On le lit, de moins en moins discrètement : la révolution robotique a commencé. Et alors même que seules ses prémices sont pour le moment en place, comme pour toutes les révolutions, certains se réjouissent de ce qui arrivent pendant que bien plus nombreux sont les autres qui redoutent ce que les prochaines années leur réservent.
Il faut dire que, sur le papier, cette « révolution robotique », ou « robolution » comme on le lit parfois, promet le meilleur et le pire dans un mélange forcément détonant. Pour le meilleur, il est facile à lister : les robots, capables d’une plus grande autonomie et d’une meilleure compréhension du monde qui les entoure, des interactions avec les humains qui les auront conçus et du contexte dans lequel ils doivent s’inscrire, résoudront des problèmes tous les jours plus complexes et permettront à un nombre croissant d’individus de s’affranchir des limites que la vie leur impose, que ce soit par handicap, par vieillissement, ou simplement, parce que ce sera possible.
Il est facile d’imaginer que l’arrivée de robots toujours plus autonomes permettra de donner ou redonner plus de liberté aux personnes qui en manquent cruellement. Que ce soit l’extraordinaire bénéfice de plus grandes plages de temps libre en voiture (pour lire, travailler ou simplement dormir), que ce soit au travers d’une autonomie personnelle retrouvée pour ceux qui ne pouvaient pas, jusqu’à présent, se déplacer librement, que ce soit dans la myriade de tâches quotidiennes ardues, musculaires ou bêtement répétitives qui pourront progressivement être déléguées à des robots, on comprend très bien ce que l’arrivée massive de robots dans notre vie quotidienne peut apporter comme confort. Ici, on raisonne en fait par simple extension de la révolution industrielle qui a déjà eu lieu, et qui a affranchi l’homme des travaux les plus pénibles : ce qu’on a vu pour les champs ou pour les chaînes de montage, on comprend rapidement que la « robolution » peut l’apporter pour toutes les tâches quotidiennes.
Cette évolution est déjà en marche et concernera ces tâches fastidieuses que les humains ne peuvent pas faire mais qui sont simples pour des machines, ainsi que toutes ces tâches qu’un humain continue de faire actuellement tant que le coût d’un robot est supérieur à son emploi.
Cependant, ces réjouissantes pensées sont, assez rapidement, assombries de celles, parfaitement logiques, relatives aux emplois correspondants à ces tâches dont les robots vont se charger. En substance, puisque tous ces emplois seront remplacés par des robots, on doit s’attendre à ce que cette « robolution » se transforme rapidement en explosion du chômage de masse, en particulier dans les pays qui se seront totalement investis dans la robotisation complète de leur société.
Je pourrai, ici, rassurer un peu le lecteur attentif (et bien marri de sentir une page se tourner) en notant que tout ne va pas se passer d’un coup. De la même façon que la révolution industrielle a progressivement retiré les individus des campagnes pour les déplacer en ville et y créer plus d’emplois qu’il n’y en avait jamais eu dans ces campagnes maintenant dépeuplées, de la même façon cette « robolution » va aussi déplacer l’emploi d’une strate économique vers une autre. L’humain cherchant d’abord le contact d’autres humains, on peut raisonnablement s’attendre à un déplacement et un accroissement des emplois de service et des postes qui nécessiteront de former une interface humaine pour d’autres humains.
Mais, on le comprend, cette réponse n’est que partielle. Si, sur le court terme, cette tendance, déjà engagée, permettra de créer de nombreux emplois là où d’autres disparaîtront, remplacés par les robots, sur le long terme en revanche, on comprend bien que même ces interfaces humaines pourront être progressivement émulées par des machines (standards téléphoniques, points de ventes divers et variés, etc…). On estime ainsi que d’ici à la fin de ce siècle, et, plus probablement avant même les années 2050, 70% des occupations actuelles seront remplacées par des mécanismes plus ou moins autonomes.
En fait, même les jobs qui font le plus appel aux spécificités humaines seront, un jour, remplacés ou au moins remplaçables par des algorithmes, des automates de plus en plus intelligents. Et ceci arrivera bien plus vite qu’on ne le pense, notamment parce qu’on attend encore de la part de ces nouvelles intelligences qu’elles se comportent comme notre seul point de référence, nous-même (ce qui revient en gros à vouloir voler en mimant autant que possible le battement des ailes d’un oiseau). En pratique, on voit déjà se développer des robots dont l’interface permet d’interagir avec les humains pour s’adapter à eux ; l’exemple qui vient le plus vite en tête est celui de Baxter dont la programmation se fait par l’exemple.
Et les prédictions que font les chercheurs les plus en pointe dans l’intelligence artificielle, les nanotechnologies et la robotique dressent un tableau à la fois intéressant et sans grande ambiguïté sur ce qui va arriver : dans les années 2020, outre des voitures autonomes, on peut ainsi s’attendre à ce que de nombreuses maladies disparaissent complètement par l’usage de nano-robots médicaux ; à la fin des années 30, il est assez probable qu’on soit en mesure de s’interfacer complètement avec des ordinateurs, et de disposer d’une réalité virtuelle indistinguable de la réalité. Tout indique que, loi de Moore aidant, d’ici 2045, les intelligences non-biologiques auront une capacité de calcul et d’abstraction au moins un million de fois supérieure à l’intelligence biologique.
Sapristi ! À cette aune, même les emplois les plus spécifiquement humains seront touchés, et dans quelques dizaines d’année tout au plus ! En fait, les intelligences artificielles et les robots seront tellement meilleurs et moins chers que les humains pour tout que l’économie humaine et l’humanité telle qu’on la connait va disparaître ! Catastrophe !
Eh bien non, pour deux raisons.
D’une part, comme le souligne à raison Faré dans un copieux article, cet argument est logiquement faux : on ne peut pas avoir en même temps des robots meilleurs en tout, et de l’autre, une relation (commerciale, affective, psychologique, que sais-je) humaine dont la valeur serait supérieure à celle offerte par ces robots, et qui ne les rendrait donc, de fait, pas meilleurs en tout.
D’autre part, l’augmentation rapide des capacités des ordinateurs et des robots aura inévitablement un impact sur nous-mêmes. Petit-à-petit mais de plus en plus rapidement, les humains choisiront d’incorporer, directement en eux-mêmes, les évolutions techniques et technologiques que cette révolution apportera. Cela a déjà commencé, doucement : on ne compte plus les prothèses qu’un humain peut avoir, et les expériences se multiplient où l’on remplace des parties du corps humain par des équipements de plus en plus sophistiqués.
Alors oui, l’énorme majorité des jobs que nous connaissons maintenant ne sera probablement plus là dans 30 ou 40 ans. Mais cela ne signifie pas que nous serons tous pauvres et au chômage, au contraire. Et si nous ne voyons pas tous déjà les bénéfices de cette révolution en marche, peut-être devons-nous en chercher la cause dans les puissants freins que nous avons tous mis en place dans l’organisation même de notre société, et que Fred Wauters, dans un récent billet que je vous invite à lire ici, liste fort bien.
Oui, selon toute probabilité, votre job sera pris, un jour, par un robot. Mais non, cela ne signera pas l’arrêt de mort de l’humanité, ni même la pauvreté et la misère pour tous. Au contraire et vous y trouverez plus que votre compte.
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