Emmanuel Macron, bénéficiant à la fois du travail de sape du PS par Hollande, d’un terreau médiatique ultra-favorable, d’une droite soigneusement aussi stupide que possible et d’adversaires tous plus patibulaires les uns que les autres, parvient donc à se hisser au second tour des présidentielles. Devant Marine Le Pen contre laquelle tous les castors républicains du pays érigeront un fier barrage, ses chances de victoire au soir du 7 mai sont donc très importantes…
Youpi, la France est sauvée ! Ou à peu près tant que reste dans l’urne notre candidat de Schrödinger, superposition quantique d’un politicien de droite et d’un politicien de gauche sans être ni à droite, ni à gauche. Une fois le vote passé, un choix sera fait qui, comme le veut la physique, sera tout en décohérence quantique.
Et probablement pas dénué de surprises…
Certes, à propos de surprises, la « Le Pen élue » est fort peu probable (mais pas, stricto sensu, impossible), et on mesurera assez bien l’état de frustration du pays à l’écart effectif entre les deux candidats. Mais surtout, d’autres surprises ne pourront être évitées. L’une d’entre elle, c’est que la trajectoire française n’est pas bonne du tout et que Manu n’a pas, dans son programme, le moindre commencement de proposition concrète pour l’infléchir.
Je l’ai déjà écrit, mais il est toujours bon de le répéter pour tenter de faire sortir de leur transe certains groupies extatiques à l’idée de voir le brave Emmanuel décrocher la timbale élyséenne : le futur président de la République héritera d’un pays dans une situation économique catastrophique et d’une population à cran, particulièrement lassée voire frustrée par une campagne électorale lamentable.
Et cette situation doit tout aux (non-)choix politiques internes qui furent fait ces 30 dernières années.
La comparaison fait mal avec l’Allemagne, qui aura choisi avec Schröder de moderniser complètement son économie : pendant ces 30 dernières années, cette dernière aura dû absorber d’un coup 16 millions d’habitants de la RDA dotés d’une économie en ruine en 1990, elle se sera heurté au mur de sa natalité qui lui donne une population plus vieille et donc plus coûteuse et moins productive ; ses frontières sont plus ouvertes à l’immigration que les françaises afin, justement de compenser sa faible natalité, et le pays accueille donc un nombre considérable d’étrangers et de réfugiés.
Malgré ces handicaps et ces choix, l’Allemagne engrange des excédents budgétaires, pendant que la France aligne 42 années de déficits.
Malgré tout cela, l’État allemand ne ponctionne « que » 44% du PIB, là où le français, obèse, en dévore 57% et ne montre aucun signe de satiété.
Pendant ce temps, la France claque dans la plus parfaite décontraction 7 points de PIB de plus que la Suède sociale-démocrate en diable, le tout pour des prestations sociale bien en dessous de ce que ce dernier pays propose, à tel point que nos SDF sont même nourris par la charité privée (eh oui, les Restos du Cœur, c’est bien une initiative privée). Pour rappel, la France, c’est 1% de la population mondiale et 15% des dépenses sociales mondiales. Belle contre-performance.
Pendant que l’Allemagne rembourse sa dette (elle a baissé de 12% depuis 2009), l’État français emprunte 4 milliards d’euros par semaine pour simplement continuer à payer les dépenses courantes, ce qui fait que sa dette a augmenté de 19% depuis. C’est tout à fait rassurant, et forcément, sur le long terme, ça va bien se passer, n’est-ce pas.
À ce sujet, on pourra regretter que, jusqu’à présent, ce problème de la dette n’ait pas été au cœur des préoccupations électorales (c’est le moins qu’on puisse dire). Peut-être le sujet sera-t-il présent dans le débat d’entre deux tours ? On peut raisonnablement en douter : d’un côté, Macron nous persuadera qu’il est à même de mener le pays vers les vallées de lait et de miel que son programme, doux et cotonneux, promet facilement, mais ne détaille surtout pas. De l’autre, Le Pen évitera soigneusement la question tant le côté économique n’est pas sa tasse de thé, pour le dire charitablement.
Il n’en restera pas moins que la situation, factuellement, peut se résumer à ceci : alors que les Allemands, avec la même monnaie, les mêmes impératifs aux frontières, une population plus vieille et plus nombreuse que les Français, affichent le huitième pouvoir d’achat en Europe avec 21.500 euros en moyenne, les Français pointent eux à la treizième place avec 19.000 euros ; en 2015 et selon l’OCDE, il y avait en France 7,1% de travailleurs pauvres contre moins de la moitié en Allemagne (3,5%), 25% de taux de chômage des jeunes en France contre 7% en Allemagne. Et tout ça, je le rappelle, avec une Chancelière Merkel qui n’a pas spécialement fait dans la furie ultra-néo libérale, avec une réunification qui a été tout sauf simple, avec des routes, des écoles, des hôpitaux, une poste, une police et plus généralement un service public qui fonctionnent encore pas trop mal aux dernières nouvelles, avec des impôts plus faibles et, j’insiste pour ceux qui n’auraient pas bien compris l’allusion, la même monnaie que nous.
Sauf à considérer que les Allemands sont des êtres supérieurs capables de casser des briques, plier l’espace-temps et la rhétorique collectiviste (ce que je ne crois pas), on doit réellement s’imposer la question de ces nom-d’une-pipe de choix économico-politiques qui ont été faits ces 25 dernières années pour aboutir à une situation à ce point différente d’un côté à l’autre du Rhin.
En réalité, force est de constater que ce sont les Français qui s’expatrient en Allemagne ou en Angleterre plutôt que le contraire. Force est de constater que les opportunités sont beaucoup plus forte en Allemagne et que l’économie y est plus dynamique malgré une situation au départ plus difficile.
Certes oui, les retraités et les chômeurs français sont effectivement moins exposés à la pauvreté et mieux « protégés » par ce système qu’on nous envie sans jamais oser nous le copier… Mais force est aussi de dire qu’ils sont pour le moment payés avec de la monnaie de singe qui place directement le pays sur une trajectoire budgétaire insoutenable, où un tiers des salariés est payé par l’État et que nombre de chômeurs est caché dans ces emplois plus ou moins bidons créés par une administration obèse.
En somme, à l’instant où ces lignes sont écrites, si la France tient son rang actuel, cela n’est dû qu’à l’usage compulsif de sa carte de crédit et un immense écran de fumée qu’aucun des deux candidats ne semble vouloir vraiment dissiper, l’une jugeant l’ensemble des problèmes liés à la méchante Europe (dans laquelle l’Allemagne s’en sort pourtant très bien), et l’autre estimant qu’on pourra s’en dépatouiller en « pensant printemps » très fort.
Macron, élu, devra donc réaliser ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a même entamé en 30 ans, avec une majorité parlementaire particulièrement difficile à construire puis à conserver, un sénat a priori peu enclin à lui faire les yeux doux, des syndicats de salariés tout sauf modernes, des administrations fossilisée, une presse qui sortira la grosse artillerie antilibérale dès qu’elle le pourra et de façon générale, une opinion publique rétive à tout changement d’importance, le tout dans un contexte économique difficile et une absence de toute latitude budgétaire.
À vue de nez, toutes les cartes sont donc réunies pour un succès flamboyant.
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