‘La Grèce
n’est pas une exception. Elle est l’une des principales terres
d’expérimentation d’un nouveau modèle
socio-économique à l’application potentiellement illimitée :
un modèle technocrate dépolitisé au sein duquel les
banquiers et autres experts sont autorisés à démolir la
démocratie’.
Slavoj
Žižek
‘La corruption
pourrait être représentée par un grand arbre aux branches
immensément longues et s’étendant dans toutes les
directions, sur lesquelles la rosée se dépose puis glisse au
sol, infectant sans exception tous les sièges et fauteuils
d’autorité’.
Beaumont et Fletcher,
la Fortune de l’Homme Honnête
Slavoj Žižek,
dans une récente édition du London Review
of Books, offre une perspective fascinante à la situation
financière Européenne. Son écrit ressemble, dans une
certaine mesure, à la variante d’un ancien script dans lequel
les termes ‘balle’ et ‘troupes’ auraient
été remplacés par ‘dollar’ et
‘banquiers’.
Observer le rôle de Goldman Sachs
et de certaines autres banques, ainsi que de leurs associés politiques
qui pour beaucoup ne sont désormais plus que leurs propres
représentants sur le théâtre qu’est celui de
l’érosion de l’Europe, est une chose pour le moins
fascinante. C’est un peu comme regarder un train se renverser, mais au
ralenti.
Ceux tirant quelque
intérêt financier de la situation Européenne mettent en
avant leurs propres agendas et candidats dans le même temps
qu’ils maintiennent leur discours en faveur d’un gouvernement
populaire. Ils marchent au rythme de l’opportunisme financier et de la loi oligarchique
ayant permis de répandre le culte du surhomme depuis le début
du XXe siècle.
Le contre-exemple à tout cela
est l’Islande, ayant choisi d’agir différemment envers les
banques en confrontant le capitalisme de copinage et la trappe de la dette
plutôt qu’en s’y accommodant.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne
s’en tirent un peu mieux que l’Europe, ayant tous deux
établi un équilibre politique temporaire au sein duquel ceux
tirant un intérêt financier de la situation continuent de
consolider leurs gains. De quelle autre manière pourrions-nous
expliquer le manque actuel de poursuites pour fraude financière, la
constante stagnation de leurs économies nationales sous le poids du
capitalisme de copinage, et les incessantes réductions de taxes pour
les plus riches ? La liberté des citoyens continue d’y
être bafouée en le nom de la guerre contre le terrorisme.
Viendra un jour où les citoyens
se soulèveront, et où les banques seront forcées de leur
faire une proposition qu’elles penseront irrésistible.
C’est ce qu’il se passe actuellement en Grèce, et se
rapproche lentement de chez vous.
London Review of Books
Save us from the saviours
Par Slavoj Žižek
25 Mai 2012
Imaginez
la scène d’un film dystopique
dépeignant notre société dans un futur proche. Des soldats en uniforme patrouillant
de nuits des rues de centre-ville à moitié vides, à la
chasse aux immigrants, aux criminels et aux sans-abris. Ceux qu’ils
trouvent sur leur passage sont immédiatement brutalisés. Ce qui
pourrait paraître comme étant une scène Hollywoodienne
n’est autre que ce qu’il se passe actuellement en Grèce.
La nuit, des vigiles en vêtements noirs appartement au mouvement néo-fasciste
Aube Dorée – ayant récolté 7% des voix lors des
récentes élections, et a obtenu le soutien de plus de la
moitié des officiers de police de la ville d’Athènes
– ont pris pour habitude de patrouiller les rues de la capitale et de
martyriser les étrangers qu’ils trouvent sur leur passage :
Afghans, Pakistanais, Algériens… C’est ainsi que
s’organise la défense de l’Europe, en cet
été 2012…
Les
annonciateurs de l’apocalypse ont raison, mais pas dans le sens
où ils l’espèreraient. Ceux qui critiquent nos
arrangements démocratiques actuels se plaignent du fait que les
élections n’offrent aujourd’hui plus de choix à
proprement parler : tout ce qu’il nous reste n’est autre
qu’un choix entre des partis de centre-droite et centre-gauche dont les
programmes sont quasiment indiscernables. Le 17 juin prochain, les Grecs se
verront offrir un vrai choix : la nouvelle démocratie et le
mouvement socialiste panhellénique d’un côté, et la
gauche radicale de l’autre.
Et,
comme c’est généralement le cas lorsqu’un choix
à proprement parler vient à s’offrir, la panique
règne : si le choix pris par les citoyens ne s’avère
pas être le bon, chaos, pauvreté et violence s’en
suivront. La simple possibilité de la victoire de la gauche radicale
installe un climat de terreur sur les marchés.
L’idéologie de la prosopopée a connu ses heures de
gloire : les marchés s’expriment comme s’ils
étaient de réelles personnes, font part de leur
‘inquiétude’ au vu de l’éventualité
que les Grecs manquent à élire un gouvernement désireux
de maintenir sa relation avec l’Union Européenne et le FMI et
son programme d’austérité fiscale et de réformes
structurelles actuellement en vigueur.
Les
citoyens Grecs n’ont pas le temps de s’inquiéter de tout
cela : ils ont suffisamment de quoi s’inquiéter pour leur
niveau de vie, se dégradant de jour en jour et atteignant
aujourd’hui des niveaux n’ayant pas été
rencontrés en Europe depuis plusieurs décennies…
Voici
le paradoxe qui permette aujourd’hui au maintien du droit de vote dans
les sociétés démocratiques : une personne est libre
de choisir, à la condition qu’elle fasse le bon choix.
C’est pourquoi, lorsqu’une mauvaise décision est prise
(comme ce fut le cas lorsque l’Irlande rejeta la constitution Européenne),
cette dernière est considérée comme étant une
erreur, et qu’un nouveau ‘processus démocratique’
est mis en place afin de pouvoir corriger cette mauvaise décision.
C’est ce qu’il s’est produit à la fin de
l’année 2011 lorsque George Papandreou, alors premier ministre,
proposait un référendum au sujet du plan de sauvetage de la
Grèce. Le référendum fut rejeté, ayant
été jugé comme étant un ‘mauvais
choix’.
Il
existe dans les médias deux versions différentes de
l’histoire de la crise Grecque : la version
Germano-Européenne (les Grecs sont irresponsables, fainéants,
dépensent trop et tirent aujourd’hui des leçons de leur
indiscipline financière), et la version Grecque (la
souveraineté nationale de la Grèce est menacée par la
technocratie libérale imposée par Bruxelles).
Lorsqu’il
devint impossible de continuer d’ignorer la situation Grecque, une
troisième version de l’affaire commença à
émerger, présentant les Grecs comme étant des victimes
humanitaires dans le besoin, comme si une guerre ou une catastrophe naturelle
avait frappé leur pays. Bien que les trois versions de
l’histoire soient fausses, cette dernière est de loin la plus
révoltante. Les Grecs sont loin d’être des victimes
passives : ils sont en guerre contre l’établissement
économique Européen, et ce dont ils ont besoin est de notre
solidarité, parce que leurs problèmes sont également les
nôtres.
‘La Grèce
n’est pas une exception. Elle est l’une des terres
d’expérimentation d’un nouveau modèle
socio-économique à l’application potentiellement
illimitée : un modèle technocrate dépolitisé
au sein duquel les banquiers et autres experts sont autorisés à
démolir la démocratie’.
En
sauvant la Grèce de ce qui se font appeler
ses sauveurs, nous pourrons également sauver l’Europe.
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