
éliminant l'offre ou la demande excédentaire, le second en éradiquant
les disparités entre le prix d'offre et le prix de demande.
[3] Ils l'utilisent pour illustrer comment les changements paramétriques
des courbes de demande et d'offre induits par des changements de goûts, de
revenus, de technologie, de prix des facteurs et de prix de produits connexes
fonctionnent pour modifier prix et quantité d'équilibre d'un bien.
[4] Ils l'appliquent pour montrer comment le changement et l'incidence
d'une taxe ou d'un tarif sur les acheteurs et les vendeurs dépendent des
élasticités de la demande et de l'offre.
[5] Grâce à lui, ils démontrent que les prix plafonds et les prix planchers
génèrent des pénuries et des excédents, respectivement.
[6] Enfin, ils l'emploient pour comparer les effets d'allocation d'un prix
de concurrence par rapport à un prix de monopole et pour indiquer les coûts
de bien être des imperfections du marché.
Bien sûr, ces applications du diagramme sont bien connus.
Mais pas aussi bien connues le sont ses origines et son histoire première.
Les économistes ont généralement tendance à associer le diagramme à Alfred
Marshall, son exposant le plus convaincant et le plus influent du XIXe
siècle.
Aussi forte est l'association des économistes qui ont baptisé le diagramme
"croix marshallienne" ou "ciseaux marshalliens" après
l'analogie de Marshall comparant les propriétés de détermination des prix
d'une paire de courbes de demande et d'offre et les propriétés de coupe des
lames d'une paire de ciseaux.
Reste que le diagramme lui-même est largement antérieur à Marshall.
Antoine-Augustin Cournot l'a inventé en 1838." (Thomas Humphrey,
1992, Banque fédérale de réserve de Richmond Review,
mars-avril ; ce texte est ma traduction).
2.d. L'"équilibre économique".
L' "équilibre économique" est une autre notion intéressante car
il prend en considération les prix et leurs quantités échangées et oblige à
les prendre en tant que tels (cf. figure ci-dessous).
Figure
Le concept de "'marché".
Etant donné les courbes représentatives de l'offre et de la demande de
marchandises (étudiées en long et en large), l'économiste fait apparaître
un point d'intersection (E) où il y a égalité de l'offre et de la demande de
marchandises.
Le concept d'"équilibre économique" s'avère ne prendre en
considération qu'une partie de la réalité économique qu'est le
"marché", à savoir les offres et demandes de marchandises
satisfaites, celles des gens qui offraient des marchandises et étaient prêts
à recevoir un prix en monnaie moindre (courbe Qs à gauche de E) et
celles des gens qui demandaient et étaient prêts à payer un prix supérieur
(courbe Qd à gauche de E).
2.e. L'obsession économique.
Tout se passe comme si les économistes obsédés par l'équilibre économique
ne s'inquiétaient pas des offres et demandes de marchandises qui n'ont pas
été satisfaites car elles se trouvaient au-delà du point E (cas du
marché du travail excepté depuis la première moitié du XXème siècle ...).
Les offres (à droite de E sur Qs) et demandes (à droite de E sur Qd) non
satisfaites sont pourtant, dans l'absolu, aussi importantes, voire davantage,
pour l'économiste que les autres car elles ne s'éteignent pas nécessairement,
mais perdurent ...
Tout ou partie d'entre elles perdurent même pour s'additionner à des
offres et des demandes nouvelles, qui apparaissent et qui semblent sans
raison pour l'économiste.
A l'évidence, quoique non satisfaites, les offres et demandes de
marchandises écartées de l'"équilibre économique" ont
nécessairement des effets économiques.
2.f. Le "coup de projecteur".
Bref, l'"équilibre économique" n'est pas la fin en soi que des
économistes laissent accroire ou sur quoi ils travaillent depuis bien
longtemps (cf. ce texte
de juin 2015).
Il n'est qu'un "gros coup de projecteur" sur un fait de la
succession des échanges qui ont été convenus entre des gens et qui crèvent
les yeux des observateurs qui croient regarder et qui ne voient rien.
Il cache autant des satisfactions, des gains ou de faibles pertes, des uns
(dont l'offre ou la demande a abouti) que des insatisfactions, des pertes
plus ou moins fortes, voire des faillites, des autres (dont l'offre ou la
demande n'a pas abouti).
2.g. Prix et quantités vont de pair.
Il importe de ne pas oublier que les prix des marchandises vont de pair
avec les quantités échangées.
Rien ne justifie de mettre l'accent sur les seuls prix et à l'écart, les
quantités.
En 1892, Menger s'était d'ailleurs opposé à la double idée fausse en
cours, à savoir:
- qu'il y avait une valeur d’échange, quantum déterminé inhérent
à chaque bien individuel, et
- que ce quantum pouvait être mesuré par le quantum
de valeur renfermé dans l’unité monétaire (cf. Carl Menger,
"La
monnaie, mesure de valeur", Revue d’économie politique,
Vol. VI).
Il avait conclu l'article - écrit en français - en ces termes:
…
"[...] l’échange n’a pas pour base
- la mesure de certains quantum de valeur,
- mais le prix qui s’est établi sur le marché sous l’empire des
mobiles [...], chacun de ceux dont le concours a formé ce prix ne poursuivant
que son propre avantage".
Bref, pour les économistes, le point de départ de l'économie politique est
dans ce que cachent les échanges passés et non pas dans tout ou partie de ses
seuls résultats, comme l'ont supposé Pareto et ses disciples.
3. Les quantités unitaires de monnaie convenues.
Si on désire un synonyme du prix en monnaie autre que la définition
précédente, on peut introduire la notion des quantités unitaires (ou
moyennes) de monnaie convenues qui n'est jamais qu'une façon de préciser les
taux ou rapports des échanges précédents.
Selon moi, c'est d'ailleurs cette façon de s'exprimer qui a amené Ludwig
von Mises à affirmer que les prix n'étaient pas un instrument de mesure de la
monnaie, mais consistait dans de la monnaie (cf. ce texte de
décembre 2015).
La démarche consiste à exprimer arithmétiquement la quantité de monnaie à
partir de la quantité de marchandises en question.
4. La "valeur".
Il convient de rappeler que, longtemps, les choses propriétés des gens ont
été dénommées "valeur", tout comme leurs quantités, les unes et les
autres cachées ou non sous le mot "bien économique" ou sous celui
de "richesse".
Un économiste du début du XXème siècle ignoré considérait que
c'était François Quesnay (1694-1774) qui avait introduit au XVIIIème
siècle la notion de "bien" dans l'économie politique.
Dans la foulée ou juxtaposée, "valeur" avait été
donnée à l'"utilité" - notion conçue, en particulier, par
J.B. Say pour donner de la valeur aux choses -, voire à l'acte d'échange de
la personne sous la dénomination "valeur d'échange".
Mais, par la suite "valeur" a été aussi le nom donné aux
"prix des marchandises" eux-mêmes.
Plus près de nous:
…
"Dès lors qu'un bien ne pouvait être transféré qu'avec l'assentiment de
celui qui avait qualité pour en disposer, le pouvoir d'échange se substituait
au pouvoir de violence.
Mais, par raison de commodité, la généralisation de l'échange exigeait
l'intervention d'un signe propre à remplir les droits du vendeur et, par là,
à en fixer le volume, entre le moment où, par la vente, ils auraient été
vidés de leur contenu et celui où, par l'achat, une richesse nouvelle serait
venue s'y substituer.
La monnaie devenait ainsi le contenu temporaire des droits en sursis
d'emploi.
C'est de ce caractère qu'elle tirait le dangereux privilège de pouvoir
affecter le volume de la demande globale et, par elle, les conditions de
l'équilibre économique." (Rueff, L'âge de l'inflation, 1964,
p.8)
écrivait encore Jacques Rueff dans son ouvrage intitulé L'âge de
l'inflation, il y a une cinquante d'années.
Enfin, "valeur" a été encore le nom donné
à l'"utilité marginale" ou à l'"ophélimité
élémentaire" des choses par les économistes dénommés
"marginalistes" par des historiens de la pensée économique.
Rétrospectivement, force est de constater que tout cela est devenu un
vaste chaos, celui de la "valeur" (cf. ce texte
de février 2016).
5. Attention à la concurrence.
Le cas échéant, l'observation de la réalité économique peut amener
l’observateur à parler de « concurrence » pour désigner l'évolution
des prix en monnaie quand il considère qu’ils n'ont pas varié …
Attention néanmoins à ce mot de « concurrence » galvaudé par les
mathématiciens qui se prennent pour des économistes et qui, dans leurs
modèles, mettent en vérité sur un même plan le paramètre de
« concurrence » et celui de « réglementation » sous
prétexte qu'ils ne varient pas, alors qu'ils devraient être considérés comme
... diamétralement opposés, l'un excluant l'autre.
"Concurrence" et "réglementation" ne sont pas,
d'abord, des considérations mathématiques.
Rien ne justifie de les dénommer "paramètres" et d'analyser les
propositions inventées comme si elles l'étaient.
Elles ne sauraient être prises pour telles auf chez les esprits
égarés ou chez ceux qui rêvent de planifier l’économie politique à leurs
goûts, "pour le bien du peuple" comme ils disent.
Qu'à cela ne tienne.
6. Attention à l'astrologie ou à la magie.
Il faut se méfier des économistes de la "théorie des prix",
domaine de la "théorie de la valeur", lui-même domaine de
l'économie politique, qui ont choisi d'expliquer les prix des marchandises
par les concepts précédents ...
Rien ne justifie, comme ils le font, de perdre son temps à vouloir
prédire leur avenir ... étant donné les changements permanents de la réalité
économique à l'initiative des actions de ces mêmes gens.
Ceux qui croient prédire les prix ne sont pas économistes, mais
astrologues ou magiciens.
7. Un dernier mot : la voie de l'économie politique.
La succession des échanges convenus des gens révèle et représente
néanmoins la vraie voie de l'économie politique, l'évolution qu'elle suit et
que personne ne saurait déterminer au préalable.
On ne peut qu'expliquer le passé, non pas l'avenir.
L'économie politique n'est pas en effet un grand équilibre, ni même
quelque chose en rotation uniforme, comme y font croire les statistiques
choisies et données périodiquement, en France, par l'I.N.S.E.E. ...
Elle est cette voie passée et à venir, inimaginable par chacun ...
Si tant est qu'on cherche à établir des analogies entre toutes les
sciences, on peut toujours en établir une entre astrophysique et économie
politique.
C'est la suivante:
on ne peut que regarder les éléments du passé qui ont donné existence à
l'économie politique tout comme y procèdent les astrophysiciens dans leur
domaine d'étude d'un éventuel point d'origine de l'univers.
Soit dit en passant, selon certains d'entre eux, il n'y a jamais eu de
"big bang" (cf. photographie ci-contre de "No Big Bang? Quantum equation predicts universe has no beginning", http://phys.org/news/2015-02-big-quantum-equation-universe.html ).
On ne peut rien spéculer sur l'avenir économique, sauf à verser dans
l'astrologie ou dans la magie, ce que n'hésitent pas à faire, depuis des
décennies, les politiques et leurs conseillers soi-disant économistes...
(cf. ce texte de mai 2011).
Prévoir l'économie politique, c'est l'émasculer
Peu importent les chiffres donnés, par exemple, sur le "niveau
général des prix" ou la "production" par les statisticiens ou
économètres en place et donc rémunérés, ils ne présument de rien sur
l'avenir.