A
chaque fois que j’aborde le sujet de l’étalon or,
quelqu’un se lève et demande ‘Mais qu’en est-il de
la Grande Dépression ?’ – comme s’il
s’agissait d’une remarque plaçant toute réponse
possible de ma part en position d’échec et mat.
Mais
alors qu’en est-il de la Grande Dépression ?
Durant
la Grande Dépression, la pensée conventionnelle Classique,
selon laquelle la qualité première d’une monnaie doit
être sa stabilité de valeur, commença à
dériver vers un modèle Mercantiliste définissant quant
à lui la monnaie comme pouvant être manipulée afin
d’influencer l’économie sur le court terme.
A
l’époque, le souci économique premier était le
chômage. Les gouvernements ont donc cherché à contrer ce
problème par le biais de la manipulation monétaire. Dit comme
ça, il est clair que cette décision peut paraître assez
bête.
Il
est important de noter qu’il s’agissait alors en quelque sorte
d’un courant politique. De part et d’autre du monde, les
gouvernements avaient adopté une politique de dévaluation de
leur devise bien avant que Keynes ne publie son ouvrage ‘Théorie
générale de l’emploi, de l’intérêt et
de la monnaie’ en 1936. Le titre même de cet ouvrage indique clairement
comment Keynes pense pouvoir régler le problème du
chômage, ce qui n’est pas plus mal, étant donné
l’illisibilité de son contenu.
A
dire vrai, les gouvernements commencèrent
dès 1934 à en avoir assez de leur petit jeu de
dévaluation protectionniste. A partir de cette date, et jusqu’en
1971, les Etats-Unis fixèrent le prix de l’or à 35
dollars par once.
A
l’époque, les gens ne pensaient pas que l’étalon or
puisse avoir été à l’origine de la Grande
Dépression. Tout ce que voulaient les gouvernements,
c’était de pouvoir dévaluer leur devise à leur
guise, et l’étalon or les en empêchait.
L’idée
que l’étalon or puisse avoir entraîné la Grande
Dépression fit son apparition dans les années 1960. De mon humble
avis, il ne s’agissait alors que d’une attaque lancée
à la Réserve Fédérale. N’oublions pas que
la Fed, depuis sa création en 1913, a toujours été
impopulaire auprès des cercles libertaires. Les choses
n’étaient donc pas si compliquées que cela : puisque
les gens n’aimaient pas la Fed, ils lui firent porter le chapeau de la
Grande Dépression. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire
d’aller chercher plus loin que ça.
La
Fed ne faisait alors rien de plus que ce pour quoi elle avait
été créée, c’est-à-dire servir en
tant que ‘prêteur de dernier recours’. Il suffit pour
s’en rendre compte d’observer la stabilité et le niveau
très bas des taux de prêts interbancaires sur la période.
J’ai
par le passé étudié dans les moindres détails les
années 1914 à 1930, sans jamais avoir découvert quoi que
ce soit de significatif. A cette époque, les devises étaient
liées à l’or. Ainsi, l’étalon or
n’aurait pu causer la Grande Dépression autrement que par une
fluctuation brutale et soudaine du prix de l’or – un
phénomène jusqu’alors sans précédent
–, fluctuation qui aurait également dû passer
inaperçue du grand public.
Par
quoi aurait donc bien pu être causée la Grande
Dépression ? Certaines personnes ont tenté d’en
faire porter le chapeau à la France, ce qui me paraît pour le
moins risible. La France n’a jamais commis quoi que ce soit de bien
dramatique en ce sens. S’il est une chose que j’ai pu remarquer,
c’est que personne ne semble porter quelque attention que ce soit aux
données relatives à la période, bien qu’elles soient
disponibles gratuitement sur la base de données FRASER de la banque
fédérale de Saint Louis.
Il
est des choses que nous savons au sujet de la Grande Dépression. Nous
savons par exemple qu’une guerre commerciale de très grande
ampleur éclata à l’époque en représailles
à la loi Smooth-Hawley,
et eut des retombées catastrophiques. La loi Smooth-Hawley imposait l’augmentation des droits de douane
de plus de 20.000 produits, et une taxe d’importation de 60% sur 3.200
produits dont la plupart n’étaient même pas
manufacturés aux Etats-Unis. Cette loi aurait été
capable à elle seule d’entraîner la Grande
Dépression.
Au
début de la récession, alors que les recettes gouvernementales
diminuaient et que la demande en services publics et en aides sociales
augmentait, les taxes furent réhaussées
dans de très nombreux pays du globe, tout particulièrement en
Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis (la France et le Japon
s’étant montrés bien moins agressifs).
Aux
Etats-Unis, la première augmentation de taxes eut lieu en 1932. Le
taux d’imposition sur le revenu des plus riches passa de 25% à
63%, et les impôts indirects explosèrent. En Grande-Bretagne et
en Allemagne, la même chose se produisit entre les années 1930
et 1933. Ne trouvez-vous pas que cela ressemble, à une plus grande
échelle, aux plans d’austérité actuellement mis en
place en Europe ? De la même manière que de telles mesures
n’ont pas fonctionné à l’époque, elles ne
fonctionneront pas aujourd’hui.
A
mesure que les taxes augmentaient, le taux de chômage continuait de
gagner du terrain (de la même manière qu’il le fait
aujourd’hui en Grèce et en Espagne en réponse aux mesures
d’austérité). Les gouvernements prirent donc la
décision de dernier recours de dévaluer leur devise respective.
En Allemagne, cette dévaluation fut entamée en pleine panique
bancaire, et fut plus un accident qu’autre chose. La Grande-Bretagne
commença à dévaluer sa devise en septembre 1931, suivie
par le Japon en décembre 1931. Les Etats-Unis suivirent
l’exemple en 1933, ainsi que la France en 1936.
Vous
pouvez certainement vous imaginer quels furent les effets de ces
dévaluations. L’industrie devint plus compétitive, et le
remboursement des dettes fut facilité par l’utilisation
d’une devise dévaluée. Les économies des gouvernements
dévaluant leurs devises semblèrent se rétablir quelque
peu, dans le même temps que leur taux de chômage diminuait.
Qu’en
a-t-il été des pays n’ayant dévalué leur
devise que plus tard, comme par exemple les Etats-Unis et la France ?
Inutile de préciser qu’ils s’en sont dans
l’immédiat moins bien tirés, en raison des avantages
compétitifs dont jouissaient les pays ayant les premiers choisi de
dévaluer. Les industries des Etats-Unis et de la France perdirent leur
compétitivité, dans le même temps que les deux pays se
trouvèrent envahis de produits d’importation peu chers. Ceci fut
plus tard surnommé ‘protectionnisme’, dans la mesure
où, quels que soient les avantages que pouvaient en tirer les pays
ayant choisi de dévaluer, ces derniers entraînaient la détérioration
de l’économie des autres nations.
Malgré
les apparences, les gouvernements ayant choisi de dévaluer ne
s’en tiraient pas si bien que ça. Leur avantage
compétitif se développa en parallèle à une
dévaluation des salaires, et les détenteurs d’obligations
commencèrent à souffrir de défauts partiels. Il est
impossible d’atteindre la prospérité par la
dévaluation, c’est pourquoi ce petit jeu fut rapidement
abandonné. La dévaluation à grande échelle des
devises nationales
déboucha sur un nouveau chaos financier. Ayant découvert
ce qu’il pouvait découler de la manipulation de leur
unité de compte, les gouvernements décidèrent de se
tourner à nouveau vers l’étalon or, ce qui fut officialisé
en 1944 lors de la signature du traité de Bretton
Woods.
Pendant
les quelques années qui suivirent, les gouvernements se mirent
à alterner stimulus (dépenses gouvernementales importantes et
augmentation du déficit) et mesures d’austérité
(augmentation des taxes), ce qui eut les mêmes résultats
à l’époque qu’au Japon et en Europe
aujourd’hui.
La
Grande Dépression était née. En quoi aurait-elle donc pu
être causée par l’étalon or ? Le rôle de
l’étalon or était, et est encore aujourd’hui, de
garantir la stabilité monétaire. Et selon moi, il a toujours
parfaitement su remplir son rôle.
Ce
sont les gouvernements qui, au travers de leurs guerres commerciales, ont
entraîné la récession, avant de compliquer les choses
encore plus en jonglant entre politiques de stimulus et mesures
d’austérité. Ils sont les responsables du chaos
monétaire qui en découla, bien que leurs actions aient pu avoir
des retombées positives sur le très court terme.
Ces
retombées positives sont les raisons pour lesquelles les gouvernements
ont recours à la dévaluation monétaire depuis maintenant
plus de 2000 ans. Pensez-vous qu’ils prendraient de telles
décisions si les retombées politiques en étaient
déplaisantes ?
Les
politiques de dévaluation de devises n’auraient pas dû
être utilisées en réponse à la Grande
Dépression. Il aurait fallu s’attaquer directement au
problème en mettant fin aux guerres commerciales, comme l’avait
alors vaillamment conseillé Cordell Hull,
secrétaire d’Etat de Roosevelt. Il aurait fallu éviter
une augmentation des taxes, puisqu’une telle chose ne parvient jamais
qu’à aggraver la situation. Il n’est pas une mauvaise
chose que de dépenser de l’argent en aides sociales, si tant est
que ce ne soit pas en des quantités si astronomiques qu’elles ne
seront jamais remboursables.
Les
gouvernements auraient dû diminuer les taxes, ou encore imposer une
réforme telle que celle mise en place par la Russie en 2000.
La
Grande Dépression de 1921 est souvent citée comme exemple de ce
qu’il pourrait se produire si nous n’intervenions pas et
laissions l’économie se rétablir d’elle-même.
En 1921, la récession fut quasiment aussi intense que celle ayant
précédé la Grande Dépression, mais connut une
reprise très rapide et déboucha, tout particulièrement
aux Etats-Unis, sur une période de forte croissance.
Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, en 1921, le gouvernement des
Etats-Unis n’est pas resté ‘sans rien faire’. Le
Républicain Warren Harding remporta les élections en 1920,
remplaçant le Démocrate Woodrow
Wilson. Harding fit la promesse de réduire les impôts sur les
revenus, et la tint. L’impôt sur les revenus des plus riches
passa de 73% en 1920 à 46% en 1924, et les impôts sur les
sociétés furent également diminués. Calvin Coolige promit ensuite à son tour de
réduire les impôts sur les revenus jusqu’à 25%, et
fut élu président en 1924.
Dans
l’esprit de nombreuses personnes, les Keynésiens sont les grands
étudiants de la Grande Dépression. Mais que font-ils
aujourd’hui ? En Europe, ils encouragent les politiques de
stimulus et les dépenses gouvernementales, les plans
d’austérité et l’augmentation des taxes, et
poussent des pays tels que la Grèce et l’Espagne à
envisager un retrait de la zone Euro afin de pouvoir dévaluer leurs
devises à leur gré. C’est exactement ce qu’on fait
les gouvernements durant la Grande Dépression, et les résultats
n’en seront pas différents aujourd’hui. Il semblerait que
l’on n’apprenne jamais rien.
Nathan Lewis
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