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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
La
Grèce devrait, au cours de la semaine qui vient, lancer un emprunt de
5 milliards d’euros sur les marchés. Le taux de
l’obligation grecque à 10 ans s’étant
détendu vendredi, à 6,193% contre 6,246% la veille, la question
est posée : quel taux va devoir être consenti à cette
occasion ? Cela va être sans tarder l’épreuve du feu pour
l’accord financier des 16 de la zone euro. Dans le cas ou cette annonce
ne serait qu’un ballon d’essai, l’objectif poursuivi par le
gouvernement grec serait le même: mettre au pied du mur ses partenaires
de la zone euro.
Les
rendements restant à un niveau proche, va-t-il alors être
considéré par les 15 autres pays membres de la zone euro que
ces conditions financières justifient (ou non) l’activation du
plan de soutien financier adopté en fin de semaine, afin que la
Grèce ne soit pas à nouveau dans l’obligation de faire
appel aux marchés ? L’ambiguïté qui a
présidé à l’accord de compromis à propos de
ce plan va devoir alors être levée, avant tout du côté
allemand, risquant de faire l’objet d’une bataille
d’interprétation sur le sens (dans le texte anglais) de
« insufficient market
financing » (conditions de
marchés insuffisantes)…
A
vrai dire, une autre divergence d’interprétation de
l’accord est immédiatement apparue, à peine
était-il signé, à l’occasion de la traduction par
l’anglais « governance »
du français « gouvernement » figurant dans le
texte de l’accord. Joliment qualifié par le président de
l’Union européenne, Herman Van Rompuy,
de « traduction asymétrique », cet écart
sémantique est lourd de conséquences quant à la
portée de ce qui a été par ailleurs qualifié,
plus modestement, de « coordination économique »
européenne.
Les
diplomates, comme chacun sait, sont plus à cheval sur les mots que sur
les principes, bien qu’ils se drapent volontiers dedans ! Les
politiques, eux, savent les solliciter afin de valoriser leur rôle et
revendiquer leurs victoires.
Comme il
était prévisible et pour confirmer qu’il n’y a pas
grand chose derrière ces mots, le sommet des chefs d’Etat a
bâclé sa copie sur le sujet qui avait justifié sa
convocation : la « stratégie 2020 », selon
l’étiquette qui a été collée sur cinq objectifs
à atteindre à cette échéance. Si trois
d’entre eux ont été formellement adoptés –
un niveau d’investissement en recherche et développement, un
taux minimum d’emploi des 20-64 ans et une réduction des
émissions de gaz à effet de serre – un accord n’a
pas pu être trouvé sur les deux autres, en matière de
pauvreté et d’éducation.
Avant
de discuter de la pertinence et de la crédibilité des objectifs
retenus, on peut se demander si la démarche péniblement
engagée est à la hauteur de la crise que nous connaissons et si
l’exercice n’est pas par trop formel. Se fixer des objectifs
à dix ans est pour le moins présomptueux et vain alors que
l’Union européenne risque de replonger dans la récession.
Ce
ne sont pas les prévisions britanniques qui peuvent à cet
égard inciter à l’optimisme et accréditer
l’idée que les objectifs adoptés sont crédibles,
pas plus que l’on été ceux de la précédente
« stratégie de Lisbonne », adoptée en
2000 et dont les objectifs n’ont pas été accomplis. En
pleine campagne électorale, Alistair Darling, le chancelier
britannique, vient d’annoncer une croissance de 1 à 1,5% du PIB
pour 2010, qui bondirait à 3 à 3,5% en 2011. Son optimisme de
circonstance a été immédiatement tempéré
par son propre secrétaire d’Etat au commerce, Mervyn Davies, qui
a refusé d’exclure un retour temporaire à la
récession et a insisté sur le fait que la croissance ne serait
pas « forcément en ligne droite ». Alistair
Darling reconnaissant que des « secousses »
étaient inévitables.
En
attendant que ces prévisions se réalisent ou non, de nombreuses
voix se sont déjà élevées afin de conjurer la
crainte d’une contagion de la crise grecque au sein de la zone euro.
Jean-Claude Juncker, chef de file de l’eurogroup,
a déclaré en sortie du sommet que « Il n’y a
pas de pays qui soit dans une situation comparable à celle de la
Grèce ». Il avait été
précédé, dès jeudi soir, par Herman Van Rompuy, qui avait estimé que les situations de la
Grèce et du Portugal n’étaient « pas
comparables du tout ».
Il
est clair qu’en rester là serait souhaitable, non seulement pour
les pays qui pourraient faire les frais de cette contagion, mais pour les
artisans d’un compromis politique qui aurait toutes les chances de
voler en éclats, bien que présenté comme étant un
mécanisme durable de solution de la crise de la zone euro. Il suffit, à
cet égard, de faire les additions des besoins de financement des pays
qui pourraient demander à en profiter pour reconnaître
qu’elles ne seraient pas dans les moyens des Etats supposés
accorder des aides bilatérales (et devant pour ce faire emprunter sur
les marchés).
La
participation du FMI, limitée à un tiers maximum dans
l’état actuel des choses, devrait alors nécessairement
croître en proportion. Pouvant même placer celui-ci dans une
situation difficile, en dépit des ressources dont il dispose. Aboutissant
à son intervention en lieu et place des organismes européens et
au constat que la zone euro est dans l’incapacité de
gérer la situation par elle-même. C’est d’ailleurs
ce scénario qui a amené Jean-Claude Trichet à
s’opposer en vain à la présence du FMI dans le
dispositif, mais il a du capituler en rase campagne devant
l’intransigeance allemande, après que ses propos ont fait subir
à l’euro une sérieuse secousse sur les marchés.
Un
autre aspect de l’accord, pour l’instant un peu
négligé, ne va pas tarder à réapparaître :
les Allemands ont la claire intention d’engager une
renégociation des traités européens, afin de
créer des mécanismes de contrainte et de sanction en vue
d’obtenir le respect des termes et paramètres du Plan de
stabilité. Dans cette perspective, ils ont déjà pris la
peine de formuler un projet, celui d’un fonds monétaire
européen. Sans attendre, ils avancent sur un autre de leurs
projets, celui de la taxation des banques, entendant l’adopter pour
l’Allemagne et proposant qu’il soit repris au sein de
l’Union européenne. Ils tirent, cherchant à utiliser les
leviers à leur portée, les leçons de la campagne
avortée qu’ils ont initiée en faveur de
l’interdiction des CDS « nus », et qui
s’est déjà enlisée à Washington dans les
méandres des discussions sur la régulation des produits
dérivés.
On
ne va pas non plus tarder à reparler de la possibilité
d’exclure un pays de la zone euro, en dépit de ce qu’en
pensent Jean-Claude Trichet ou Jean-Claude Junker, tous deux d’accord
pour en juger l’éventualité
« absurde »…
Il
y a de ce point de vue une indéniable logique dans la position
allemande, qui fait contraste avec la défense intransigeante des
intérêts de la City par le gouvernement britannique et le
silence radio des Français sur les sujets de la régulation
financière, dès que l’on n’en reste pas aux effets
de manche. Peut-être est-ce à mettre en relation avec
l’état de son secteur bancaire, dont l’OCDE vient de
souligner sans plus de précautions l’état alarmant,
préconisant l’organisation de nouveaux « stress
tests » de celui-ci. Ce qui n’exonérerait pas, si
l’on suivait cette analyse, les banques françaises de turpitudes
de même nature (si ce n’est de la même ampleur),
qu’elles ont simplement su mieux masquer avec l’aval du
gouvernement.
La
décision de la BCE de prolonger l’assouplissement de ses
règles quant à la qualité des titres acceptés en
garantie des banques, en contrepartie de leur refinancement, a finalement
été soulignée. Mais elle a été
interprétée d’une manière restrictive, comme un
soutien apporté aux banques et au gouvernement grec. Ce qui est
effectivement le cas, sans toutefois oublier que cette mesure joue pour
toutes les banques de la zone euro, les incitant non seulement à
acheter des obligations grecques (puisqu’elles peuvent les donner sans
crainte que leur notation soit abaissée en garantie à la BCE),
mais leur permettant également de laisser en dépôt les
gros paquets de titres de la dette souveraine qu’elles y ont
déjà placé, alors qu’elles auraient étaient
obligées de les récupérer. Les banques françaises
et allemandes sont dans ce domaine en première ligne. Par ailleurs,
ces mêmes banques, notamment les Landesbank allemandes (les puissantes
banques dépendant des Länder), en très piteux état
et qui se refusent à utiliser les facilités de
défaisance (bad banks)
proposées par le gouvernement, n’en ont pas été
nécessairement mécontentes de pouvoir continuer de donner en
garantie des fonds de tiroir.
Cette
bonne manière de la BCE n’aura donc pas été
entendue comme son auteur l’espérait. La semaine à venir
risque sans plus tarder de mettre à rude épreuve le compromis
boiteux qui a été passé. La Grèce reste un cas
test exemplaire, bien plus qu’il n’avait pu l’être
imaginé.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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