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Le
texte qui suit a été écrit dans la première
semaine d'avril 2006.
Le "Contrat Première Embauche" diversifie la
réglementation du marché du travail, il ne libère pas
les relations entre l'employé et l'employeur.
Le contrat est un instrument juridique efficace.
Le contrat de travail a été un instrument juridique efficace
pour que l'employeur et l'employé organisent leurs relations jusqu'au
jour où il a été enrayé par le grand enrayeur
qu'est le législateur aux ordres, dans la Vè République
où les Français vivent aujourd'hui, de l'hyper enrayeur,
à savoir le gouvernement.
Mais aujourd'hui, l'enrayeur s'est enrayé.
Faut-il le rappeler ? Le contrat est un instrument juridique, défini
par le Code Civil (art. 1101 et suivants), qui permet aux gens de passer
entre eux des conventions et ainsi de conforter et pérenniser un
état de paix, de non conflit. En particulier, il tient lieu de loi aux
parties contractantes sous réserve des lois votées par le
législateur - il convient de souligner en passant que cette
"réserve" est pour le moins regrettable -.
Le contrat de travail, pour sa part, est un instrument juridique qui a
procédé du contrat de louage d'ouvrage (art. 1780 du C.C.)
jusqu'au jour où le législateur l'a assujetti au Code du
Travail qui a fourni sa réglementation.
Il donne lieu à une rémunération, à un salaire
versé par une partie à l'autre, dans une mesure plus ou moins
réglementée par le législateur, à commencer par
le salaire minimum , le fameux "salaire minimum interindustriel de
croissance" - SMIC -.
D'un point de vue strictement économique, le contrat de travail
réglementé est le noyau du marché du travail
réglementé de France, un marché enrayé par le
grand enrayeur (à propos du "corps des enrayeurs", on pourra
se reporter à Bastiat).
Néanmoins, il n'existe pas aujourd'hui, en France, un contrat de
travail réglementé type. Il existe des types de contrat qui
segmentent le marché du travail réglementé, bref un
éventail de réglementations que le législateur essaie de
diversifier ces dernières années.
Grande segmentation à souligner: le contrat à temps complet et
le contrat à temps partiel. C'est ainsi que le CPE ("contrat
première embauche") est un nouveau type de contrat de travail
réglementé à temps complet.
En tant que tel (cf. le CPE), on rappellera que :
il est comparable par exemple au contrat dit à durée
indéterminée (CDI) et au contrat dit à durée
déterminée (CDD).
Grande différence avec le CDI qui suscite le tollé: il comporte
pour l'employé une période d'essai d'une durée maximum
de deux ans et il donne à l'employeur la capacité juridique de
licencier sans préciser le motif dans la période..
Il est à souligner que ces 24 mois sont calculés en prenant en
compte les stages, CDD ou périodes d'intérim que le
salarié a déjà pu faire dans l'entreprise. A
l'expiration du délai de 24 mois ainsi calculé, le CPE est
automatiquement transformé en CDI.
Très précisément :
* A la différence de la période d'essai d'un CDI (qui inclut
une fin du contrat sans préavis), le licenciement ouvre droit à
un préavis de deux semaines pendant les six premiers mois et d'un mois
ensuite (si le salarié a travaillé en stage ou en CDD dans la
même entreprise, la durée du ou des stages, du ou des CDD entre
en compte),
* à la différence d'un CDI (où l'employeur n'indemnise
pas le salarié s'il le licencie pendant la période d'essai, ni
après cette période, sauf après 24 mois
d'activité dans l'entreprise), le salarié a droit dès le
début à une indemnité de licenciement égale
à 8% des salaires bruts perçus depuis le début du
contrat (périodes des stages ou CDD qui l'ont
précédé incluses) ; l'employeur doit aussi verser 2% des
salaires versés aux organismes de sécurité sociale.
* A la différence d'un CDI, le salarié en CPE a droit à
une formation dès son premier mois d'embauche (et non pas plus tard
comme dans les CDI).
* Toutes les protections que le Code du travail donne aux femmes enceintes,
aux délégués syndicaux et autres catégories
protégées s'appliquent aux salariés en CPE.
* A la différence des CDD et CDI, le salarié en CPE
licencié a droit à des indemnités de chômage
après quatre mois de travail.
Selon le gouvernement et le législateur qui lui est
inféodé, le CPE doit avoir pour effet de réduire le
"chômage des jeunes" qui, pour certaines
"catégories de jeunes" et selon les statistiques
officielles, est supérieur à 20% (plus du double du taux de
chômage global en France).
Selon les opposants reconnus par les média - les faméliques
"anti CPE" -, le CPE est une "régression sociale",
il "instaure la précarité" du fait de la
capacité juridique de licencier sans explication pendant les
vingt-quatre premiers mois donnée à l'employeur.
Pour l'économiste que je suis et qui ne saurait expliquer
rationnellement – en se référant à d'autres
économistes - qu'une réglementation de plus du marché du
travail réduisît le déséquilibre
élevé et permanent que celui-ci a connu depuis des
décennies, le gouvernement et le législateur ont fait un pari,
le CPE ne faisant qu'élargir l'éventail de choix des contrats
dans le "filet de réglementations" qui entrave les
entreprises.
Mais ils se sont pris dans le filet ainsi élargi et tendu.
En effet pour tenter d'instaurer le calme, "sortir du filet", le
gouvernement a fait voter un amendement qu'il a présenté au
Parlement et qui a pris la forme d'un article additionnel. L'amendement
introduit principalement le versement d'une allocation forfaitaire en cas de
licenciement, sous certaines conditions. Et la loi a été
votée.
Loin de se calmer, la tourmente pour l'abrogation du CPE s'est
renforcée : grèves, fermeture d'universités, de
lycées, occupations, manifestations regroupant des populations
hétérogènes (étudiants, lycéens,
fonctionnaires, salariés), les unes directement concernées par
le CPE, les autres très indirectement, voire pas du tout.
Et - fait sans précédent dans l'histoire de la Vè
République qu'il est chargé de représenter et dont il
doit veiller à l'application des lois -, le Président de la
République en exercice en est arrivé à promulguer la loi
en prévenant les vingt millions de Français qui
l'écoutaient devant leur poste récepteur de
télévision, que la loi ne serait pas appliquée ! On est
loin de la décision de la dissolution de l'Assemblée Nationale
que le même homme avait prise en 1997 - et ratée compte tenu du
résultat des élections qui suivirent -, mais en
définitive pas tant que cela !
Il reste que le CPE n'est qu'une pièce parmi d'autres de la loi
votée mi-mars 2006 portant sur l'"égalité des
chances", notion qui, dans la décennie 1970, avait fait
florès dans la discussion législative dans des pays comme le
Canada, les Etats-Unis ou la RFA et qui est aujourd'hui en voie d'abandon.
Alors que le projet de loi était composée de 5 titres et de 28
articles, le CPE était à la fois au centre de trois articles
seulement – certes les trois premiers - et la conséquence
pratique de ceux-ci. Il modifiait le "Code de l'éducation" (article 1), le "Code du travail" (article 2), et le "Code
des impôts" (article 3).
D'une certaine façon, les autres pièces sur quoi les
réputés "anti CPE" sont muets – et pour cause
puisqu'elles sont dans les idées qu'ils démontrent à
l'occasion de leur condamnation du CPE – sont elles-mêmes en
opposition avec les trois articles inventant le CPE.
Cela fait apparaître que les rédacteurs de la loi se sont
trompés dans leur entreprise d'équilibrage des avantages et des
inconvénients à destination des groupes de pression dont ils
voulaient le bien et qui aujourd'hui se rebellent.
Question : serait-il donc plus difficile de réaliser cet
équilibre que d'instaurer les effets espérés de
l'égalité des chances ? Serait-ce si difficile que le
gouvernement aurait "buggé" ?
Mais plus important : le chômage est-il un problème pesant sur
le marché du travail en France ou un problème plus large que
connaît la France ?
La loi sur l'égalité des chances démontre que le
gouvernement et le législateur avancent confusément que le
problème est plus large et que la loi aura pour effet de le
résoudre.
Il y a trente ans, Jacques Rueff me demandait d’examiner si la
"loi" qui lui était alors prêtée par certains
économistes depuis ses travaux sur le chômage en Angleterre au
début du XXè siècle, était vérifiée
en France dans la période récente. Alors
"thésard", je n’avais jamais entendu parler de sa
"loi", ni de ses critiques de 1947 à la Théorie générale de l’emploi, de
l’intérêt et de la monnaie de J.M. Keynes. Quelle ne
fut pas ma surprise quand je fis apparaître une relation croissante
entre le taux de salaire réel et le taux de chômage pour la
période 1963-1974 qui en fournissait une vérification
(publiée dans Le Monde, 19 et 20-21 février 1976). Au départ
de la théorie de Rueff, il y avait la réglementation du
marché du travail qu’est l’assurance chômage
obligatoire publique.
Ce travail me fit me rendre compte de la gigantesque impasse des théories
économiques qui m’avaient été enseignées
jusqu’alors : leurs auteurs faisaient abstraction des règles de
droit et a fortiori
ne faisaient aucune distinction entre le droit et la loi.
De plus, il m’amena à m’interroger sur la méthode
de ces théories qui, à l’occasion,
n’hésitait pas à faire intervenir une variation de prix
ou de quantité dite "exogène" alors qu'en
vérité, en général, il s'agissait de la variation
de de la réglementation sous-jacente, pour déterminer,
algébriquement ou géométriquement, les effets
qu’elle provoquait. L’ouvrage de Keynes était exemplaire :
il parachutait l’action budgétaire de l’Etat et
déduisait l’efficacité de celle-là pour instaurer
le prétendu "plein emploi".
Le temps a passé et les êtres humains ont réduit un petit
peu leur ignorance de la réalité même si on peut douter
qu'il en a été de même des hommes de l'Etat. Des
théories économiques ont été abandonnées,
d’autres approfondies, des troisièmes présentant les
tares susdites sont dans l’impasse.
Force est de constater que le CPE est primo
une application de ces dernières. En tant que contrat de travail
réglementé supplémentaire, il montre qu’en
diversifiant ainsi la réglementation du marché du travail, le
législateur prétend contribuer à réduire le
"chômage des jeunes".
Il reste que le chômage est d’abord une question de durée
: durée que les jeunes mettent à trouver un premier travail
autant que durée de la transition entre un travail perdu et un autre.
Qu’est-ce qui est préférable ? Qu’une
économie ait a) 20 % de chômeurs sachant que la durée de
chômage moyenne est d’une semaine ou b) 1% de chômeurs avec
une durée moyenne de cinq ans ? Vraisemblablement, le chômeur
préférera a) et le politique b). Et on aura compris que,
secundo, le CPE parie sur la réduction de la durée qu’il
provoquera.
Mais la question de la durée du chômage ouvre sur celle du
"changement de travail". Qu’est-ce qui est
préférable entre a’) une économie à 20 % de
chômeurs où, en plus, l’employé change de travail
en moyenne tous les cinq ans et b’) une économie à 1% de
chômeurs où, en sus, l’employé ne change jamais de
travail ? Selon toute vraisemblance, la préférence du
travailleur, employé ou chômeur, ira à a’) (sauf
s’il aime la routine), celle du politique à b’).
Pour stigmatiser la situation a’) qui leur déplaît,
certains "politiques" feront valoir l’indigne
"flexibilité du contrat de travail" et parleront avec
répugnance de la "précarité" qu’elle induirait,
faisant implicitement allusion à une grande facilité de licenciement.
Mais ces mots laissent entendre que l’économie serait une
mécanique, ce qui est une erreur.
L'économie est une mutualité de services entre des êtres
humains non omniscients qui appliquent le droit car ils ont compris que ce
dernier contribuait à réduire l'ignorance dans quoi ils
menaient leurs actions.
Au coeur de ces services, il y a toujours les services innovateurs dont les
avantages profitent à tous et compensent les coûts de transition
qu’ils font supporter à certains dont les services sont
jugés dépassés - et coûteux - et ne sont plus
recherchés pour cette raison.
Encore faut-il que les services innovateurs ne soient pas enrayés par
des réglementations qui privilégient les services
dépassés au prétexte de protéger les
"avantages acquis" du petit nombre qui les fournit. Force est de
constater que, tertio, le CPE est muet sur la question.
Pour cette raison, ses thuriféraires devraient pour le moins douter de
l'efficacité "économique" qu'ils lui prêtent et
diriger leur esprit vers la seule solution heureuse : la libération du
contrat de travail entre l'employeur et l'employé.
En désenrayant le contrat de travail, elle désenrayera à
la fois le marché du travail et l'action du gouvernement, pour le bien
de tous.
Georges
Lane
Principes de science économique
Tous les articles
publiés par Georges Lane
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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