Ce texte est un « article presslib’ » (*)
La
réunion de l’Ecofin de lundi et mardi
prochains à Bruxelles va illustrer parfaitement l’art et la
manière des gouvernements de gérer cette crise. Deux
jours pleins vont être consacrés par les ministres des finances
de la zone euro à des débats sur la crise de la dette et de
l’euro en Europe, dont nous savons dès maintenant que nous en
connaîtrons fort peu. C’est une routine installée : les
représentants de gouvernements issus d’élections
démocratiques choisissent le plus strict huit clos quand il
s’agit de discuter des affaires d’importance !
Depuis
New York, Christine Lagarde vient de nous en avertir, questionnée
à propos du plan de sauvetage financier de la Grèce :
« Je ne m’attends certainement pas à ce qu’une
décision soit prise, ni aucun bouton pressé ou même
sélectionné pour être pressé
ultérieurement, parce que c’est tout à fait
prématuré » (elle faisait référence
à l’idée que le plan était prêt et
qu’il suffisait d’appuyer sur le bouton pour l’actionner
lorsque nécessaire). Toutes les rédactions sont en alerte, les
fils des agences et les colonnes de la presse spécialisées sont
remplies de rumeurs à propos de ce fameux plan, mais il va
probablement falloir à nouveau se contenter de belles paroles.
Ce
qui ne va pas manquer d’alimenter les suspicions sur la persistance de
désaccords, ou pis, sur une connivence forgée autour
d’une forte conviction partagée : « ces affaires
n’ont pas à être rendues publiques, car pour les
régler nous utilisons avec nos amis de la finance des moyens qui
n’ont pas besoin d’être connus ». Cela
n’étant pas sans rappeler le coup d’avant, les conditions
dans lesquelles la dernière émission obligataire grecque a
été accueillie par les marchés.
L’essentiel
de l’effort des ministres va en ce début de semaine se porter
sur un autre thème. Tous les artifices et les ressources de la
communication vont être mis à profit pour annoncer de
nouvelles mesures de surveillance renforcées des budgets des pays de
la zone euro, dans le cadre d’une affirmation unanime de la
nécessité de la rigueur, une fois donné en exemple le
plan de rigueur des Grecs, la mention de meilleur gouvernement du mois
étant décernée à Athènes comme une
entreprise américaine le fait pour ses employés.
Quel
que soit le pays concerné, la charge de la dette (le paiement de ses
intérêts) va en effet peser de plus en plus dans les budgets,
les Etats rétribuant les investisseurs privés, sauvés
par leurs soins du désastre, puis se refusant à sortir de cette
logique mortifère. Ce qui en dit long sur qui, représentants
des uns ou des autres, est effectivement aux commandes, et en
définitive sur ce que représentent effectivement les Etats. Une
caricature nous en est actuellement offerte que nous n’aurions pas
osé si cruellement dessiner.
Comment
chasser le spectre hideux d’une déstabilisation de l’euro
? Au sommet, c’est devenu une affaire de haute priorité. Car
celle-ci pourrait facilement se répandre largement en Europe et
devenir dans ces conditions incontrôlable. Que n’a-t-on à
ce sujet évoqué les PIIGS (Portugal – Italie -
Irlande – Grèce et Espagne) – évitant
d’inscrire le Royaume-Uni sur la liste des grands malades – sans
néanmoins parvenir, depuis maintenant plus d’un mois, à
mettre au point un plan d’aide financière européen toujours
promis mais se faisant beaucoup désirer ! Il faut donc prendre le
taureau par les cornes.
Et,
dans un premier temps, se rendre à l’évidence :
laisser la Grèce se présenter sur les marchés
obligataires sans la protection d’un parapluie européen revenait
à ce qui lui soit imposé par ceux-ci des taux très
élevés, rendant son rétablissement financier encore plus
incertain, créant parallèlement une forte incitation à
ce que se poursuive le jeu spéculatif engagé contre
l’euro. D’où la mise au point de ce plan, qui un jour
existe et le lendemain n’existe plus. L’histoire tranchera !
L’idée
d’un Fonds monétaire européen (FME) avait bien
été lancée sans crier gare par le ministre allemand des
finances, nécessitant apparemment de rallier ensuite les
Français à cette cause, selon la presse. Mais, quel que soit le
sort qui sera finalement réservé à cette initiative,
notamment concernant le lourd chapitre des sanctions que le FME pourrait
infliger aux récalcitrants – à propos desquelles les
Français ont une attitude pour le moins nuancée, car ils
pourraient être visés – il est vite apparu que son
éventuelle mise en place s’inscrivait au mieux dans le moyen
terme, alors que le calendrier de la crise de l’euro est à court
terme. Et qu’il fallait faire vite.
C’est
la raison pour laquelle, sous les auspices d’une Angela Merkel déclarant quasiment l’état
d’urgence, est intervenue une offensive
européenne en règle contre les CDS nus,
dénoncés comme étant les instruments de la
spéculation sur la dette souveraine. Sans que l’on soit parvenu
clairement – ce qui n’est trop étonnant, vu la totale
opacité de leur marché – à déterminer ses
acteurs ainsi que l’impact de leur rôle dans l’augmentation
des taux obligataires grecs, mais avec la forte conviction que, dans le
doute, il ne fallait pas s’abstenir. Et que l’opinion publique
serait réceptive, les gouvernements désignant un ennemi hors de
portée leur permettant de confortablement se poser en victime.
Nicolas
Sarkozy, Angela Merkel, Georges Papandréou
et Jean-Claude Juncker (qui dirige l’Eurogroupe),
ont toutes affaires cessantes demandé de concert à Bruxelles
que soit diligentée une enquête, afin de déterminer
« s’il y a eu des opérations spéculatives
illégales sur la dette grecque » et « comment a
réellement fonctionné le marché des CDS dans
cette affaire ». Nous en attendons désormais avec
intérêt les résultats détaillés !
Les
propositions franco-allemandes de régulation de tous les produits
dérivés négociés de gré à
gré ont par ailleurs été mises sur la table. Les CDS
devraient faire l’objet d’un enregistrement obligatoire et passer
par des chambres de compensation, une période minimale de
détention de ceux-ci serait instaurée,
« l’achat de CDS qui ne sont pas utilisés à
des fins de couverture » seraient interdits.
Que
n’a-t-on alors entendu, de l’autre côté de la Manche
et de l’Atlantique ! Ashish
Shah, un credit strategist
de Barclays asséna sans tarder, dans une note rendue publique, que
« interdire la détention nue de CDS équivaut
à interdire carrément les CDS, puisque cela paralyserait toute
transaction sur le marché », telle une vision
d’apocalypse. Ajoutant de manière toute aussi énigmatique
et pour faire bonne mesure : « Nous
continuons de croire que ce serait extrêmement destructeur pour des
marchés qui permettent actuellement de compenser la concentration des
risques et d’encourager l’activité de
prêt ». L’emploi du terme destructeur pouvant
cependant permettre de penser que ce n’est pas se tromper de cible que
de mettre en cause les CDS nus !
Un
florilège de lamentations et de mises en garde s’en suivit,
publiée par la presse financière bien pensante, avec comme
principal argument un amalgame systématique entre les CDS dans
leur fonction assurancielle d’origine et les instruments purement
spéculatifs que sont les CDS nus. Ou
bien faisant état de l’extrême complexité qui
serait rencontrée – sempiternel argument – pour
démêler les uns des autres.
Le
feuilleton ne fait que commencer, au vu des visages fermés qu’a
suscité Georges Papandréou en visite chez ses interlocuteurs
américains de Washington, lorsqu’il a évoqué avec
véhémence le sujet ! Ou lorsque l’on peine à
suivre les méandres des négociations bipartisanes en
cours au Sénat américain sur le projet de loi de
régulation financière. Il a été suffisamment
souligné que rien ne serait plus simple que contourner l’Europe,
si elle adoptait à elle seule une législation restrictive
à propos des CDS nus, afin de poursuivre la spéculation
financière sur ce marché trop beau pour être
honnête. Quel avenir va pouvoir avoir l’offensive européenne
dans ces conditions de blocage américain ?
La
publication d’une lettre de Tim Geithner,
secrétaire au Trésor, à Michel Barnier, commissaire
européen chargé des affaires financières, est alors
venue à point nommé pour illustrer le fossé qui
séparait les Européens des Américains, dès lors
que les premiers se mettaient en tête de s’impliquer dans la
régulation financière. « Nous nous inquiétons
d’un certain nombre de propositions qui seraient discriminatoires
vis-à-vis des sociétés américaines et qui leur
interdiraient l’accès au marché européen dont
elles disposent actuellement », a ainsi protesté Tim Geithner, en référence aux projets
européens d’encadrement des hedge funds. « Dans ce domaine comme dans
d’autres, je crois que nous sommes d’accord sur le fait
qu’il est essentiel de respecter les engagements pris au G20
d’éviter de faire des différences, et de définir
des règles du jeu qui soient les mêmes pour tous »,
a-t-il précisé, oubliant les faits accomplis
systématiques de l’administration américaine dès
lors qu’il s’agit de régulation financière. Il
n’est de bonne régulation financière que si elle est
décidée à Washington: il fallait que cela soit dit, et
écrit.
Dans
ces conditions, Nicolas Sarkozy est-il parti à Londres rencontrer
Gordon Brown avec comme objectif de faire valoir les principes d’une
régulation renforcée, ou bien pour y trouver le moyen de
produire, sous couvert de compromis, un ersatz de régulation –
pour la galerie ? – comme il y est parvenu à propos des paradis
fiscaux ? Au sortir de sa rencontre, il a indiqué que les discussions
se poursuivaient, afin de trouver « le point
d’équilibre qui nous permettra d’avancer dans la
régulation, d’obtenir la transparence et d’éviter
les risques systémiques, et qu’en même temps, la City, qui
est un atout pour l’Europe, ne se sente pas mise en
danger ». Tous les espoirs sont donc permis… pour cette
dernière.
Heureusement,
le projet d’une taxe sur les activités financières va
pouvoir être brandi lors du prochain G20 de Toronto et fournir un
dérivatif bienvenu, l’important étant la proclamation de
son principe, son montant très modéré étant
justifié par la nécessité de ne pas faire obstacle
à la relance.
Résumons-nous.
Les Grecs peuvent espérer être aidés, à condition
que cela ne soit pas public. Des rounds successifs de discussion sur la
création d’un FME vont pouvoir avoir lieu, sans plus de
conséquences immédiates. La commission de Bruxelles va se
retrouver une raison d’exister dans le rôle du Père
Fouettard, qui lui a si bien réussi maintenant que l’on
connaît certains dessous accommodants du respect du pacte de
stabilité dont elle a été la garante. De nouvelles
mesures de régulation européenne vont être – via le
gouvernement Britannique – négociées avec la City, dont
on connaît l’appétence pour celles-ci.
Tout
cela ne fait pas une stratégie pour faire face à la crise de la
dette publique européenne, surtout dans un contexte économique
que tous les indicateurs économiques annoncent plus que morose,
où les tendances déflationnistes sont toujours aussi fortes.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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