Quelque
chose a cassé.
Les hedge funds, qui
souffrent déjà d’assez mauvais rendements ou d’importantes pertes depuis le
début de l’année, ainsi que d’un regain des rédemptions de leurs investisseurs
frustrés, voient désormais leurs paris européens ruinés par une mauvaise
surprise : Draghi n’est pas parvenu à défaire son propre battage
médiatique.
Les investisseurs
allemands sont majoritairement conservateurs. Ils aiment placer leur argent
sur quelque chose de concret, et posséder des biens véritables desquels tirer
lentement profit. Ceux qui ont le moins d’ambitions déposent leur argent en
banque pour en obtenir de maigres intérêts. Beaucoup investissent sur des
assurances vie qui leur offriront des flux de trésorerie après leur retraite.
Mais ils ne sont pas de grands adeptes du marché boursier.
Quand le DAX a plongé de
4,5% en seulement quelques heures, pour passer de 11,315 avant l’annonce de
Draghi à 10,789 à la fermeture du marché, ce ne sont pas les investisseurs
allemands qui se sont débarrassés de leurs actions.
Les Français apprécient
encore moins les actions que les Allemands. Ils ne leur font aucune
confiance. Ils apprécient les comptes épargne sponsorisés par le
gouvernement. Ils ont beaucoup d’affection pour les investisseurs sur l’immobilier,
ou encore les produits d’assurance. Alors si le CAC40 a plongé de 3,6%
pendant le discours de Draghi, ce n’est pas parce que les Français ont été
déçus.
Ceux qui l’ont été, ce
sont ses anciens collègues et rivaux de Goldman Sachs et d’autres banques et
hedge funds, qui se sont débarrassés de leurs actions européennes.
Ni les Français ni les
Allemands ne se sont soudainement mis à accumuler des euros, bien qu’il ait
gagné 4% en seulement quelques heures - ce qui est assez important pour une
devise majeure – pour passer de 1,055 dollar (son record à la baisse sur un
mois) à 1,098 dollar.
L’euro venait de perdre
5% entre le début du mois d’octobre et l’annonce de la BCE. Adopter des
positions à découvert sur l’euro est devenu une habitude pour les hedge funds
face au battage médiatique quant à l’intensification et la fortification du
programme de QE de la BCE, qui en théorie devait faire plonger l’euro dans le
cadre de la guerre des monnaies. C’est pourquoi ils se sont retrouvés coincés
dans une liquidation forcée de leurs positions à découvert.
Les ventes d’obligations
européennes ont grimpé, et leurs rendements ont flambé – du moins dans le
contexte actuel de rendements négatifs ou de zéro pourcent. Par exemple, les
obligations allemandes sur dix ans ont gagné 20 points de base pour passer de
0,47 à 0,67% - une hausse de 42% !
La BCE a une relation
particulière avec les hedge funds et les banques, qui inclue des réunions à
huis-clos lors desquelles les banques obtiennent des informations
privilégiées qui leur permettent de prendre de l’avance sur les décisions de
la BCE. Lorsque les journaux ont commencé à en parler, Draghi, plutôt que de
se prétendre choqué, a
défendu cette pratique : « les échanges directs avec une audience
spécialisée sont un point essentiel des politiques de communication de la BCE »,
a-t-il écrit. Elles font « partie intégrante de ses politiques de
transparence ».
La BCE a enrichi les
hedge funds et les banques de toutes les manières possibles au fil des
années, depuis la crise de l’euro et la mise en place de plans de sauvetage.
Qu’a donc fait Draghi aujourd’hui pour causer un tel tollé parmi ses amis ?
Les actions et
obligations européennes ont commencé à se vendre alors même que Draghi
prononçait son discours lors de la conférence, à mesure que les hedge funds
ont réagi à sa déclaration.
La BCE leur a pourtant promis beaucoup de bonnes choses :
- Une
réduction du taux de dépôt jusqu’à -0,3%, pour peser davantage sur les
épargnants ; mais le maintien des taux d’intérêt des principales
opérations de refinancement à 0,05%, et à 0,03% pour les prêts
marginaux.
- L’expansion
du QE jusqu’en mars 2017, mais le maintien des achats mensuels d’actifs
à 60 milliards d’euros.
- L’achat
de toujours plus d’actifs grâce aux ventes de titres arrivés à maturité « pour
aussi longtemps que nécessaire » afin de contribuer à « des
conditions de liquidité favorables ».
- L’achat
d’obligations émises par des « gouvernements locaux et régionaux »
de la zone euro afin de monétiser les déficits des villes.
- La
poursuite de ses opérations de financement pour « aussi longtemps
que nécessaire ».
En clair, elle a mis en
place l’un des plus gros transferts de capital de tous les temps. Mais cela n’a
pas suffi.
Les hedge funds s’attendaient
à une réduction plus importante des taux d’intérêt, à des taux de dépôt
négatifs, à une accélération du QE depuis 60 milliards d’euros par mois à une
somme plus élevée, et peut-être à plus encore.
La BCE a pris l’habitude
de faire un tapage de ses futures mesures telles que le QE et de faire s’enflammer
les marchés à l’approche de ses annonces pour que, le jour venu, elle puisse
défaire le battage médiatique et offrir plus encore que ce qui avait été
imaginé. Les actions et obligations ont ainsi pu grimper pendant les périodes
de battage médiatique, être soutenues par ses annonces, et grimper davantage
après la mise en place de ses mesures mois plus tard.
Draghi est le maître de
son art. Entre le 15 octobre 2014, date à laquelle le battage médiatique du
QE a commencé, jusqu’au 10 avril 2015, après qu’il est devenu réalité, le DAX
a gagné 45% et les obligations des gouvernements de la zone euro ont atteint
des valeurs époustouflantes et des rendements négatifs. Mais après que la BCE
a commencé à acheter des actifs, les hedge funds sont sortis. A la fin
septembre, le DAX a plongé de 24%.
Les amis de Draghi ont
dû beaucoup s’en plaindre derrière porte close. C’est pourquoi un nouveau
battage médiatique a été encouragé. Les actions allemandes ont recommencé à
grimper, et le 30 novembre, elles avaient déjà gagné 20%. Mais cette fois-ci,
les hedge funds n’ont pas attendu les nouvelles mesures avant de se débarrasser
de leurs actions. Beaucoup ne l’avaient pas fait assez rapidement la dernière
fois et se sont retrouvés coincés dans le marché baissier. Ils ont appris
leur leçon et décidé de vendre le jour de l’annonce.
Après sept années d’interventions
musclées par les banques centrales tout autour du globe, voici ce qui est
advenu de l’investissement : il n’est plus qu’un pari sur les mots des
demi-dieux que sont les banquiers centraux, qui dirigent solidement les
hordes grâce à des informations privilégiées ; plus que la vente d’actifs
à profit à des banques centrales sous couvert des programmes de QE ;
plus que le profit issu de la hausse d’actions et obligations les plus
inutiles jusqu’à des sommets grotesques.
Mais cela ne marche
plus. Quelque chose a cassé. Plutôt que de grimper, les marchés européens ont
plongé, et les obligations américaines et européennes ont souffert. Ceux qui
parient sur les banques centrales devraient y réfléchir.
Et les investisseurs s’en
tirent de moins en moins bien à mesure qu’implose la bulle sur le crédit des
Etats-Unis. Lisez ceci : “Distress”
in US Corporate Debt Spikes to 2009 Level
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