|
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Après avoir
déversé le froid, les autorités et gouvernements
Européens font couler l’eau tiède. En choeur,
soudainement, ils assurent la Grèce qu’elle ne va pas être
laissée seule dans l’épreuve, continuant de
réaffirmer qu’elle doit faire un gros effort et va être
surveillée de très près, afin de ne pas se
déjuger. Ce que chacun traduira par : « nous sommes
peut-être allés un peu trop loin, nous n’avons pas
mesuré les conséquences de ce que nous avons engagé, il
est temps de calmer le jeu ».
Que faut-il penser de cette
histoire qui n’est pas terminée ? Elle est à la mesure de
l’improvisation dans laquelle ces autorités et gouvernements
agissent, de leur absence de stratégie commune. Car, si
l’objectif était de signifier que le temps de la rigueur
était venu et de faire un exemple, elles ont surtout illustré
qu’elles ne savaient agir que pour montrer qu’elles
n’avaient pas l’intention d’intervenir ensemble ! Ce qui
augurait, inévitablement, d’une cascade d’autres
catastrophes, allant au-delà de leurs intentions, si tant est que celles-ci
soient claires. Après la Grèce, c’était au tour du
Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, commençait-on
à dire et à entendre…. (pour ne parler que de la zone
euro, et taire la situation de la Grande-Bretagne, le grand malade de
l’Europe). Or, elles ne pouvaient pas se permettre ce
délitement.
Les alertes des uns, les
spéculations des autres, avaient en effet donné petit à
petit corps à l’idée que la zone euro était
susceptible, sinon d’éclater, de se désagréger.
Qu’autour de l’Allemagne, à la manoeuvre
dans cette affaire grecque, allait se constituer un pôle
économique droit dans ses bottes, auxquels pourraient se joindre ceux
des pays qui en seraient encore capables, et qui satisferaient à ses
conditions.
Voilà la
seconde leçon de cette crise : en reculant, ceux-là mêmes
qui étaient soupçonnés des plus noirs desseins ont
montré qu’ils n’avaient pas les moyens de l’ambition
qui leur était prêtée. Qu’il allait falloir
raccommoder le tissu qu’ils avaient déchiré, mettre sur
pied un sauvetage qui vaudrait pour la Grèce, mais aussi pour les
autres pays désormais dans le collimateur qu’ils avaient
braqué, réaffirmer par défaut une vision
européenne, n’ayant pas d’alternative, en
réalité eux-mêmes plus fragilisés par la crise
qu’ils ne veulent l’admettre.
A l’occasion d’une
conférence organisée par l’hebdomadaire britannique
« The Economist », en
présence du premier ministre Grec Georges Papandréou, Joseph Stiglitz a dévoilé mardi à
Athènes le pot aux roses en exhortant l’Union européenne
et la BCE a créer un mécanisme de
crise. Evoquant tout à la fois l’émission
d’euro-obligations, l’intervention de la Banque européenne
d’investissements (et non du FMI), ainsi que la création
d’un fonds destinés à soutenir l’investissement et
les entreprises privées. L’affaire n’est pas
bouclée, il s’en faut ! mais l’énumération
de cette palette de moyens, du haut d’une tribune, avait pour objectif
de rendre public qu’il est à portée de sortir
collectivement de la crise immédiate, par le haut comme on
affectionne de dire dans ces milieux. Les discussions sont en cours, attendons
les résultats.
En réalité, ce
n’est pas seulement la crainte que s’enclenche une dynamique de
crise européenne – qui ne pourrait plus ensuite être
maîtrisée, et dont tout le monde, les plus forts compris, feraient
les frais – qui a été à l’origine du retournement
en cours de la situation. C’est également le besoin de
s’épauler dans l’épreuve commune qui
s’annonce pour les gouvernements. Leurs tergiversations ne sont pas
prêtes de cesser, ici et là, à propos de la
réduction des déficits et partant de la dette. Le fossé
est trop grand entre ce qu’il faudrait exiger de rigueur, pour y
parvenir, et ce qu’il sera possible de mettre en place, pour
éviter de redoutées flambées d’explosion sociale.
Ou un sourd et profond rejet, qui serait encore pire. La reprise,
invoquée telle une pluie bienfaisante dont on prie la venue, a bien
peu de chances d’intervenir avec une force qui soulagerait
d’autant les restrictions budgétaires.
Il va donc falloir trouver une
issue par le haut, tout en rognant autant que possible un bouclier
social considéré comme trop dispendieux pour les temps
à venir, car l’occasion en est trop bonne. Alors que celui-ci
est pourtant la condition, au plan strictement économique, du maintien
d’un certain niveau de consommation, et partant de croissance. Et
qu’il est illusoire de croire que l’Asie, et en premier la Chine,
vont tirer la croissance, permettant de faire l’impasse sur la
relance de la consommation en Europe. Cela irait d’ailleurs à
l’inverse des objectifs, affichés par les occidentaux, de
rétablissement de l’équilibre international (en
correction de la global imbalance). Il n’y a décidément
pas beaucoup de cohérence dans tout ce que l’on peut observer.
On constate que tous les
gouvernements commencent à mettre, devant l’obstacle et chacun
à leur manière, de l’eau dans leur vin. Il n’est
plus question de sabrer dans les budgets, mais plutôt de
réduire sur la pointe des pieds les programmes de soutien
à l’économie et les déficits, au cas par cas. On
cherche à limiter les dégâts du chômage, déjà
redoutables, en fondant les plus fols espoirs non
pas dans sa décrue, mais dans la baisse de son inexorable progression.
On voudrait impliquer dans des négociations les partenaires sociaux
à propos des déficits des régimes de retraite et de
sécurité sociale, ou bien faire reposer sur les
collectivités locales le poids qu’elles ne peuvent assumer de
prestations sociales désormais de leur ressort. Toutes manières
de se défausser et de ne pas assumer ses responsabilités.
Partout, on retarde le moment où il faudra rendre public un plan de
mesures précises.
L’aide était
refusée à la Grèce, il y a encore quelques jours, car il
ne pouvait être question de donner une prime au mauvais
élève. Il a fallu se rendre à
l’évidence qu’il n’y en aurait pas non plus pour les
bons, tel que c’était parti. Que, pour citer Larry Summers, conseiller économique de Barack Obama, à Davos,
« la reprise est dans les statistiques, mais la récession
est dans la vie de gens » (il aurait pu aussi ajouter la rigueur,
pour renforcer sa démonstration). Le test Grec avait pour objectif
d’indiquer à l’opinion publique européenne la route
qu’elle devait suivre, et de faire la démonstration que
l’Europe était prête à sévir contre ceux qui
voulaient rester sur des chemins de traverse. Un message était
également adressé aux gouvernements hésitants, pour les
inciter à porter le couteau dans la plaie.
Même s’il n’a
pas perdu tout son tranchant, ce couteau est un petit peu
émoussé. En particulier s’il se confirme la mise en place
d’un mécanisme financier de crise ; ouvrant une situation
présentée comme sans autre issue qu’une rigueur drastique
dont on n’ose même pas dire le nom et qui semble difficilement
applicable. Au nom d’une lutte contre une inflation dont on cherche
vainement la trace. Si ce mécanisme devait toutefois ne pas être
mis en place, il serait donné raison à ceux qui
prédisent l’éclatement de la zone euro.
La tentative du FMI
d’utiliser des allocations de droits de tirage spéciaux afin de
financer la lutte contre le changement climatique, si elle est menée
à son terme, est une autre expression du même besoin
d’innover dans le montage du financement des Etats. Nous sommes
entrés dans l’ère de l’improvisation, dans ce
domaine également. Cela ne nous changera guère de ce à
quoi nous commençons à nous habituer.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
|
|