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L’Europe attardée au rayon bricolage

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Paul Jorion.
Published : March 15th, 2010
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


La réunion de l’Ecofin de lundi et mardi prochains à Bruxelles va illustrer parfaitement l’art et la manière des gouvernements de gérer cette crise. Deux jours pleins vont être consacrés par les ministres des finances de la zone euro à des débats sur la crise de la dette et de l’euro en Europe, dont nous savons dès maintenant que nous en connaîtrons fort peu. C’est une routine installée : les représentants de gouvernements issus d’élections démocratiques choisissent le plus strict huit clos quand il s’agit de discuter des affaires d’importance !

Depuis New York, Christine Lagarde vient de nous en avertir, questionnée à propos du plan de sauvetage financier de la Grèce : « Je ne m’attends certainement pas à ce qu’une décision soit prise, ni aucun bouton pressé ou même sélectionné pour être pressé ultérieurement, parce que c’est tout à fait prématuré » (elle faisait référence à l’idée que le plan était prêt et qu’il suffisait d’appuyer sur le bouton pour l’actionner lorsque nécessaire). Toutes les rédactions sont en alerte, les fils des agences et les colonnes de la presse spécialisées sont remplies de rumeurs à propos de ce fameux plan, mais il va probablement falloir à nouveau se contenter de belles paroles.

Ce qui ne va pas manquer d’alimenter les suspicions sur la persistance de désaccords, ou pis, sur une connivence forgée autour d’une forte conviction partagée : « ces affaires n’ont pas à être rendues publiques, car pour les régler nous utilisons avec nos amis de la finance des moyens qui n’ont pas besoin d’être connus ». Cela n’étant pas sans rappeler le coup d’avant, les conditions dans lesquelles la dernière émission obligataire grecque a été accueillie par les marchés.

L’essentiel de l’effort des ministres va en ce début de semaine se porter sur un autre thème. Tous les artifices et les ressources de la communication vont être mis à profit pour annoncer de nouvelles mesures de surveillance renforcées des budgets des pays de la zone euro, dans le cadre d’une affirmation unanime de la nécessité de la rigueur, une fois donné en exemple le plan de rigueur des Grecs, la mention de meilleur gouvernement du mois étant décernée à Athènes comme une entreprise américaine le fait pour ses employés.

Quel que soit le pays concerné, la charge de la dette (le paiement de ses intérêts) va en effet peser de plus en plus dans les budgets, les Etats rétribuant les investisseurs privés, sauvés par leurs soins du désastre, puis se refusant à sortir de cette logique mortifère. Ce qui en dit long sur qui, représentants des uns ou des autres, est effectivement aux commandes, et en définitive sur ce que représentent effectivement les Etats. Une caricature nous en est actuellement offerte que nous n’aurions pas osé si cruellement dessiner.

Comment chasser le spectre hideux d’une déstabilisation de l’euro ? Au sommet, c’est devenu une affaire de haute priorité. Car celle-ci pourrait facilement se répandre largement en Europe et devenir dans ces conditions incontrôlable. Que n’a-t-on à ce sujet évoqué les PIIGS (Portugal – Italie - Irlande – Grèce et Espagne) – évitant d’inscrire le Royaume-Uni sur la liste des grands malades – sans néanmoins parvenir, depuis maintenant plus d’un mois, à mettre au point un plan d’aide financière européen toujours promis mais se faisant beaucoup désirer ! Il faut donc prendre le taureau par les cornes.

Et, dans un premier temps, se rendre à l’évidence : laisser la Grèce se présenter sur les marchés obligataires sans la protection d’un parapluie européen revenait à ce qui lui soit imposé par ceux-ci des taux très élevés, rendant son rétablissement financier encore plus incertain, créant parallèlement une forte incitation à ce que se poursuive le jeu spéculatif engagé contre l’euro. D’où la mise au point de ce plan, qui un jour existe et le lendemain n’existe plus. L’histoire tranchera !

L’idée d’un Fonds monétaire européen (FME) avait bien été lancée sans crier gare par le ministre allemand des finances, nécessitant apparemment de rallier ensuite les Français à cette cause, selon la presse. Mais, quel que soit le sort qui sera finalement réservé à cette initiative, notamment concernant le lourd chapitre des sanctions que le FME pourrait infliger aux récalcitrants – à propos desquelles les Français ont une attitude pour le moins nuancée, car ils pourraient être visés – il est vite apparu que son éventuelle mise en place s’inscrivait au mieux dans le moyen terme, alors que le calendrier de la crise de l’euro est à court terme. Et qu’il fallait faire vite.

C’est la raison pour laquelle, sous les auspices d’une Angela Merkel déclarant quasiment l’état d’urgence, est intervenue une offensive européenne en règle contre les CDS nus, dénoncés comme étant les instruments de la spéculation sur la dette souveraine. Sans que l’on soit parvenu clairement – ce qui n’est trop étonnant, vu la totale opacité de leur marché – à déterminer ses acteurs ainsi que l’impact de leur rôle dans l’augmentation des taux obligataires grecs, mais avec la forte conviction que, dans le doute, il ne fallait pas s’abstenir. Et que l’opinion publique serait réceptive, les gouvernements désignant un ennemi hors de portée leur permettant de confortablement se poser en victime.

Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Georges Papandréou et Jean-Claude Juncker (qui dirige l’Eurogroupe), ont toutes affaires cessantes demandé de concert à Bruxelles que soit diligentée une enquête, afin de déterminer « s’il y a eu des opérations spéculatives illégales sur la dette grecque » et « comment a réellement fonctionné le marché des CDS dans cette affaire ». Nous en attendons désormais avec intérêt les résultats détaillés !

Les propositions franco-allemandes de régulation de tous les produits dérivés négociés de gré à gré ont par ailleurs été mises sur la table. Les CDS devraient faire l’objet d’un enregistrement obligatoire et passer par des chambres de compensation, une période minimale de détention de ceux-ci serait instaurée, « l’achat de CDS qui ne sont pas utilisés à des fins de couverture » seraient interdits.

Que n’a-t-on alors entendu, de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique  ! Ashish Shah, un credit strategist de Barclays asséna sans tarder, dans une note rendue publique, que « interdire la détention nue de CDS équivaut à interdire carrément les CDS, puisque cela paralyserait toute transaction sur le marché », telle une vision d’apocalypse. Ajoutant de manière toute aussi énigmatique et pour faire bonne mesure : « Nous continuons de croire que ce serait extrêmement destructeur pour des marchés qui permettent actuellement de compenser la concentration des risques et d’encourager l’activité de prêt ». L’emploi du terme destructeur pouvant cependant permettre de penser que ce n’est pas se tromper de cible que de mettre en cause les CDS nus !

Un florilège de lamentations et de mises en garde s’en suivit, publiée par la presse financière bien pensante, avec comme principal argument un amalgame systématique entre les CDS dans leur fonction assurancielle d’origine et les instruments purement spéculatifs que sont les CDS nus. Ou bien faisant état de l’extrême complexité qui serait rencontrée – sempiternel argument – pour démêler les uns des autres.

Le feuilleton ne fait que commencer, au vu des visages fermés qu’a suscité Georges Papandréou en visite chez ses interlocuteurs américains de Washington, lorsqu’il a évoqué avec véhémence le sujet ! Ou lorsque l’on peine à suivre les méandres des négociations bipartisanes en cours au Sénat américain sur le projet de loi de régulation financière. Il a été suffisamment souligné que rien ne serait plus simple que contourner l’Europe, si elle adoptait à elle seule une législation restrictive à propos des CDS nus, afin de poursuivre la spéculation financière sur ce marché trop beau pour être honnête. Quel avenir va pouvoir avoir l’offensive européenne dans ces conditions de blocage américain ?

La publication d’une lettre de Tim Geithner, secrétaire au Trésor, à Michel Barnier, commissaire européen chargé des affaires financières, est alors venue à point nommé pour illustrer le fossé qui séparait les Européens des Américains, dès lors que les premiers se mettaient en tête de s’impliquer dans la régulation financière. « Nous nous inquiétons d’un certain nombre de propositions qui seraient discriminatoires vis-à-vis des sociétés américaines et qui leur interdiraient l’accès au marché européen dont elles disposent actuellement », a ainsi protesté Tim Geithner, en référence aux projets européens d’encadrement des hedge funds. « Dans ce domaine comme dans d’autres, je crois que nous sommes d’accord sur le fait qu’il est essentiel de respecter les engagements pris au G20 d’éviter de faire des différences, et de définir des règles du jeu qui soient les mêmes pour tous », a-t-il précisé, oubliant les faits accomplis systématiques de l’administration américaine dès lors qu’il s’agit de régulation financière. Il n’est de bonne régulation financière que si elle est décidée à Washington: il fallait que cela soit dit, et écrit.

Dans ces conditions, Nicolas Sarkozy est-il parti à Londres rencontrer Gordon Brown avec comme objectif de faire valoir les principes d’une régulation renforcée, ou bien pour y trouver le moyen de produire, sous couvert de compromis, un ersatz de régulation – pour la galerie ? – comme il y est parvenu à propos des paradis fiscaux ? Au sortir de sa rencontre, il a indiqué que les discussions se poursuivaient, afin de trouver « le point d’équilibre qui nous permettra d’avancer dans la régulation, d’obtenir la transparence et d’éviter les risques systémiques, et qu’en même temps, la City, qui est un atout pour l’Europe, ne se sente pas mise en danger ». Tous les espoirs sont donc permis… pour cette dernière.

Heureusement, le projet d’une taxe sur les activités financières va pouvoir être brandi lors du prochain G20 de Toronto et fournir un dérivatif bienvenu, l’important étant la proclamation de son principe, son montant très modéré étant justifié par la nécessité de ne pas faire obstacle à la relance.

Résumons-nous. Les Grecs peuvent espérer être aidés, à condition que cela ne soit pas public. Des rounds successifs de discussion sur la création d’un FME vont pouvoir avoir lieu, sans plus de conséquences immédiates. La commission de Bruxelles va se retrouver une raison d’exister dans le rôle du Père Fouettard, qui lui a si bien réussi maintenant que l’on connaît certains dessous accommodants du respect du pacte de stabilité dont elle a été la garante. De nouvelles mesures de régulation européenne vont être – via le gouvernement Britannique – négociées avec la City, dont on connaît l’appétence pour celles-ci.

Tout cela ne fait pas une stratégie pour faire face à la crise de la dette publique européenne, surtout dans un contexte économique que tous les indicateurs économiques annoncent plus que morose, où les tendances déflationnistes sont toujours aussi fortes.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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