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L’ère des remèdes contre nature

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Paul Jorion.
Published : May 06th, 2010
1978 words - Reading time : 4 - 7 minutes
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Une très relative accalmie est intervenue hier, succédant à la journée folle de mardi, pendant laquelle la crise européenne s’est emballée. Mercredi donc, les ténors de la politique européenne se sont succédés à des tribunes de circonstance pour tenter de calmer un jeu qui leur échappait des doigts, afin d’assurer les yeux dans les yeux que le Portugal et l’Espagne n’étaient pas la Grèce – comme s’il s’agissait de cela ! -, qu’il n’y avait rien à craindre de ce côté-là, qu’aucune nouvelle attaque n’était à redouter. Comme s’il fallait conjurer le mauvais sort et opposer le faible rempart de certitudes de façade à une crise qui continuait de gronder. Dans l’attente d’une nouvelle réplique qui ne saurait manquer.

Les marchés manifestaient pourtant leur mécontentement. Sur les places boursières, les valeurs financières continuaient d’entraîner les indices dans leur chute, sans trop faire de détail entre les banques et leurs exposition à la Grèce. Certes, le marché obligataire se détendait, mais si lentement. Tandis que l’agence Moody’s annonçait que la note du Portugal allait être révisée, à la baisse de plusieurs crans, n’augurant rien de bon de ce côté.

En réalité, tout le monde s’efforçait de soupeser la dynamique de la crise européenne, à l’aune de ses manifestations. D’un côté les signaux précurseurs d’une nouvelle offensive en direction d’un Etat, l’Espagne semblant être la cible sans que les marchés ne s’attardent sur le Portugal, position trop petite qui tombera dans la foulée. De l’autre l’édifice chancelant du système bancaire européen, qui vient d’être découvert coupable du délit de consanguinité avec la dette publique de la zone euro. Enfin, dans les rues d’Athènes, la Grèce hier secouée par les premières manifestations tragiques d’une protestation qui s’annonce déterminée, qui reprend aujourd’hui en menaçant de se développer.

En ce jour d’élections britanniques, sans connaître leur résultat, le cours de la livre sterling donne à son tour des signes de fléchissement prononcé, après avoir déjà perdu 25% de sa valeur dans cette crise. La contagion ne concerne pas uniquement la zone euro. L’Espagne levait 2,345 milliards d’euros en obligations à cinq ans, à un taux moyen de 3,532%, nettement plus élevé que les 2,81% de la précédente émission de mars, et s’estimait heureuse d’y être parvenue sans plus de dégâts. Les Portugais avaient fait de même hier, levant 500 millions d’euros mais à un taux multiplié par quatre. L’euro continuait de plonger, alors que les taux obligataires des pays de la liste noire montaient.

C’était sans doute ailleurs qu’il fallait chercher l’information la plus importante à cet égard. Faisant écho aux innombrables analyses qui fleurissent, symbolisées par le coup de gueule de Daniel Cohn-Bendit (« Vous êtes fous ! », a-t-il apostrophé les édiles européens depuis le Parlement), mettant en doute que le gouvernement Grec puisse tenir sa feuille de route, jugeant une restructuration de sa dette inévitable, au plus tard quand il lui faudra revenir sur le marché.

Reprenant une idée lancée en début d’année par Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, Axel Weber, président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, relançait hier l’idée d’une procédure codifiée d’insolvabilité des Etats, impliquant une restructuration de leur dette avec abandon de créances en cas de crise. Une manière dans son esprit de responsabiliser non pas directement les Etats mais les marchés, qui auraient plus à perdre, et de leur faire jouer avec davantage de détermination leur rôle de gendarme des premiers.

L’affaire était présentée à l’appui de la politique défendue par le gouvernement allemand, arc-bouté sur sa ligne de défense totalement enfoncée du pacte de stabilité. Mais elle est aussi l’expression de l’une des dynamiques et issues de la crise actuelle; l’une des réponses possibles à la constatation qui se fait graduellement jour : il n’est pas réaliste d’espérer résorber la dette publique européenne sans croissance et avec le seul levier de mesures d’austérités, alors que les marchés jouent les trouble-fêtes.

Une grosse difficulté survient immédiatement, l’hypothèse d’une restructuration de la dette publique européenne soulevée. Quid des banques, qui en seraient les premières victimes ? Pourraient-elles et dans quelles conditions soutenir le choc ? Car celles-ci font actuellement l’objet de toutes les discrètes attentions, après avoir manifesté une fragilité inattendue. Bien qu’elles continuent – pour les plus importantes d’entre d’elles – à afficher depuis ce matin des résultats mirobolants pour ce premier trimestre, elles se résolvent à avouer du bout des lèvres des expositions au risque grec plus importantes qu’annoncées.

Or, le risque de contrepartie est brusquement de retour en force en Europe, comme aux plus beaux jours de la chute de Lehman Brothers. Se défiant les unes des autres – ce qui en dit long sur la crédibilité qu’elles accordent à leurs déclarations réciproques quant à leur exposition grecque – mêmes les plus grandes banques européennes doivent en ce moment subir des taux d’intérêts en flèche, tandis que les plus faibles sont pratiquement coupées du marché. Signe de ces tensions, rappelant la situation de 2008, l’essentiel du marché interbancaire est concentré sur des prêts « overnight » (afin de passer la nuit au calme).

Cet aspect de la crise, bien que relégué au second rang de l’actualité, n’en est pas moins particulièrement préoccupant, imposant aux ministres des finances de monter au créneau pour négocier avec les banques, sans que l’on connaisse les contreparties proposées ou les engagements pris, afin qu’elles conservent leurs lignes de crédit grecques. La BCE accueille désormais en pension sans discrimination la dette grecque, ce qui revient à indirectement la financer. Certains se demandent, en dépit des bonnes intentions proclamées, si certaines banques n’auraient pas déjà tenté de diminuer leur exposition, en raison de la détérioration de leur évaluation sur le marché des CDS. Une manière de se défausser mais aggravant la crise de la dette publique.

Tout ceci met en évidence qu’une faillite organisée d’un ou de plusieurs Etats déséquilibrerait à nouveau un système bancaire dont la bonne santé affichée continue d’être trompeuse. Alors qu’il est déjà sous la menace de devoir progressivement renforcer ses fonds propres, et qu’il en négocie pied à pied avec le Comité de Bâle les modalités et le calendrier. Il n’y a pas matière à panique dans l’immédiat, mais le mécanisme d’une crise aiguë est enclenché. Ce jeudi matin, Moody’s s’est inquiété de la situation des banques de plusieurs pays, débordant le cadre de la zone euro, puisqu’il s’agit de l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, du Portugal et du Royaume-Uni.

Les bulles financières publiques et privées, décidément, continuent de s’alimenter mutuellement. C’est la raison pour laquelle une solution ultime, une arme atomique disent ceux qui commencent à évoquer la nécessité de son emploi, commence à être préconisée : l’achat de la dette publique européenne, rompant un tabou devenu un luxe que l’on ne peut plus se permettre.

Tout honte bue, la BCE a déjà du faire volte-face, ainsi que manger son chapeau. Dans le premier cas, en revenant sur sa décision de restreindre les conditions dans lesquelles elle acceptait de prendre des titres en pension, pour au contraire commencer à les élargir, faisant déjà de la dette grecque un cas à part. Dans le second, en ne pouvant s’opposer à l’intervention du FMI sur sa chasse gardée. Ce n’est que le début d’un cheminement, prédisent des analystes, qui la mène irrésistiblement à Canossa.

Sur la pente qu’elle a commencé à emprunter, débordant de sa mission de lutte contre l’inflation pour apporter son soutien à la réduction de la dette publique, la BCE a les moyens d’une riposte graduée aux atteintes des marchés. Elle peut d’abord conforter davantage les banques en abaissant son taux, toujours à 1%, ou en élargissant à la dette d’autres pays les mesures d’accueil prises en faveur des titres grecs. Au final, la logique de la crise serait qu’elle engage une politique de création monétaire, à l’instar de toutes ses éminentes collègues occidentales – américaine, britannique et japonaise – qui jouent ainsi pleinement leur rôle de prêteur en dernier ressort. La réunion de la BCE à Lisbonne, aujourd’hui jeudi, n’est à cet égard qu’un tour de chauffe. Les portes ne seront pas nécessairement ouvertes, mais il va être significatif qu’elles ne seront pas fermées.

Les discours prononcés depuis deux jours mettent désormais l’accent pour tous les pays européens, quel que soit le nom qui lui est donné, sur la rigueur et les coupes budgétaires. La Grèce peut enfin être invoquée à la fois comme un exemple et un repoussoir. Mais les mains qui tiennent ses cartes là ne sont pas assurées au moment de les poser sur la table, d’autant qu’il va falloir le faire simultanément dans toute l’Europe et qu’une contagion est également à craindre de ce côté-là.

Devant tant d’inconnues, au moins une question n’a plus besoin d’être posée. Le calendrier de retour aux normes du pacte de stabilité n’est ni pour demain, ni pour après-demain ; il n’est donc plus nécessaire de se demander quand il va falloir en renégocier les termes, mais plus simplement quand son caractère caduc va être publiquement reconnu. Un véritable déchirement pour l’équipe allemande, car il impliquera que soient engagées non pas des mesures institutionnelles – ce péché mignon de la coopération européenne – mais une réflexion d’ensemble avec ses collègues sur la politique économique de la région. Le titre d’une future chronique à ce propos est tout trouvé : « A la recherche de la croissance perdue ». En attendant, la réunion de demain des chefs d’Etat et de gouvernement ne devrait être l’occasion que de nouvelles gesticulations et coups de menton à la tribune. Il est trop tôt, ces gens-là Monsieur ne savent désormais réagir que forcés et contraints, obligés de prendre désormais des décisions qu’ils considèrent comme contre-nature. Ils vont encore une fois envoyer des signaux, il faudrait des mesures.

A ce propos, ils devraient se remémorer la petite musique qu’a commencé à fredonner le FMI, et qui est désormais entrée dans la maison. Elle s’écrit sur deux portées : l’idée qu’un taux d’inflation plus élevé est envisageable (ce qui revient à préconiser une politique de relance budgétaire) et son corollaire pour soutenir la dépense publique et dégonfler la bulle de la dette, en proposant de financer au niveau du FMI celles-ci grâce à l’émission d’une nouvelle monnaie mondiale.

Nous ne sommes pas encore au bancor, mais cela y mène tout droit. Même si le chemin qui y conduit va être parcouru en zig-zag. En effet, comment pourrions-nous nous étonner qu’une approche monétaire de la crise surgisse prochainement dans ce monde qui ne jure que par ce type de solution ? Abordant enfin cette clé de voûte qu’est le système monétaire international, à bout de souffle après avoir servi sans interruption dans sa configuration actuelle depuis sa formalisation par les accords de la Jamaïque de 1976. C’est la seule manière de colmater le grand déséquilibre de la dette entre pays développés et pays émergents, tant que l’on ne se résout pas à aborder l’encore plus ambitieux dossier de la répartition inégale de la richesse, qui n’a fait que parallèlement s’accentuer des deux côtés à la faveur de la mondialisation.

Demain sera un autre jour.





Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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