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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Au
vent de panique qui eu pour effet l’adoption du plan de sauvetage
européen succède désormais une nouvelle phase faite de
sourde inquiétude sur l’avenir, qui s’annonce de longue
durée, sauf rebondissement peu probable dans l’immédiat.
Une
seule journée à été nécessaire pour que
les commentaires passent de l’expression du soulagement au mode de
l’interrogation : appliqué dans la précipitation, le
plan européen est certes un pansement indispensable et probablement
efficace, mais une politique économique cohérente à la
hauteur de la situation va-t-elle en résulter, et si oui laquelle?
Dans la bouche d’Angel Gurria,
secrétaire général de l’OCDE, cela a donné
hier à Bruxelles : « Le paquet est crédible, a la bonne taille et va fournir le temps nécessaire
pour examiner objectivement (la situation)».
Comme
d’habitude, les marchés se sont
révélés plus rapides, exprimant à leur
manière leur profond doute à ce propos. Ni
l’évolution des taux obligataires – ce marché
étant maintenant largement sous le contrôle de la BCE, son
premier acheteur, comme les émissions italienne et portugaise
d’hier et d’aujourd’hui l’ont montré –
ni le yoyo boursier, après avoir effectué une figure spectaculaire,
ne sont en l’espèce les bons indicateurs.
Le
cours de l’euro par rapport au dollar est en réalité plus
illustratif : l’euro est reparti à la baisse après
s’être un peu rétabli, entrant désormais dans une
zone dangereuse. Celle où les investisseurs internationaux –
dont l’euro n’est pas la devise – vont
commencer à hésiter à son égard, car sa valeur
risque de descendre encore et de les mettre en perte, étant
donné la valeur moyenne à laquelle ils ont acquis les
réserves en euro qu’ils possèdent déjà.
D’après Bank of New York Mellon, rapporté par le
Financial Times, celles-ci ont été constituées au
cours moyen de 1,2877 dollar pour 1 euro. Mercredi après-midi, le taux
de change était tombé à 1,2672.
Cette situation,
si elle se confirme, va avoir pour conséquence de restreindre la
demande, lors des futures émissions obligataires européennes,
si elles sont effectuées en euros, seuls les investisseurs de la zone
euro ne subissant pas par définition les effets de sa baisse. Alors
que beaucoup entrevoient un risque de poursuite, la parité avec le
dollar devenant possible.
Dans
ces conditions, on comprend que les banques européennes, qui se
délestent actuellement de leurs obligations de certains pays
européens présentés comme en danger, ne seront pas non
plus très chaudes pour investir sur ce marché. Ce qui
impliquera que la BCE, qui a sauté le pas et y intervient
désormais, sera alors condamné à poursuivre et amplifier
ce qu’elle a entamé. Probablement au-delà des limites
qu’elle doit s’être donnée, mais qu’elle
n’a pas rendu publiques.
Cette
perspective remet à sa modeste place les déclarations
insistantes de Jean-Claude Trichet, selon qui la planche à billet
n’aurait pas été mise en marche. Les analystes financiers
considèrent pour leur part qu’elle devra tôt ou tard l’être,
la BCE entraînée plus loin qu’elle ne souhaite aller, au
nom de son rôle de prêteur en dernier ressort qu’elle va
devoir étendre des banques aux Etats. C’est pour eux
l’expression d’une implacable logique de marché, pour les
raisons évoquées plus haut.
Pour
tendre encore plus cette situation, et pour accroître la foule qui se
masse déjà aux abords du marché obligataire
déjà bien encombré, une étude de Standard & Poor’s vient d’établir que les
collectivités locales des douze pays de l’Europe de
l’Ouest vont également venir en force sur celui-ci. Elles vont
venir y chercher 210 milliards de dollars cette année, soit 20% de
plus qu’en 2009. Pudiquement, S&P évoque pour justifier cet
accroissement « des performances financières
détériorées », c’est à dire les
bouillons que les banques leur ont fait prendre, ainsi que la baisse de leurs
recettes fiscales.
Il
est intéressant de noter que les collectivités locales
allemandes représentent à elles seules près de la
moitié (47%) de ces emprunts (122 milliards d’euros). Viennent
ensuite les collectivités espagnoles (17%) et françaises (8%).
Comme quoi on ne peut être vertueux en tout.
Face
à l’accroissement de la demande obligataire, les
établissements financiers manifestent leur inquiétude devant la
perspective de devoir s’y rendre à leur tour, afin
d’accroître leurs fonds propres suivant la formule magique des CoCos, les titres hybrides convertibles. Tout du moins si
le Comité de Bâle donne, comme probable, le feu vert à
l’utilisation de cette formule qui n’affectera pas le taux de
rentabilité de capital des banques, leur credo.
Du
point de vue des mégabanques, il y deux
excellentes raisons de crier au loup à propos de la dette
publique : solder à leur avantage l’addition actuelle de la
crise et obtenir que leur soit cédée la meilleure place sur le
marché obligataire.
Les
pays européens sont maintenant pris en tenaille. D’un
côté, ils subissent une hausse du coût de financement de
leurs déficits et du refinancement de leurs dettes, de l’autre,
ils s’installent dans une croissance très faible, qui pourrait
facilement être menacée. Un pari stupide de plus est en train
d’être pris, selon lequel il faudrait en même temps jouer
la rigueur, la relance et la diminution du déficit. Il ne faut pas
s’étonner que les marchés n’y croient pas
avant même la mise en oeuvre.
Pour
les 27 pays de l’Union européenne, Eurostat vient
d’estimer cette croissance à un taux moyen de 0,2% pour le
premier trimestre 2010. Selon l’Institut national de la statistique
espagnol (Ine), l’économie du pays est
sortie de la récession au premier trimestre et a enregistré une
croissance de 0,1% par rapport au dernier trimestre 2009. Il faut
s’appeler Christian Noyer, et être le gouverneur de la Banque de
France, pour déclarer sans sourciller que les mesures de restriction
budgétaire qui n’ont pas encore été
décidées et donné leur effet n’auront pas de
conséquence sur la croissance.
Cette
reprise très faible est menacée et n’aidera pas les
gouvernements à réduire rapidement leurs déficits.
« L’impact de la rigueur budgétaire est encore
à venir. Avec les gouvernements de toute la région
forcés de serrer leur ceinture, la reprise ne va pas mettre longtemps
à faiblir, et une nouvelle récession menace dans la
périphérie », analyse ainsi Jennifer McKeown, économiste de Capital Economics,
un institut de recherche londonien cité par l’AFP.
Fidèle
à son rôle de sentinelle avancée, le FMI vient dans son
dernier rapport de déclarer que la dette publique a atteint
« la cote d’alerte », reconnaissant que l’
« on observe une reprise modérée et inégale
de l’activité dans toute l’Europe, qui est
alimentée par le rebond du commerce mondial et les mesures de relance
prises par les pouvoirs publics ». Modéré est le
mot-clé, le FMI considérant que « les moteurs
traditionnels de la reprise seront sans doute moins vigoureux que par le
passé », une litote de plus.
Comme
à l’accoutumée, le Fonds admet que « des
politiques macroéconomiques d’accompagnement restent
nécessaires pour que la reprise puisse se poursuivre »,
tout en considérant que « les indicateurs de
viabilité de la dette publique ont atteint la cote d’alerte dans
la plupart des pays, où de vigoureux efforts de
rééquilibrage s’imposeront à moyen
terme ». Le terme clé est « moyen
terme », une nuance dont il n’est pas nécessairement
fait preuve partout.
Venant
en premier lieu de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne, aucun
gouvernement ne restant silencieux, toute l’Europe retentit d’un
même appel à l’austérité. Le nouveau
gouvernement de coalition britannique – auquel les mauvais esprits
prédisent déjà une vie aussi difficile que celle que
connait la coalition allemande – en fait son objectif numéro un.
L’Espagne et le Portugal doivent aller au rapport à ce propos
à Bruxelles, le 18 mai prochain.
Seule
voix un tant soit peu discordante, celle de Didier Reynders,
le ministre belge des Finances, qui a déclaré au Soir,
quotidien de référence francophone, ne pas
« être opposé à ce qu’on étale un
peu sur la durée l’effort de réduction du déficit
budgétaire, (…) seulement à une condition: que cela aille
de pair avec un vrai travail sur l’amélioration de la
compétitivité ». Il a poursuivi :
« J’espère que la crise servira à faire
comprendre qu’il faut une vraie politique économique et sociale,
en matière de santé, de pensions, de recherche, et pas
seulement rester rivés au budget ».
Appuyée
par Angela Merkel, la Commission prend quand
à elle une initiative, chose assez rare pour être
soulignée, même si elle y a été probablement
aidée. Prenant au mot les gouvernements européens, elle vient
de proposer un ensemble de mesures afin de renforcer la discipline
budgétaire, qui font déjà grincer des dents. Examen
préalable des budgets nationaux dès l’année
prochaine, avertissements et sanctions financières en cas de
déficits excessifs, constitution de réserves financières
dans les périodes grasses, réduction des écarts de
compétitivité (une formule laissée dans le vague) et
création à moyen terme d’un mécanisme permanent de
gestion de crise pour la zone euro sont au menu. Le calendrier même
dans lequel certaines de ses mesures s’inscrivent indique que la crise
européenne va être très durable.
D’autres
propositions viennent d’être faites par Dominique Strauss-Kahn,
dont l’objectif est aussi de se préparer à gérer
des situations difficiles dans les temps à venir. Tout en regrettant,
mais à titre personnel a-t-il dit, que des émissions
d’euro-obligations ne soient pas actuellement envisagées, il
propose que soient mises sur pied des possibilités de transfert
fiscaux provisoires entre Etats, au même titre que le font
déjà certains fonds d’intervention communautaires. Une
idée lointaine cousine de celle d’un Front Monétaire
Européen, proposé il y a plusieurs semaines par les
Allemands. Mais son objectif irait plus loin, puisqu’il pourrait
contribuer à momentanément pallier les déséquilibres
internes à la zone euro. Le temps nécessaire à ce que
des ajustements de politique économique soient faits, mais c’est
sous-entendu. La Commission tourne autour du même pot avec sa proposition
de mécanisme permanent de gestion de crise, mais la proposition du FMI
offre une méthode de correction des déséquilibres
économiques communautaires.
Deux
questions sont actuellement posées, auxquelles même un
début de commencement de réponse n’a pu être encore
apporté. La première est que, comme le fait remarquer Martin
Wolf dans sa dernière chronique du Financial Times, la création
de l’euro n’a de fait pas abouti à la convergence
économique espérée entre ses membres, mais au contraire
à l’accroissement des divergences entre eux. La
seconde est que refuser par principe la perspective que certains pays
puissent faire défaut au sein de la zone euro – ce qui est
inévitable selon lui – c’est en réalité
protéger le système bancaire et se préparer à en
subir les conséquences. Pour la deuxième fois, pourrait-on ajouter
à son analyse.
Marek
Belka, le directeur pour l’Europe du FMI, a
annoncé cet après-midi que son institution était
prête à augmenter sa mise, si nécessaire, sans
qu’il ne lui soit rien demandé. Cela peut être interprété
de trois façons, qui ne sont en rien antinomiques : il
s’agit d’anticiper la nécessité d’augmenter
le montant du plan décidé ce week-end, en prévision de
ce qui va se passer ; cela témoigne de la forte implication des Américains
dans la crise européenne et des craintes qu’elle suscite chez
eux (après la décision de la Fed d’instaurer à
nouveau des swaps de dollars, comme au plus fort de la crise
financière) ; ou encore c’est une manière de dire que le
FMI est prêt à jouer un rôle plus important, en mettant un
pied dans la zone pour commencer à financer la dette publique, afin
qu’il soit plus naturel demain de le faire de manière encore
plus ample. Et, les Etats membres ne pouvant plus répondre aux appels
de fonds du FMI, qu’ils en viennent à accepter que ce dernier
batte à son tour monnaie.
Peu
de choses ont filtré, comme attendu, des deux réunions qui se
sont successivement tenues en Suisse, la réunion
régulière de la Banque des règlements internationaux
(BRI) et le Forum organisé par le FMI et la Banque nationale Suisse.
Une chose est néanmoins à retenir de ce qui a été
expliqué à propos des débats dans ce dernier,
au-delà de l’appel assez symbolique aux gouvernements à
réduire leur dépendance au dollar, en leur proposant
d’introduire le yen et l’euro dans leurs réserves de
change. Ou bien de la nécessité d’instaurer une meilleur surveillance des capitaux, allusion transparente
mais dépourvue de propositions d’actions vis-à-vis du
ravageur carry-trade dans les pays émergents.
A
retenir plutôt donc la troisième mesure, de plus grande portée,
qui a été évoquée : l’utilisation plus
intensive des droits de tirage spéciaux (DTS), cet instrument de
réserve du FMI basé sur un panier de devises. Cela pourrait
à la fois permettre de faire entrer, à terme, le yuan chinois
dans le jeu, et de soulager aussi les pays occidentaux d’une partie de
leur dette. Avec à la clé, pour les premiers, des garanties
substantielles de ne pas voir fondre – sans pouvoir s’y opposer,
sauf à la marge – leurs réserves en dollars.
C’est
ce fil rouge que le FMI commence à tirer. Comme une porte de sortie de
crise pour laquelle il avance ses pions, afin de prendre la succession de
banques centrales, dont la BCE, aux bilans
déséquilibrés. Une option de dernier recours et une
échappatoire de plus.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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