Une lueur serait-elle en train
d’apparaître dans les ciels britannique et européen ? Sous
l’égide d’une Commission Indépendante sur les
Banques (BIC) mise en place par le chancelier de l’échiquier
George Osborne, une réflexion est entamée sur les
réformes que devrait connaître la City, deuxième place
financière mondiale.
A priori, c’est un paradoxe,
quand on sait comment les Britanniques défendent becs et ongles leur industrie
financière au sein de l’Union européenne. On peut
toutefois le comprendre si on considère qu’une nouvelle crise au
sein de leur système bancaire n’est strictement pas dans leurs
moyens.
La BIC emprunte a priori les
mêmes pistes que celles suivies par les Américains, sans
surprise excessive, mais apparaît particulièrement
entreprenante, tout du moins à ce stade de ses travaux et de la
publication d’un premier document.
N’ayant qu’un mandat
d’étude, la commission rapportera dans un an à un
comité du Cabinet présidé par George Osborne, et il sera
alors possible au vu des décisions de ce dernier de mieux faire
l’inventaire de ce qui résultera du processus qu’elle
vient d’engager. A noter que les banques étrangères
présentes au Royaume-Uni devraient avoir les mêmes obligations
que leurs consœurs britanniques, ce qui pourrait en premier lieu
affecter Santander, la mégabanque espagnole.
Une séparation drastique
entre banques de dépôt et d’investissement (du type
Glass-Steagall Act) est évoquée, ainsi que des obligations en
matière d’accroissement des fonds propres supérieures
à celles que Bâle III a déjà défini sont
envisagées. D’autres mesures sont également à
l’étude, car Bâle III – après adoption
– n’a vocation qu’à être une limite
inférieure aux réglementations nationales qui pourront
être adoptées. Plus novateur, John Vickers, le président
de la BIC, n’a pas exclu que celle-ci puisse également se
pencher sur le shadow banking, la banque de l’ombre, et ne
s’en tienne pas au secteur bancaire stricto sensus.
Devant
l’éventualité d’un tel durcissement, HSBC, Barclays
et Standard Chartered – les plus grands établissements
britanniques que l’Etat n’a pas recapitalisé – ont
tout de go menacé d’aller s’établir sous
d’autres cieux, Hong Kong ou Singapour, si le cadre
réglementaire venait à se durcir. C’est dire que si les
dés viennent d’être jetés, ils
s’entrechoquent déjà sur le tapis….
Parallèlement, la
réflexion se poursuit à propos des banques trop importantes
pour faire faillite (Too Big to Fail), à l’instigation du
Comité de Bâle et du Conseil de stabilité
financière, tous deux chargés de rapporter devant le prochain
G20. On sait à ce propos que les banques américaines poussent à
l’adoption de ratios supplémentaires de fonds propres, car cela
créerait de lourdes obligations pour leurs concurrentes
européennes, tandis qu’elles-mêmes usent d’artifices
pour soulager leurs bilans, du type véhicules spéciaux
(les SPV, « Special purpose vehicle », souvent
utilisés dans les opérations de
déconsolidation/titrisation), et peuvent plus facilement lever des
capitaux. Comme on l’a vu, leur faiblesse vient pour l’essentiel
d’ailleurs.
A l’inverse, Christine
Lagarde, ministre française de l’économie et des
finances, a déclaré que ce type de mesures
« n’était pas une panacée », se
faisant comme à son habitude la porte-parole sans nuances des banques
françaises qui redoutent cette réglementation. En coulisses,
celles-ci se battent contre avec virulence.
Lord Turner, président de
l’organisme régulateur britannique, le FSA, a également
déclaré cette semaine qu’une telle option serait
attentivement considérée, tandis que les officiels
américains faisaient de même. Mais Nout Wellink, qui
préside le Comité de Bâle, a été prudent en
se contentant de dire que « tout est sur la table et nous
travaillons dur à ce propos en ce moment », sa prudence
n’étant pas nécessairement sans rapport avec sa
déclaration, à Singapour précisément, à
propos de la menace de délocalisations des banques afin de combattre
toute réglementation supplémentaire, menace qu’il
« n’aime pas ».
Du côté allemand,
Josef Ackerman, président de la mégabanque Deutsche Bank, a
participé à cette stratégie de pression et de tension en
déclarant que les options de régulation avancées par les
autorités seraient « un très dangereux
développement dans la mauvaise direction », explicitant son
propos avec l’habituel argument des incidences que les mesures auraient
sur le crédit. La Fédération allemande des banques
privées (BdB) n’a pas été en reste : cela
« va trop loin et menace la reprise économique et les
développements positifs sur le marché du travail ».
La situation des banques
allemandes apparaît de jour en jour de plus en plus désastreuse.
L’important secteur public des Landesbanken, qui représente 45%
du marché bancaire, est chancelant. Et les tentatives de fusions entre
les deux principales banques de celui-ci – la West LB (Düsseldorf)
et la Bayern LB (Munich) – n’aboutiraient selon les analystes
proches du dossier (selon la formule traditionnelle), qu’à la
création d’une mégabanque aux pieds d’argile,
particulièrement dangereuse. HRE, de son côté, vient une
nouvelle fois de bénéficier d’une injection publique de
plus de 2 milliards d’euros, Bruxelles avalisant tout en
considérant que la banque n’était définitivement
pas viable.
En Grèce et en Irlande, la
situation des banques est particulièrement alarmante. A tel point
qu’il a été décidé par le FMI et la
Commission de surseoir à la tenue de stress tests des banques
grecques, dont l’annonce des résultats risquait de les
déséquilibrer encore davantage. Le sauvetage de l’Anglo
Irish Bank reste quant à lui toujours en suspens en Irlande, dans la
longue attente de la mise au point de ses modalités et de l’autorisation
de Bruxelles, où il est à l’étude comme beaucoup
de dossiers.
Il se confirme qu’une
négociation avec les créanciers obligataires de la banque est
envisagée, afin de diminuer le coût de l’addition
qu’aura à supporter l’Etat, une première qui
n’est pas sans susciter des inquiétudes dans le monde de la
finance, car elle affecterait les banques créditrices, principales
détentrices des obligations en question. Les banques se tiennent
toutes par le bout du nez sur ce marché, les obligations, publiques ou
privées, étaient considérées – tout du
moins jusqu’au début de la crise – comme des actifs de
tout repos….
Expression de la situation
générale du système bancaire européen, une
étude de la BCE vient de confirmer que la moitié des 105
banques suivies par ses soins au second trimestre considéraient que la
situation du marché interbancaire avait empiré depuis
l’année dernière. La BCE supplée à cette
situation grâce à ses injections de liquidité à
bas prix à trois mois.
José Manuel
González-Páramo, membre de son directoire, vient de
considérer qu’il y avait un risque de
« dépendance durable » de certains banques. Une
parole de banquier central qui signifie que le marché inter-bancaire
va durablement rester très perturbé, laissant de nombreuses
banques des pays à risque sans autre solution que de se tourner
vers la BCE. Mettant en évidence non seulement que cette situation va
se prolonger mais que le secteur bancaire est désormais à deux
vitesses, à l’image des Etats en fonction des conditions
qu’ils rencontrent sur le marché obligataire. La BCE ayant
été obligé de ne plus être vraiment regardante sur
la qualité des actifs mis en garantie par les banques en contrepartie
des liquidités – être scrupuleuse signifiant
l’arrêt de mort des banques en question – avec pour
conséquence un significatif affaiblissement de son propre bilan.
De son côté, la
commission de Bruxelles poursuit – selon Joaquim Almunia, commissaire
à la concurrence – l’étude de la prolongation de
l’autorisation accordée aux Etats membres de soutenir les
banques, qui prend fin décembre prochain. Il s’agit des apports
en capital, du « traitement des actifs
dépréciés » (les bad banks) et des garanties
apportées. Annonce qui a été assortie de la remarque
suivante : « Malheureusement, nous ne pouvons pas dire demain
que nous mettons fin à ce régime, car nous ne sommes pas
revenus à des conditions normales ».
Si l’on se tourne vers la
situation des Etats et du marché de la dette souveraine, la situation
est toute aussi contrastée, expression que l’on utilise
pour signifier qu’une partie du secteur considéré
n’est décidément pas au mieux de sa forme. En
dépit d’une pluie de communiqués de toutes provenances
niant la totale impasse financière dans laquelle se trouve le
gouvernement irlandais – qui ne font que souligner
l’inquiétude profonde que l’Irlande suscite et n’ont
convaincu personne – le pays est en réalité devenu une
seconde Grèce. Apparaissant comme susceptible de propager un virus
dans toute l’Union européenne, soulignant la
responsabilité de ceux qui ont appuyé un modèle
irlandais de développement – fait d’avantages fiscaux
pour les banques et les entreprises et de dérégulation
financière – qui vient de s’écrouler du fait de ses
propres contradictions. Ceux-là mêmes qui se sont appuyé
sur sa réussite pour impulser au sein de l’Union
européenne des mesures de dérégulation
financière.
L’implosion du
système bancaire irlandais (qui est loin d’être
terminée et ne se limite pas à l’AIB), ainsi que la
spirale descendante dans laquelle le pays se trouve désormais pris,
représentent l’échec masqué mais sans appel
d’une stratégie communautaire européenne. Ses artisans se
sont servis du pays comme d’une vitrine trompeuse. C’est aussi le
résultat de l’absence de toute réflexion et action
conséquente en direction des pays de la périphérie de
l’Union européenne, en terme de définition d’un
modèle économique et non pas de distribution plus ou moins
aveugle de crédits, dont la manne n’est pour chaque pays que
provisoire et qui sont souvent gaspillés.
A l’arrivée, c’est
un Pacte de stabilité qui a volé en éclats, violé
en premier lieu – faut-il le rappeler- par l’Allemagne et la
France. Il n’est pas certain que l’Europe dans sa configuration
actuelle puisse y survivre, ce qui ne diminuera pas l’ampleur de la
crise, tout au contraire.
Klaus Regling, le président
du Fonds européen de stabilité financière (EFSF), vient
d’évoquer la nécessité d’entamer une
réflexion à propos du dispositif qui devra lui succéder,
car il a été mis en place pour trois ans. On ne peut mieux reconnaître
qu’une deuxième béquille devra être ajoutée,
pour les Etats, à celle que la BCE offre aux banques. Le
système financier européen est tenu à bout de bras pour
une longue durée, si tant est que la zone euro n’éclate
pas.
A ce propos, Wolfgang Schäuble,le
ministre allemand des Finances, a convenu lors d’une conférence
à Francfort que l’Allemagne « profitait plus que
quiconque » de l’euro. Appelant donc encore une fois
à durcir les mécanismes de sanction contre les Etats dont les
finances dérapent. En dépit de l’embellie de ses
exportations du dernier trimestre – un rattrapage qui ne se poursuit
pas – l’Allemagne a réalisé au second semestre de
l’année 41% de ses exportations au sein de la la zone euro, et
60% vers les pays de l’Union européenne.
Compenser dans les pays
émergents l’équivalent de ce qu’elle pourrait
perdre en Europe est un pari très incertain. Dans
l’immédiat, la zone euro met largement à l’abri
l’Allemagne de la remontée de la devise par rapport au dollar et
des fluctuations monétaires, d’autant que ses sites de
production délocalisés se trouvent partiellement en son sein,
à l’Est. On comprend donc ce que l’Allemagne peut perdre.
Sous un autre angle, Thomas
Mirrow, qui préside la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement (Berd), considère que la crise de la dette
publique aura des répercussions « pendant une
génération » sur les contribuables des pays
occidentaux. En raison de politiques budgétaires rigoureuses
qu’il défend, expliquant qu’il s’agit non seulement
de se soulager de la pression des marchés, mais aussi de lever
un climat d’incertitude « qui mine la confiance des
consommateurs ». Confondante analyse.
Dans cette même logique, et
afin de tenter de consolider l’édifice dans le cadre de la
nouvelle « gouvernance économique » dont la
définition est à l’étude, Olli Rehn, le
commissaire européen aux affaires économiques, a un projet. Il
envisage qu’en cas d’ouverture d’une procédure pour
déficit excessif, le pays en cause soit dans l’obligation de
verser un dépôt de garantie. On parle de 0,2% du PIB. La
réponse des dirigeants européens à la crise continue
d’être au niveau de leur hauteur de vue.
L’Irlande, la Grèce
et le Portugal – le trio de tous les dangers – ont
dernièrement réussi leurs émissions obligataires, dont
il faut souligner qu’elles ont suscité une forte demande des marchés.
Il a été nettement moins fait allusion aux taux très
élevés qui ont du être consentis, en dépit de
nouvelles intervention sur le marché obligataire de la BCE.
« Le marché joue à se faire peur » a
déclaré un brillant analyste dont le talent ne fait aucun
doute, car il a remarqué que « aucune adjudication ne
s’est mal passée en définitive ». Cela aurait
en effet pu être encore pire.
Une telle remarque ne se contente
pas de mettre entre parenthèses les conséquences pour les
budgets des pays en question des taux qu’ils doivent consentir. Elle ne
prend pas non plus en compte un autre facteur tout aussi préoccupant.
Les banques européennes, en effet, se ruent sur ces obligations en
raison de leur rendement élevé et de leur maturité
courte, avec l’assurance de la couverture du Fonds de stabilité
européen, ou de son successeur, si les choses tournaient mal. En
réalité, elles gonflent dans l’immédiat leur bilan
d’actifs dont la valeur est à terme incertaine et renforcent
ainsi leur fragilité. Une manifestation de plus de
l’étroite relation qui existe entre dette publique et
privée.
« Il n’y aura pas
de restructuration de la dette grecque ni de celle d’autres pays. Le
coût politique serait dévastateur », a
déclaré Olli Rehn lors d’un colloque organisé par
The Economist, signifiant moins l’impossibilité qu’une
telle situation n’intervienne que la nécessité de l’empêcher
de se réaliser.
Peer Steinbrück, le ministre
des finances allemand du début de la crise (qui fut contraint à
la démission pour diverses controverses en 2009, vient de publier un
livre où il écrit : « La Grèce ne
parviendra pas à retomber sur ses pieds sans une restructuration de sa
dette. Les créditeurs du pays devront réduire une partie de sa
dette en allongeant la maturité [des titres qu’ils
détiennent], en baissant par ailleurs les taux
d’intérêt [des futurs
remboursements] … ».
Les propos ne sont pas
incompatibles, mais ils impliquent l’activation du plan de
stabilité, qui risque dans ces conditions d’être
très sollicité, lui imposant de se retourner vers les
marchés pour se financer lui-même. Lui faisant alors subir
l’épreuve du feu.
Deux béquilles vont
décidément être indispensables pour tenir la
région Europe debout, mais seront-elles suffisantes si des effets
domino interviennent ? Son fort degré
d’interpénétration financière la rend fragile face
aux crises nationales, comme on l’a déjà constaté.
La montée de la crise
sociale pourra-t-elle par ailleurs être ignorée et considérée
comme un moindre mal auquel il faut résolument faire face, pour ne pas
le faire ailleurs ? C’est un choix politique qu’il faudra alors
tenir envers et contre tout…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en
partie à condition que le présent alinéa soit reproduit
à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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