Ces derniers jours, la presse et les réseaux internet ont bruissé d’une ennuyante révélation : des détournements de fonds, plus ou moins louches, auraient eu lieu lors de la précédente présidence de la république française. Horreur, abomination, consternation : les élites qui nous gouvernent taperaient dans le pot de confiture !
Et comme d’habitude lorsqu’une presse qui s’ennuie doit trouver un sujet, les articles ne manquent pas pour relater les tenants et les aboutissants de ce qu’on va pouvoir appeler, à présent, l’affaire Bruni. Fin juillet circulait un peu partout sur la toile (et sur Facebook notamment) une insistante rumeur selon laquelle l’ex-première dame est en effet accusée d’avoir financé le site de sa fondation par des fonds publics, pour un montant supérieur à 400.000 euros. Cette rumeur ne serait pas sans fondement puisqu’à son départ, on trouve la Cour des Comptes qui fait mention de la dépense au détour d’une phrase dans un de ses récents rapports sur la gestion de l’Élysée publié le 15 juillet.
Immédiatement, des questions se posent : peut-on trouver normal que de l’argent public soit utilisé pour financer un site web d’une personnalité qui n’a pas été élue, qui n’a pas mandat, à proprement parler, pour le dépenser ? Comment justifier, en outre, le montant exorbitant du site web ? Parce que bon, mes petits amis, 410.000€ pour un site web, aussi carlabrunesque soit-il, cela fait lourd pour quelques pages web, joliment designées, certes, mais tout de même… Pour quelques milliers d’euros, on peut, de nos jours, obtenir un résultat très similaire.
L’affaire ne s’arrête pas là puisque le 23 juillet dernier, un développeur de jeux vidéo sur Internet, Nicolas Bousquet, a eu l’idée de lancer une pétition sur Change.org, qui a récolté plus de 100.000 signatures à ce jour. Joli score. Dans un récent éditorial, le développeur explique son action :
… lorsque la question s’est posée de savoir si Carla Bruni-Sarkozy était autorisée à utiliser l’argent des contribuables, j’ai commencé à faire quelques recherches. Pour le moment, je n’ai trouvé aucune loi pouvant justifier l’utilisation des fonds de l’État en faveur de Mme Bruni-Sarkozy. J’imagine qu’un investissement aussi conséquent me choquerait moins si la Première dame était une « cover girl », une communicante présente dans la vie publique, une sorte de Michelle Obama à la française. Et même, sans cadre légal, sa position resterait critiquable. D’autres pourraient mieux répondre à ce point particulier. Je ne suis pas réfractaire à de tels placements, mais comme dans toutes dépenses publiques, il faut être transparent.
Et force est de constater que, pour un libéral comme moi, qui attache une importance toute particulière aux dépenses de l’Etat, et pointe régulièrement les abus des gens de pouvoir sur le dos des contribuables, les interrogations de M. Bousquet sont essentielles, méritent des réponses et justifient amplement que la presse (Le Monde, L’Express, Libération, et même Le Figaro) s’empare de l’affaire et utilisent leur pouvoir d’amplification des questions populaires pour titiller le débat.
Oui, il m’apparaît indispensable de demander des comptes à Carla Bruni.
Maintenant, ceci posé, une question me tarabuste.
Je résume en effet : nous avons une première dame qui fait des frais, importants. Nous avons des gens qui s’interrogent sur la légitimité tant de la dépense elle-même que sur la provenance des fonds, et sur l’opacité qui règne autour de cette dépense. Et nous avons une presse qui relaie bruyamment, servilement presque, ces interrogations.
Soyons clairs : qu’il est bon de savoir que les puissants puissent trembler d’avoir à rendre des comptes !
Mais voilà : il existe une autre affaire, en tout point similaire, d’une première dame qui fait des frais, importants, une affaire dans laquelle des gens s’interrogent sur la légitimité de la dépense elle-même, sur la provenance des fonds, et sur l’opacité qui règne autour de cette dépense. En revanche, la presse ne relaie rien du tout. Elle ne veut pas en entendre parler.
Soyons clairs : qu’il est gênant de constater que d’autres puissants passent ainsi entre les gouttes parce que la presse les oublie commodément !
Et pour ceux qui ne verraient pas de quoi je veux parler, rappelons que nous, libéraux, sur Contrepoints notamment (et ailleurs, comme ici ou là), nous nous interrogeons sur ce que fabrique exactement Mme Trierweiler.
Rappelons en effet que la copine de François Hollande n’est ni officiellement pacsée avec lui, ni même en concubinage (situation qui serait apparue dans une déclaration fiscale idoine, par exemple). Elle n’est pas élue, et n’a été désignée par aucune institution républicaine pour quelque poste que ce soit. Elle n’a ni mandat, ni mission, ni statut juridique au sein de l’Elysée, mais elle bénéficie pourtant d’une équipe payée par le contribuable. Elle jouit aussi des services qui sont mis à la disposition du président de la République. Et les montants dépensés sont au moins de l’ordre de 240.000 euros à l’année depuis qu’elle s’est incrustée et qu’elle fait abondamment parler d’elle à cette place…
Xavier Kemlin, en mars de cette année, avait pointé du doigt ce problème, en déposant une plainte au tribunal correctionnel de Saint-Étienne contre Valérie Trierweiler pour « détournement de fonds public ». Or, et ceci est récent, nouveau et devrait déclencher un minimum d’intérêt, cette plainte a finalement été acceptée, et il semble qu’à la suite de ce dépôt, Valérie Trierweiler sera convoquée chez le juge d’instruction à la rentrée, pour qu’il décide s’il faut la mettre en examen pour détournements de fonds publics.
Comme on peut le constater, il s’agit ici d’un fait d’importance : ce n’est pas tous les jours que la compagne du chef de l’État peut être convoquée pour une mise en examen. Techniquement, on pourrait même dire qu’on est à l’étape suivante de la polémique qui s’entretient actuellement autour de Carla Bruni, et qui génère déjà un bon nombre d’articles dans la presse. Mais voilà : si, pour Carla Bruni, il suffit qu’on évoque le problème pour qu’immédiatement, pamphlets et éditoriaux apparaissent sur la toile, dès qu’il s’agit de Valérie Trierweiler, on n’entend plus aucun journaliste s’étonner des dépenses qui sont engagées pour cette dernière.
Où sont passés ceux qui s’étonnent des factures de Carla lorsqu’on évoque celles de Valérie ?
Pourtant, on pourrait dire, comme pour M. Bousquet à l’égard de Bruni, que lorsque la question s’est posée de savoir si Valérie Trierweiler était autorisée à utiliser l’argent des contribuables, on a commencé à faire quelques recherches, et pour le moment, on n’a trouvé aucune loi pouvant justifier l’utilisation des fonds de l’État en faveur de Mme Trierweiler. On n’est pas forcément réfractaire à de telles dépenses, mais comme dans toutes dépenses publiques, il faut être transparent. Non ?
Et pourtant, pas un mot dans la presse.
À quel jeu trouble jouent nos journalistes, la bouche pourtant si pleine de neutralité, d’exhaustivité et de transparence ? Pourquoi un tel différentiel de traitement ? Qu’est-ce qui justifie ce Deux Poids Deux Mesure, cette asymétrie troublante ?