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L’Europe tiendra-t-elle munie de béquilles ?

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Published : September 27th, 2010
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Category : Editorials

 

 

 

 

Une lueur serait-elle en train d’apparaître dans les ciels britannique et européen ? Sous l’égide d’une Commission Indépendante sur les Banques (BIC) mise en place par le chancelier de l’échiquier George Osborne, une réflexion est entamée sur les réformes que devrait connaître la City, deuxième place financière mondiale.


A priori, c’est un paradoxe, quand on sait comment les Britanniques défendent becs et ongles leur industrie financière au sein de l’Union européenne. On peut toutefois le comprendre si on considère qu’une nouvelle crise au sein de leur système bancaire n’est strictement pas dans leurs moyens.


La BIC emprunte a priori les mêmes pistes que celles suivies par les Américains, sans surprise excessive, mais apparaît particulièrement entreprenante, tout du moins à ce stade de ses travaux et de la publication d’un premier document.


N’ayant qu’un mandat d’étude, la commission rapportera dans un an à un comité du Cabinet présidé par George Osborne, et il sera alors possible au vu des décisions de ce dernier de mieux faire l’inventaire de ce qui résultera du processus qu’elle vient d’engager. A noter que les banques étrangères présentes au Royaume-Uni devraient avoir les mêmes obligations que leurs consœurs britanniques, ce qui pourrait en premier lieu affecter Santander, la mégabanque espagnole.


Une séparation drastique entre banques de dépôt et d’investissement (du type Glass-Steagall Act) est évoquée, ainsi que des obligations en matière d’accroissement des fonds propres supérieures à celles que Bâle III a déjà défini sont envisagées. D’autres mesures sont également à l’étude, car Bâle III – après adoption – n’a vocation qu’à être une limite inférieure aux réglementations nationales qui pourront être adoptées. Plus novateur, John Vickers, le président de la BIC, n’a pas exclu que celle-ci puisse également se pencher sur le shadow banking, la banque de l’ombre, et ne s’en tienne pas au secteur bancaire stricto sensus.


Devant l’éventualité d’un tel durcissement, HSBC, Barclays et Standard Chartered – les plus grands établissements britanniques que l’Etat n’a pas recapitalisé – ont tout de go menacé d’aller s’établir sous d’autres cieux, Hong Kong ou Singapour, si le cadre réglementaire venait à se durcir. C’est dire que si les dés viennent d’être jetés, ils s’entrechoquent déjà sur le tapis….


Parallèlement, la réflexion se poursuit à propos des banques trop importantes pour faire faillite (Too Big to Fail), à l’instigation du Comité de Bâle et du Conseil de stabilité financière, tous deux chargés de rapporter devant le prochain G20. On sait à ce propos que les banques américaines poussent à l’adoption de ratios supplémentaires de fonds propres, car cela créerait de lourdes obligations pour leurs concurrentes européennes, tandis qu’elles-mêmes usent d’artifices pour soulager leurs bilans, du type véhicules spéciaux (les SPV, « Special purpose vehicle », souvent utilisés dans les opérations de déconsolidation/titrisation), et peuvent plus facilement lever des capitaux. Comme on l’a vu, leur faiblesse vient pour l’essentiel d’ailleurs.


A l’inverse, Christine Lagarde, ministre française de l’économie et des finances, a déclaré que ce type de mesures « n’était pas une panacée », se faisant comme à son habitude la porte-parole sans nuances des banques françaises qui redoutent cette réglementation. En coulisses, celles-ci se battent contre avec virulence.


Lord Turner, président de l’organisme régulateur britannique, le FSA, a également déclaré cette semaine qu’une telle option serait attentivement considérée, tandis que les officiels américains faisaient de même. Mais Nout Wellink, qui préside le Comité de Bâle, a été prudent en se contentant de dire que « tout est sur la table et nous travaillons dur à ce propos en ce moment », sa prudence n’étant pas nécessairement sans rapport avec sa déclaration, à Singapour précisément, à propos de la menace de délocalisations des banques afin de combattre toute réglementation supplémentaire, menace qu’il « n’aime pas ».


Du côté allemand, Josef Ackerman, président de la mégabanque Deutsche Bank, a participé à cette stratégie de pression et de tension en déclarant que les options de régulation avancées par les autorités seraient « un très dangereux développement dans la mauvaise direction », explicitant son propos avec l’habituel argument des incidences que les mesures auraient sur le crédit. La Fédération allemande des banques privées (BdB) n’a pas été en reste : cela « va trop loin et menace la reprise économique et les développements positifs sur le marché du travail ».


La situation des banques allemandes apparaît de jour en jour de plus en plus désastreuse. L’important secteur public des Landesbanken, qui représente 45% du marché bancaire, est chancelant. Et les tentatives de fusions entre les deux principales banques de celui-ci – la West LB (Düsseldorf) et la Bayern LB (Munich) – n’aboutiraient selon les analystes proches du dossier (selon la formule traditionnelle), qu’à la création d’une mégabanque aux pieds d’argile, particulièrement dangereuse. HRE, de son côté, vient une nouvelle fois de bénéficier d’une injection publique de plus de 2 milliards d’euros, Bruxelles avalisant tout en considérant que la banque n’était définitivement pas viable.


En Grèce et en Irlande, la situation des banques est particulièrement alarmante. A tel point qu’il a été décidé par le FMI et la Commission de surseoir à la tenue de stress tests des banques grecques, dont l’annonce des résultats risquait de les déséquilibrer encore davantage. Le sauvetage de l’Anglo Irish Bank reste quant à lui toujours en suspens en Irlande, dans la longue attente de la mise au point de ses modalités et de l’autorisation de Bruxelles, où il est à l’étude comme beaucoup de dossiers.


Il se confirme qu’une négociation avec les créanciers obligataires de la banque est envisagée, afin de diminuer le coût de l’addition qu’aura à supporter l’Etat, une première qui n’est pas sans susciter des inquiétudes dans le monde de la finance, car elle affecterait les banques créditrices, principales détentrices des obligations en question. Les banques se tiennent toutes par le bout du nez sur ce marché, les obligations, publiques ou privées, étaient considérées – tout du moins jusqu’au début de la crise – comme des actifs de tout repos….


Expression de la situation générale du système bancaire européen, une étude de la BCE vient de confirmer que la moitié des 105 banques suivies par ses soins au second trimestre considéraient que la situation du marché interbancaire avait empiré depuis l’année dernière. La BCE supplée à cette situation grâce à ses injections de liquidité à bas prix à trois mois.


José Manuel González-Páramo, membre de son directoire, vient de considérer qu’il y avait un risque de « dépendance durable » de certains banques. Une parole de banquier central qui signifie que le marché inter-bancaire va durablement rester très perturbé, laissant de nombreuses banques des pays à risque sans autre solution que de se tourner vers la BCE. Mettant en évidence non seulement que cette situation va se prolonger mais que le secteur bancaire est désormais à deux vitesses, à l’image des Etats en fonction des conditions qu’ils rencontrent sur le marché obligataire. La BCE ayant été obligé de ne plus être vraiment regardante sur la qualité des actifs mis en garantie par les banques en contrepartie des liquidités – être scrupuleuse signifiant l’arrêt de mort des banques en question – avec pour conséquence un significatif affaiblissement de son propre bilan.


De son côté, la commission de Bruxelles poursuit – selon Joaquim Almunia, commissaire à la concurrence – l’étude de la prolongation de l’autorisation accordée aux Etats membres de soutenir les banques, qui prend fin décembre prochain. Il s’agit des apports en capital, du « traitement des actifs dépréciés » (les bad banks) et des garanties apportées. Annonce qui a été assortie de la remarque suivante : « Malheureusement, nous ne pouvons pas dire demain que nous mettons fin à ce régime, car nous ne sommes pas revenus à des conditions normales ».


Si l’on se tourne vers la situation des Etats et du marché de la dette souveraine, la situation est toute aussi contrastée, expression que l’on utilise pour signifier qu’une partie du secteur considéré n’est décidément pas au mieux de sa forme. En dépit d’une pluie de communiqués de toutes provenances niant la totale impasse financière dans laquelle se trouve le gouvernement irlandais – qui ne font que souligner l’inquiétude profonde que l’Irlande suscite et n’ont convaincu personne – le pays est en réalité devenu une seconde Grèce. Apparaissant comme susceptible de propager un virus dans toute l’Union européenne, soulignant la responsabilité de ceux qui ont appuyé un modèle irlandais de développement – fait d’avantages fiscaux pour les banques et les entreprises et de dérégulation financière – qui vient de s’écrouler du fait de ses propres contradictions. Ceux-là mêmes qui se sont appuyé sur sa réussite pour impulser au sein de l’Union européenne des mesures de dérégulation financière.


L’implosion du système bancaire irlandais (qui est loin d’être terminée et ne se limite pas à l’AIB), ainsi que la spirale descendante dans laquelle le pays se trouve désormais pris, représentent l’échec masqué mais sans appel d’une stratégie communautaire européenne. Ses artisans se sont servis du pays comme d’une vitrine trompeuse. C’est aussi le résultat de l’absence de toute réflexion et action conséquente en direction des pays de la périphérie de l’Union européenne, en terme de définition d’un modèle économique et non pas de distribution plus ou moins aveugle de crédits, dont la manne n’est pour chaque pays que provisoire et qui sont souvent gaspillés.


A l’arrivée, c’est un Pacte de stabilité qui a volé en éclats, violé en premier lieu – faut-il le rappeler- par l’Allemagne et la France. Il n’est pas certain que l’Europe dans sa configuration actuelle puisse y survivre, ce qui ne diminuera pas l’ampleur de la crise, tout au contraire.


Klaus Regling, le président du Fonds européen de stabilité financière (EFSF), vient d’évoquer la nécessité d’entamer une réflexion à propos du dispositif qui devra lui succéder, car il a été mis en place pour trois ans. On ne peut mieux reconnaître qu’une deuxième béquille devra être ajoutée, pour les Etats, à celle que la BCE offre aux banques. Le système financier européen est tenu à bout de bras pour une longue durée, si tant est que la zone euro n’éclate pas.


A ce propos, Wolfgang Schäuble,le ministre allemand des Finances, a convenu lors d’une conférence à Francfort que l’Allemagne « profitait plus que quiconque » de l’euro. Appelant donc encore une fois à durcir les mécanismes de sanction contre les Etats dont les finances dérapent. En dépit de l’embellie de ses exportations du dernier trimestre – un rattrapage qui ne se poursuit pas – l’Allemagne a réalisé au second semestre de l’année 41% de ses exportations au sein de la la zone euro, et 60% vers les pays de l’Union européenne.


Compenser dans les pays émergents l’équivalent de ce qu’elle pourrait perdre en Europe est un pari très incertain. Dans l’immédiat, la zone euro met largement à l’abri l’Allemagne de la remontée de la devise par rapport au dollar et des fluctuations monétaires, d’autant que ses sites de production délocalisés se trouvent partiellement en son sein, à l’Est. On comprend donc ce que l’Allemagne peut perdre.


Sous un autre angle, Thomas Mirrow, qui préside la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), considère que la crise de la dette publique aura des répercussions « pendant une génération » sur les contribuables des pays occidentaux. En raison de politiques budgétaires rigoureuses qu’il défend, expliquant qu’il s’agit non seulement de se soulager de la pression des marchés, mais aussi de lever un climat d’incertitude « qui mine la confiance des consommateurs ». Confondante analyse.


Dans cette même logique, et afin de tenter de consolider l’édifice dans le cadre de la nouvelle « gouvernance économique » dont la définition est à l’étude, Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiques, a un projet. Il envisage qu’en cas d’ouverture d’une procédure pour déficit excessif, le pays en cause soit dans l’obligation de verser un dépôt de garantie. On parle de 0,2% du PIB. La réponse des dirigeants européens à la crise continue d’être au niveau de leur hauteur de vue.


L’Irlande, la Grèce et le Portugal – le trio de tous les dangers – ont dernièrement réussi leurs émissions obligataires, dont il faut souligner qu’elles ont suscité une forte demande des marchés. Il a été nettement moins fait allusion aux taux très élevés qui ont du être consentis, en dépit de nouvelles intervention sur le marché obligataire de la BCE. « Le marché joue à se faire peur » a déclaré un brillant analyste dont le talent ne fait aucun doute, car il a remarqué que « aucune adjudication ne s’est mal passée en définitive ». Cela aurait en effet pu être encore pire.


Une telle remarque ne se contente pas de mettre entre parenthèses les conséquences pour les budgets des pays en question des taux qu’ils doivent consentir. Elle ne prend pas non plus en compte un autre facteur tout aussi préoccupant. Les banques européennes, en effet, se ruent sur ces obligations en raison de leur rendement élevé et de leur maturité courte, avec l’assurance de la couverture du Fonds de stabilité européen, ou de son successeur, si les choses tournaient mal. En réalité, elles gonflent dans l’immédiat leur bilan d’actifs dont la valeur est à terme incertaine et renforcent ainsi leur fragilité. Une manifestation de plus de l’étroite relation qui existe entre dette publique et privée.


« Il n’y aura pas de restructuration de la dette grecque ni de celle d’autres pays. Le coût politique serait dévastateur », a déclaré Olli Rehn lors d’un colloque organisé par The Economist, signifiant moins l’impossibilité qu’une telle situation n’intervienne que la nécessité de l’empêcher de se réaliser.


Peer Steinbrück, le ministre des finances allemand du début de la crise (qui fut contraint à la démission pour diverses controverses en 2009, vient de publier un livre où il écrit  : « La Grèce ne parviendra pas à retomber sur ses pieds sans une restructuration de sa dette. Les créditeurs du pays devront réduire une partie de sa dette en allongeant la maturité [des titres qu’ils détiennent], en baissant par ailleurs les taux d’intérêt [des futurs remboursements] … ».


Les propos ne sont pas incompatibles, mais ils impliquent l’activation du plan de stabilité, qui risque dans ces conditions d’être très sollicité, lui imposant de se retourner vers les marchés pour se financer lui-même. Lui faisant alors subir l’épreuve du feu.


Deux béquilles vont décidément être indispensables pour tenir la région Europe debout, mais seront-elles suffisantes si des effets domino interviennent ? Son fort degré d’interpénétration financière la rend fragile face aux crises nationales, comme on l’a déjà constaté.


La montée de la crise sociale pourra-t-elle par ailleurs être ignorée et considérée comme un moindre mal auquel il faut résolument faire face, pour ne pas le faire ailleurs ? C’est un choix politique qu’il faudra alors tenir envers et contre tout…




Billet rédigé par François Leclerc


 

Paul Jorion

pauljorion.com

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).


 

 

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