À situation exceptionnelle (pour ne pas dire absurde), réactions parfois
pour le moins surprenantes. Et la réponse des banquiers suisses (mais aussi
ailleurs en Europe) à la problématique des taux d’intérêt négatifs semble
aller dans ce sens car certains envisagent tout simplement de stocker
un maximum de billets de banque pour lutter contre l’érosion frappant désormais
les dépôts de liquidités.
C’est la Tribune de Genève qui l’a révélé la semaine
dernière : certains établissements financiers helvétiques envisagent
d’entreposer des piles de billets dans des chambres fortes
afin d’éviter d’être ponctionnés par les banques centrales. La tentation est
en effet grandissante de ne plus confier de liquidités aux organismes de
régulation centrale, lesquels appliquent désormais des taux d’intérêt
négatifs sur les dépôts, ce qui revient à faire perdre de l’argent à
ceux qui en épargnent.
Stocker l’argent pour ne plus en perdre
Pour aussi curieuse qu’elle puisse être (entreposer physiquement des
devises a toujours été considéré comme contre-productif), l’idée n’en fait
pas moins son chemin ailleurs en Europe, et notamment en Allemagne où, au
printemps dernier, la deuxième banque du pays s’imaginait déjà tester
le concept sur une petite dizaine de millions d’euros. Pour rappel,
et selon le Financial Times, les taux négatifs ont déjà coûté
2,6 milliards d’euros aux banques de la zone euro. Autant dire
que l’heure n’est plus à la finasserie pour contrer cette hémorragie et que
même les stratégies les moins orthodoxes ont dorénavant le vent en poupe.
Déjà en 2015, d’autres voix s’étaient élevées pour suggérer le stockage de
billets de banque comme solution aux dérives du système financier. Dérives
dont les taux négatifs ne sont que l’un des nombreux symptômes. Ainsi Ian
Spreadbury, gérant plus de 2000 milliards de dollars de fonds
obligataires, expliquait alors que les risques systémiques qui
frappaient de plus en plus régulièrement les marchés financiers justifiaient
de prendre des mesures inédites car aucune des solutions traditionnelles que
sont les actions, les obligations, les fonds ou l’immobilier ne suffisait
plus à protéger efficacement l’épargnant contre un nouveau choc
financier. Même l’or et les autres métaux précieux ne lui semblaient
plus à même de garantir la sécurité financière des particuliers, des
entreprises ou encore des institutions. Seul le stockage de cash physique (en
clair la détention massive de billets de banque) permettait, toujours selon
lui, de faire face à tout arrêt brusque du système financier
tout en diversifiant astucieusement ses avoirs. La limite de cette
appréciation n’aura bien évidemment échappé à personne : en cas de
défaillance du système financier, quelle pourrait bien être la valeur de
billets de banque sinon celle du papier sur lequel ils auront été imprimés ?
Une solution qui reste peu rentable
Quoi qu’il en soit, le concept semble séduire de plus en plus d’acteurs
économiques majeurs, et pas simplement des banques puisque certains fonds de
pensions en Suisse, mais aussi dans reste de l’Europe, ont inscrit cette
option dans la liste des possibilités ultimes visant à préserver un
maximum des fonds dont ils ont la charge. Car si le stockage de
billets reste une ineptie en temps normal, c’est-à-dire lorsque l’épargne est
rémunérée (même un minimum), il devient un système alternatif crédible dès
lors que le rendement des dépôt est nul, voire (comme c’est le cas
actuellement) négatif.
Toutefois, en pratique, une telle solution ne pourrait pas être envisagée
sans prendre un certain nombre de dispositions visant à protéger
physiquement les billets stockés. Outre la place qu’il faudrait
réserver à ces piles de billets de banque, il deviendrait surtout
indispensable de les préserver le plus efficacement possible de risque aussi
variés que l’incendie, l’inondation, la moisissure, les rongeurs, les
insectes… sans oublier les voleurs. Autant de préoccupations qui peuvent
faire sourire mais qui constituent pourtant de véritables dangers pour ce qui
ne reste, somme toute, que des tas de papier. Et forcément,
cette sécurité aura un coût, lequel viendra nécessairement amputer la
valeur-même du capital entreposé. Nul doute qu’on ne sera pas très loin alors
de la ponction effectuée par les banques centrales au titre des taux d’intérêt
négatifs.